Les centres de tri crouleront-ils bientôt sous les voitures, téléviseurs et autres machines à laver hors d'usage ? La directive européenne sur les déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE) impose de collecter au moins 4 kg/hab/an depuis le 31 décembre 2006. En parallèle, celle sur les véhicules hors d'usage (VHU) impose un taux de recyclage de 80 % et un taux de valorisation de 85 %, et davantage lorsque le véhicule a été mis sur le marché après 2005. Le démantèlement manuel ne peut pas faire face à de tels volumes ; il est donc grand temps d'investir dans le tri automatique post-broyage des métaux et des plastiques. Mais avec quelles technologies ?
Soigner le broyage
Avant de trier, il faut broyer. De la qualité de l'opération dépendra celle du tri. « Si on broie ensemble des pare-chocs et des ordinateurs, le tri post-broyage est difficile, indique Thibault Maillard, directeur général de Norval, filiale de Sita. Autant séparer avant, d'autant qu'une étape manuelle est indispensable pour de nombreux DEEE, afin d'enlever les gaz des réfrigérateurs, les produits dangereux des ordinateurs, les piles, etc. » Certains opérateurs procèdent à un prébroyage, qui casse les déchets en débris de 200 millimètres environ. Cela homogénise un gisement hétérogène, contenant aussi bien des carcasses de téléviseurs que des réfrigérateurs ou des capots d'ordinateurs. Les traitements mécanisés s'en trouvent simplifiés. La logique consiste à effectuer le maximum de tri avant le broyage. Puis le broyage proprement dit vise à récupérer les matériaux : en cassant finement, on évite les mélanges, on sépare les fils métalliques du caoutchouc dans les pneus, ou les vis du plastique dans le matériel informatique. La taille des débris, 10 mm environ, résulte d'un compromis entre la nécessité d'éviter les mélanges et celle de faciliter la séparation de chaque fraction. « Plus on broie finement, plus le tri optique est difficile, note ainsi Winfrid Rauch, gérant de Matthiessen Engineering, qui représente les machines de tri optique Redwave.
De l'infrarouge aux rayons X
La détection optique est l'une des deux grandes technologies de tri des métaux et plastiques post-broyage. Elle est issue du tri des déchets ménagers. Trois techniques coexistent et sont complémentaires. Les caméras, plus économiques, permettent uniquement de reconnaître les formes et les couleurs, mais pas le type de matériau. La détection par infrarouge, en revanche, permet de déterminer la nature du matériau (types de métal et de plastique, et même le bois, présent en quantité notable dans les VHU et les DEEE), à condition qu'il ne soit pas trop foncé. Or, il existe beaucoup de plastique noir, notamment dans les déchets d'ordinateurs et de téléphones. Pour reconnaître leur nature, une troisième technique, plus coûteuse, est indispensable : la détection par rayons X.
« Les polymères des DEEE sont plus complexes à détecter que les emballages plastiques ménagers : ils contiennent des additifs gênants et sont beaucoup plus variés », indique Florence Aliberti, de la société Pellenc. Pour ces déchets, cette entreprise a donc conçu, en partenariat avec l'Ademe et l'École des mines d'Alès, une machine de haute résolution, deux fois plus précise que celles destinées aux déchets ménagers. « Elle reconnaît une vingtaine de polymères différents et elle est capable de détecter et éjecter des fractions deux fois plus petites, jusqu'à un centimètre cube », précise Florence Aliberti. Pellenc associe une détection par infrarouge à une caméra pour repérer les plastiques noirs. Un détecteur de métal permet également de récupérer les dernières fractions métalliques, par exemple les résidus de cartes électroniques. Ces machines à 150 000 à 200 000 euros pièce trient 4 tonnes de déchets de DEEE et VHU par heure, et récupèrent 300 kilogrammes de plastique, avec une pureté annoncée de 90 à 95 %. « Le tri post-broyage fonctionne bien pour le PP et le PE, mais il n'est pas encore au point pour l'ABS-PC, présent dans les voitures », concède toutefois Florence Aliberti.
Qualité-prix
La qualité est au rendez-vous, à condition d'y mettre les moyens. « Si l'on veut récupérer des matériaux d'une grande pureté, il suffit d'instaurer deux étapes de tri : la première extrait le maximum de matériaux, la seconde sert à affiner, c'est-à-dire à enlever les impuretés qui se seraient glissées parmi les bons morceaux, indique Daniel Zimmerlin, directeur commercial France de Titech. Le seul critère limitant est le débit : des objets trop proches sur le tapis et la machine croit qu'il s'agit d'un seul objet. Un bon tri implique que les déchets se présentent un par un, sans se recouvrir. »
« Si, en entrée, la présentation est correcte et si le broyage est homogène, nous pouvons récupérer 99 % de chaque matériau recherché, indique Robert Wasser, représentant de la société S+S. Mais pour chacun, il faut une machine. Ainsi, si l'on souhaite trier dix types de plastiques, il faut dix machines, ou bien faire repasser le flux des déchets dans l'appareil. Dans la pratique, les centres de tri possèdent deux machines, ce qui leur permet de sélectionner le PET et le PVC, les plus recherchés. Le reste part à l'incinération. » On est loin des objectifs de recyclage prévus par la loi. Il faut dire que des additifs comme les retardateurs de flamme, présents dans certains plastiques et difficiles à identifier, compliquent la valorisation matière.
L'autre grande famille de techniques de tri post-broyage est le tri par flottaison, également appelé tri par voie humide ou tri densimétrique. Il s'agit de séparer les matériaux selon leur densité. Pour cela, on les fait flotter dans des liquides dont la densité est contrôlée de manière très précise. Un premier tri sépare les poussières et mousses des matériaux plus nobles (et plus lourds). « La flottaison ne permet pas de tout trier, précise toutefois Charles Kofyan, directeur de Bartin Aero recycling, filiale de Veolia. Le cuivre et l'inox ont la même densité et ne peuvent pas être séparés de cette manière. En revanche, l'aluminium, plus léger, s'y prête bien : dans un liquide de forte densité, il flotte alors que les autres métaux coulent. » Plusieurs bains successifs dans des liquides de densités variées permettent ainsi de récupérer le caoutchouc, l'aluminium, puis les plastiques.
Ceux-ci sont ensuite séparés de la même manière. « On récupère d'abord les plastiques de densité inférieure à 1 (PP, PE), indique Hugues de Féraudy, directeur général de Galloo Plastics, une référence en la matière. La fraction restante passe dans un bain plus dense, et on trie les plastiques de densité comprise entre 1 et 1,1 (PS, ABS, PPtalc), puis entre 1,1 et 1,2, etc. »
Débouchés assurés
Cependant, les plastiques de même densité ne peuvent être séparés. C'est par exemple le cas de l'ABS et du PP. Bien sûr, toutes ces méthodes ne sont pas exclusives l'une de l'autre. « Nous utilisons plusieurs technologies à la suite, indique Thibault Maillard. Un tri densimétrique, une séparation par couleurs, par exemple pour distinguer le laiton du cuivre et, enfin, un système d'éjection par buses à air comprimé des métaux résiduels, qui sont repérés par rayons X ou par un détecteur de métal. »
Reste la question des débouchés pour tous les matériaux récupérés. Avec la hausse du prix des matières premières, le tri devient de plus en plus rentable. « Le marché est en train de s'organiser, nuance Florence Aliberti. Les filières sont complexes et les acteurs ne savent pas vraiment ce qu'ils souhaitent récupérer. Nous savons trier une vingtaine de polymères, mais seulement quelques-uns sont demandés. » Une chose est sûre : les débouchés seront d'autant plus intéressants que les fractions vendues seront pures. « Les métaux trouvent toujours un débouché, indique René-Bernard Ballard. En revanche, les plastiques sont souvent le parent pauvre du métier, car très mélangés. Notre stratégie est de les identifier précisément pour les vendre avec des propriétés garanties. »