L’électrification de la mobilité ne se résume pas à augmenter la capacité des batteries. La véritable clé se situe dans la conversion et la gestion de l’énergie, deux domaines où se perdent de précieuses ressources. C’est sur ce front que le constructeur automobile Stellantis, en partenariat avec Saft, filiale de TotalEnergies, affirme avoir franchi une étape décisive grâce au projet IBIS (Intelligent Battery Integrated System).
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Une rupture d’architecture
Traditionnellement, une voiture électrique repose sur une batterie qui fournit du courant continu, un onduleur qui le convertit en courant alternatif pour le moteur, un chargeur embarqué pour l’alimentation externe, et enfin un réseau basse tension (12 V) alimentant les auxiliaires. Cette superposition de blocs génère des pertes énergétiques, de la chaleur, du poids et des coûts.
IBIS change la donne en fusionnant onduleur et chargeur directement dans la batterie. Celle-ci ne se limite plus à stocker l’énergie : elle devient un nœud actif, capable de distribuer directement du courant AC ou DC, d’alimenter le moteur, de gérer le réseau basse tension et de dialoguer avec le réseau électrique externe. Cette intégration réduit le nombre de composants, simplifie les flux et supprime plusieurs étapes de conversion où l’énergie était perdue.
L’électronique de puissance au cœur du système
L’une des innovations majeures réside dans la conception de l’électronique de puissance intégrée. Les ingénieurs de Stellantis et de Saft ont codéveloppé des modules semi-conducteurs capables de supporter des régimes de courant et de tension variés, tout en minimisant les pertes par commutation et par conduction.
Ces modules exploitent des matériaux avancés tels que le carbure de silicium (SiC), qui offre une meilleure efficacité et une densité de puissance supérieure par rapport au silicium traditionnel. L’intégration dans la batterie limite la longueur des câbles haute tension, ce qui réduit les inductances parasites et les pertes associées.
Une gestion thermique optimisée
L’intégration de l’onduleur et du chargeur dans la batterie impose de nouveaux défis thermiques. La dissipation de chaleur des composants de puissance ne peut pas interférer avec la stabilité thermique des cellules électrochimiques.
Pour y répondre, les chercheurs ont conçu un système de refroidissement mutualisé mais compartimenté. Les flux thermiques sont modélisés à l’aide de logiciels multiphysiques, permettant de dimensionner des échangeurs de chaleur qui assurent la stabilité des composants électroniques sans dégrader la longévité des cellules. Cette synergie thermique est l’un des points critiques validés par le démonstrateur stationnaire dès 2022.
La modélisation et le contrôle logiciel
Le projet IBIS s’appuie également sur une approche logicielle de pointe. L’intégration d’onduleur et de chargeur dans la batterie complexifie le pilotage des flux d’énergie : le même ensemble doit, selon les cas, fournir du courant au moteur, accepter une recharge AC ou DC, et maintenir l’alimentation du réseau basse tension.
Les équipes ont développé des algorithmes de contrôle embarqués, capables d’optimiser en temps réel la distribution de l’énergie en fonction des besoins, de l’état de charge et de la température des cellules. La simulation multiphysique, menée en amont par des partenaires comme Sherpa Engineering, a permis de valider ces stratégies avant même la mise en œuvre physique.
Des résultats mesurables
Les bénéfices techniques d’IBIS se traduisent déjà en chiffres : une efficacité énergétique accrue de 10 % sur le cycle WLTC, une puissance de 172 kW contre 150 kW auparavant, une masse réduite de 40 kg et un gain de volume de 17 litres. La recharge AC est plus rapide, passant de sept à six heures sur une borne domestique de 7 kW, tout en consommant environ 10 % d’énergie en moins. Ces gains découlent directement de la réduction du nombre de conversions électriques, de la compacité de l’électronique de puissance et de la meilleure gestion thermique des systèmes intégrés.
Une trajectoire vers l’industrialisation
Depuis juin 2025, la phase 2 du projet a démarré avec des essais en conditions réelles. L’objectif est de qualifier IBIS pour une intégration industrielle à grande échelle dans la gamme Stellantis avant 2030. Mais les ambitions ne s’arrêtent pas là : le système pourrait être adapté à d’autres secteurs où la densité énergétique, l’efficacité et la fiabilité des conversions sont déterminantes, du ferroviaire à l’aérospatial, en passant par la marine et les centres de données.