Déchets ménagers En matière de recyclage des déchets, le plus facile est fait. Pour franchir un nouveau cap, tous les acteurs doivent maintenant s'attaquer aux mauvaises habitudes des 70 % de Français qui vivent en habitat collectif.
Y aurait-il donc deux espèces bien distinctes, le trieur des villes et le trieur des champs ? On pourrait le croire au regard de leurs performances : si celui des champs réussit à trier 54 kg d'emballages recyclables par an, celui des villes ne parvient à séparer que 31 kg ! Mais comment convertir le « jeteur » urbain en trieur vertueux ? Les collectivités s'interrogent, elles qui sont engagées dans des plans locaux de prévention des déchets, avec l'objectif de diminuer la part des ordures ménagères résiduelles de 7 % en cinq ans et donc d'augmenter la part du tri. En ligne de mire, l'objectif national de 75 % de recyclage des emballages ménagers, et, plus largement, une baisse des tonnages incinérés ou enfouis de 15 %.
Premier obstacle : le bâtiment lui-même. En effet, rien n'est fait pour faciliter le tri dans les immeubles. Bien souvent, les locaux à poubelles sont des endroits peu faciles d'accès, sombres et malodorants. Les conteneurs de tri, s'ils sont présents, ne sont pas toujours accessibles, ne serait-ce que du fait de leur hauteur et du poids du couvercle à soulever, alors que jeter les déchets est souvent dévolu aux enfants. Enfin, un rapide regard dans le bac de tri peut décourager le bon trieur qui constate les erreurs de ses voisins. Sans compter, dans les zones défavorisées, la difficulté de la langue.
Deuxième obstacle : le contact avec l'habitant. Facile dans l'habitat individuel, il se complique dans le collectif. Les immeubles sont des espaces privés, auxquels les agents des collectivités ont du mal à accéder sans le gardien. Résultat : « Très peu de collectivités savent ce qui se passe dans l'habitat collectif, les difficultés en matière de stockage, de coût et de sécurité », pose Olivier Pourchau, gérant du cabinet de conseil Viarep. Pourtant, il n'y a pas de fatalité : dans certaines villes, jusqu'à 76 kg d'emballages par habitant et par an sont triés !
Quel est donc leur secret ? « Des pièces de théâtre, des flash mob, des collectes ponctuelles, des bourses aux vêtements », suggère Virginie Lledo, du cabinet d'études Inddigo. Exit, donc, les informa-tions uniformes. Message reçu à Grenoble, dont le service communication a créé, fin 2011, Supertri, un justicier masqué, habillé de jaune et de noir, qui se cache dans les poubelles et saute, tel Zébulon, au visage de ceux qui déposent leurs déchets recyclables dans un sac plastique ! Efficace ? « La campagne “En vrac sans sac” a participé à l'amélioration de la qualité du tri. On aime, ou on n'aime pas, mais elle ne laisse pas indifférent, et pendant ce temps, on parle des déchets », souligne Nicolas Perrin, à Grenoble Alpes Métropole. Cette campagne a sans doute donné des idées à d'autres collectivités. À l'instar de « Kamasutri, le top 12 des positions du trieur averti » concocté par Angers Loire Métropole, à destination de ses 33 000 étudiants. De quoi voir d'un autre œil les classiques consignes de tri. Attention cependant, à ne pas oublier les basiques : les consignes de tri doivent être présentes partout, sur les bacs, affichées aux murs et distribuées régulièrement aux habitants.
Surtout, rien ne vaut le contact direct. Mais ce n'est pas si simple : qui contacter ? Les acteurs sont multiples : bailleurs, syndics, régies de quartiers, propriétaires, locataires, habitants, gardiens ou entreprises prestataires... D'où l'intérêt des référents territoriaux, employés par les collectivités pour faire le lien avec les bailleurs sur toutes les thématiques liées aux déchets et à l'habitat. Les gardiens, en contact direct avec les habitants, sont un autre maillon essentiel de la chaîne. Des formations spécifiques, avec visite du centre de tri, en partenariat avec les collectivités, ont montré leur efficacité. Mais la communication, aussi réussie soit-elle, ne fait pas tout. « Des expérimentations nous ont prouvé qu'il faut combiner communication et changement technique pour avoir un impact », assure Nicolas Perrin. Un coup de peinture sur les murs du local à poubelles peut être un bon début. Mais s'assurer de la bonne dotation en bacs est indispensable. Changer les dispositifs de collecte peut é ga-lement enclencher de nouveaux comportements. « En avril 2013, nous avons mené une opération pilote à Saint-Martin-d'Hères, avec des conteneurs operculés verrouillés, qui empêchent le dépôt des recyclables dans des sacs, et donc de trouver un sac d'OMR dans le tri sélectif », explique Nicolas Perrin. Le taux d'indésirables est passé de 55 à 21 %, et les quantités de 43 à 24 tonnes, presque moitié moins ! « Certes, mais les tonnages recyclés sont les mêmes. Sachant que nous payons les tonnes entrantes au centre de tri, nous faisons des économies. C'est le choix de la qualité contre celui de la quantité », argumente Nicolas Perrin.
Autre action possible : condamner les vide-ordures. Ou les reconvertir. C'est le choix d'ICF Habitat Sud-Est Méditerranée à Saint-Étienne, avec Beauvais Diffusion et Eco-Emballages. Les vide-ordures d'un immeuble de quatre étages (50 logements) ont été convertis au tri sélectif. Après un an d'essai, le bilan est positif : + 37 % de déchets triés (+ 3,5 kg/an/habitant), et - 6 % d'indésirables. À Paris, la conversion est technologique. Paris Habitat a installé en 2010, dans un immeuble de 27 logements, un système commandé depuis le vide-ordures pour orienter les OMR dans un bac et le sac de tri dans un autre. Là aussi, les résultats sont positifs, mais le montant de l'investissement (80 000 euros) freine le déploiement du dispositif. À chaque fois, le changement s'accompagne d'une action de communication.
Dernière carte : tout changer ! De plus en plus, les poubelles disparaissent du local commun au rez-de-chaussée des immeubles, libérant de l'espace pour des vélos par exemple. À la place ? Des conteneurs enterrés en apport volontaire, à l'extérieur. Une vraie tendance depuis une dizaine d'années. « Les conteneurs enterrés sont tout à fait adaptés à l'habitat collectif, et le coût de fonctionnement est similaire à la collecte en porte-à-porte », abonde Sophie Legay, directrice de l'optimisation de la collecte sélective chez Eco-Emballages. Le syndicat Emeraude, qui regroupe 17 communes du Val-d'Oise et 267 000 habitants, dont 60 % en habitat collectif, en a installé 1 000 depuis 2006 et vise à terme un parc de 1 500. « En six mois, les tonnages sont passés de quasiment zéro à 15 kg/an/ habitant », se souvient Sophie Legay. Gennevilliers, dans les Hauts-de-Seine, l'adopte également pour ses 70 % d'habitants en immeubles. Ces conteneurs sont généralement installés lors d'opération de renouvellement urbain (Anru) ou de résidentialisation. Pour favoriser le tri, ils doivent être placés sur le chemin des habitants, et être nombreux. « Il y en a un à quasiment chaque cage d'escalier », témoigne Cyrille Bader, directeur environnement et déchets à Angers Loire Métropole, estimant que les quelque 1 600 conteneurs font partie du dispositif de collecte en porte-à-porte. Pour réussir ce changement, tout le monde doit se mettre autour de la table pour choisir l'emplacement (optimal pour les habitants et pour les camions de collecte), pour uniformiser les modèles, décider du partage de l'investissement et des frais d'exploitation, des responsables de la propreté autour des bacs… « Les premiers conteneurs enterrés ont été installés à l'initiative des bailleurs sociaux. Puis nous avons décidé de nous en charger pour homogénéiser le parc et faire baisser les prix avec des commandes plus importantes. Ensuite, nous les refacturons aux bailleurs », précise Henri Gadaut, vice-président chargé des déchets urbains à Lille Métropole. Le premier marché est en cours d'appel d'offres, pour 70 conteneurs. À terme, 700 équiperont le territoire. « Les résidents sont réticents, mais le tri est meilleur, sans toutefois atteindre les performances de l'habitat individuel », note l'élu. Nec plus ultra de la technologie, la collecte pneumatique ne semble pourtant pas être la panacée. À Romainville (Seine-Saint-Denis), où elle a démarré en octobre 2011, on explique pudiquement ne pas avoir de données chiffrées, car le dispositif est encore en « expérimentation »…
Mais il n'y a pas que les emballages ou le papier ! En zone dense, l'enjeu porte également sur les encombrants. Quel ensemble, quel quartier, n'a pas un bout de trottoir identifié comme dépotoir, où les déchets s'accumulent au fil des jours, alors que la collecte des encombrants est mensuelle ? Une pratique qui favorise les accidents du travail, l'insécurité (vol, chine, gêne de circulation), le risque d'incendie et la dégradation de l'espace public. De plus, la gestion de ces encombrants est un coût, en termes de personnel, non récupérable auprès des locataires pour les bailleurs sociaux, contrairement à celles liées aux OMR et au tri sélectif. Et c'est également un coût pour les collectivités, du fait de la TGAP appliquée à leur enfouissement et à leur incinération, sans compter les soutiens que les éco-organismes auraient pu verser, notamment pour les déchets électroniques et ceux d'ameublement. Autant de raisons pour leur aménager un point de chute.
Lille Métropole, dont 40 % des 1,1 million d'habitants occupent un logement collectif, fait partie des collectivités les plus avancées sur le sujet, et Olivier Pourchau en est la cheville ouvrière. Il est en effet à l'origine de l'expérimentation menée en 2009 sur les 540 logements de la cité de la Mouchonnière (Lille Métropole Habitat), avec Eco-Systèmes. « Nous avons adapté une logette pour accueillir les encombrants, sur rendez-vous avec le gardien, rappelle-t-il. Aujourd'hui, les volumes apportés atteignent 60 t/ an, soit 38 kg/ an/ habitant. Une économie globale de 12 400 euros », se félicite Amélie Debrabandère, directrice générale de Lille Métropole Habitat. Fin 2012, 66 résidences (11 800 logements) avaient collecté 346 tonnes directement valorisables. « Cette initiative a fait évoluer la politique de la communauté urbaine, qui a poussé les autres ensembles à adopter le même fonctionnement », souligne Olivier Pourchau. Aujourd'hui, 27 000 logements (soit 20 %) sont conventionnés pour la collecte des encombrants. « En 2014, quand le réseau de déchèteries sera achevé, nous arrêterons cette collecte », garantit Henri Gadaut.
Le potentiel est tel qu'Olivier Pourchau a quitté Lille Métropole Habitat – avec la bénédiction de son employeur – pour créer son cabinet de conseil, Viarep. « Je vends des problèmes en moins, résume le jeune entrepreneur. Une meilleure collecte pour les collectivités, des tonnages pour les éco-organismes, un meilleur environnement et des économies pour les bailleurs. » Une quinzaine de projets sont déjà en cours en Île-de-France, en Rhône-Alpes et, évidemment, en Nord-Pas-de-Calais.
L'initiative a aussi inspiré Eco-Systèmes. « En 2012, nous avons lancé un appel à projets pour tester des solutions de collecte de proximité. Aujourd'hui, 26 collectivités expérimentent des collectes ponctuelles, des déchèteries mobiles ou des points de collecte en pied d'immeubles », détaille Rita Vespier, responsable régionale de développement pour le Nord-Pas-de-Calais, la Picardie et l'Île-de-France. Fort de son expérience, l'éco-organisme a identifié les points clés (diagnostic, faisabilité, plan de communication, animation) et les petits plus, comme des habitants relais. « Fin 2013, ce dispositif couvrira 40 000 logements, soit 120 000 habitants », compte Rita Vespier.
Les autres éco-organismes ne sont pas en reste. Eco-Emballages travaille sur l'habitat collectif depuis une dizaine d'années et, petit à petit, les autres éco-organismes planchent sur ses particularités. Le gisement de déchets recyclables en fait l'enjeu des prochaines années, notamment là où les volumes sont conséquents : textiles et déchets d'ameublement notamment. « Le potentiel est dans le milieu urbain, où l'habitat est dense, l'off re en déchèteries plus faible, et où les gens n'ont pas tous une voiture », résume Rita Vespier. Autre piste pour changer les comportements : le compostage des déchets organiques. « Contrairement à la majorité des déchets, pour lesquels les habitants ne voient pas la conséquence de leur geste, avec les déchets organiques, on voit le recyclage en compost », souligne Adèle Dubrulle, chargée de mission développement durable chez Paris Habitat, qui gère 120 000 logements en Île-de-France. Une douzaine de sites sont déjà équipés de composteurs en pied d'immeuble, et à chaque fois, entre 10 et 25 % des logements participent. La Ville de Paris a repris la démarche à son compte et accompagne désormais la formation des maîtres composteurs. Ces initiatives montrent qu'il n'y a pas de fatalité aux faibles performances de tri dans les immeubles. « Mais elles montrent aussi qu'améliorer la gestion des déchets nécessite une politique globale, pas seulement axée sur une ou deux catégories de déchets », souligne Olivier Pourchau. Bonne nouvelle : les plans locaux de prévention intègrent souvent des actions en direction de l'habitat collectif.
Pour aller plus loin, il faudrait cependant mieux articuler les Codes de l'environnement et de l'urbanisme. « Les plans locaux de l'habitat prévoient des places de parking pour les vélos, mais rien pour les encombrants. De même, les directions chargées de l'habitat et des déchets des collecti vités ne travaillent pas toujours ensemble », analyse Olivier Pourchau. Petit à petit, les choses bougent. À Lille Métropole, Grenoble Alpes Métropole, Angers Loire Métropole, les projets de constructions passent par les services en charge des déchets. Un moyen de vérifier, notamment, que les conteneurs ne sont pas trop loin des logements – 40 mètres maximum pour ne pas décourager les bonnes volontés ! « Si le dispositif est cohérent, les gens adhèrent », conclut Olivier Pourchau. l