Les délégations de service public des secteurs autres que l'eau, l'assainissement et les ordures ménagères, semblaient jusqu'à présent relativement épargnées par l'encadrement légal de leur durée. L'arrêt rendu le 7 mai 2013 par le Conseil d'État ouvre la voie à la résiliation et à la mise en concurrence du renouvellement des concessions anormalement longues, qui constituent un enjeu économique évident pour un meilleur rapport qualité/prix du service public ainsi qu'un enjeu de recettes pour les finances publiques.
CE 7 mai 2013 Société auxiliaire de parcs de la région parisienne (Sapp) n° 365043
COMMENTAIRE
Le régime de la concession est un régime juridique fort ancien dans notre pays. Il a participé, dans un esprit avant-gardiste à l'émergence d'une certaine forme de partenariat public-privé à la modernisation (1) puis à l'industrialisation de notre pays au fil des siècles (2).
Le contrat de concession fait partie des contrats administratifs, et plus précisemment des délégations de service public. Cette catégorie regroupe également les contrats de régie intéressée et d'affermage (ces derniers pouvant dans une certaine mesure comporter des clauses concessives portant sur la réalisation de travaux). Il porte à la fois sur la construction d'un ouvrage public et sur l'exploitation d'un service public délégué par l'autorité concédante, dont les recettes profitent au concessionnaire. En ce sens, il s'oppose à la notion de marché public où le titulaire du contrat tire sa rémunération d'un prix perçu sur l'administration (3). La première définition moderne de la notion de concession a été offerte par la jurisprudence (4). Le juge administratif et le législateur n'ont cessé depuis les années 1990 d'encadrer la matière, qui s'illustrait auparavant par la grande latitude laissée à l'administration dans la rédaction ou la passation des contrats. Ce contrat s'exerce aux risques et périls du concessionnaire tant sur la partie « construction » que sur la partie « exploitation » du contrat de concession. Le concédant, s'il peut user de certains de ses pouvoirs pour protéger les intérêts de son concessionnaire et donc le choix d'organisation de service public retenu (5), n'a aucune obligation d'agir en ce sens et encore moins dans un sens qui serait contraire aux règles de la concurrence (6). Sa durée est fonction de la masse des investissements et de la nature de l'activité déléguée. La durée est en soi, un point essentiel des contrats de concession.
La loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques dite loi Sapin, puis la loi dite Barnier n° 95101 du 2 février 1995 et enfin la jurisprudence administrative sont venues poser un cadre de plus en plus strict sur la manière dont devait être appréciée la durée. Elles s'intéressent en premier lieu à la durée des contrats concessifs dans les secteurs de l'eau, des déchets et de l'assainissement, que la loi Barnier a fixé à vingt ans en 1995. De nombreux auteurs ont récemment dressé un état des lieux de cette notion, par anticipation des conséquences de ce cadre juridique sur les contrats de concession qui avaient été consentis avant la loi de 1995, mais dont la durée se trouve néanmoins elle-même encadrée par l'effet de la jurisprudence commune d'Olivet (7).
À côté des contrats de délégation de service public des secteurs de l'eau, de l'assainissement et des ordures ménagères, bien d'autres secteurs d'activité sont concernés par des concessions consenties avant la loi Sapin de 1993 : construction de parkings, autoroutes, tunnels, aéroports, ports maritimes et fluviaux… Ces secteurs semblaient jusqu'à présent relativement épargnés par l'encadrement légal de la notion de durée mis en place en 1993. Il n'en est plus rien depuis l'arrêt rendu par le Conseil d'État le 7 mai 2013 Société auxiliaire de parcs de la région parisienne (8).
I. L'appréciation de la durée dans les contrats de nature concessive
La durée dans un contrat de délégation de service public est l'une des clauses essentielles et caractéristiques de ce type de contrat tels que « le prix, la nature des prestations et, s'agissant de concessions, le prix demandé aux usagers » (9). Aux termes de l'article 40 de la loi Sapin du 29 janvier 1993 dans sa version d'origine : « Les conventions de délégation de service public doivent être limitées dans leur durée. Celle-ci est déterminée par la collectivité en fonction des prestations demandées au délégataire. Lorsque les installations sont à la charge du délégataire, la convention de délégation tient compte, pour la détermination de sa durée, de la nature et du montant de l'investissement à réaliser et ne peut dans ce cas dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en œuvre. »
Dès l'origine, le législateur a donc entendu lier la notion de durée à celle des amortissements des installations dont la réalisation est concédée. Cette rédaction a été modifiée par l'article 75 de la loi n° 95-101 du 2 février 1995 qui est venue insérer l'alinéa suivant : « Dans le domaine de l'eau potable, de l'assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, les délégations de service public ne peuvent avoir une durée supérieure à vingt ans sauf examen préalable par le trésorier-payeur général, à l'initiative de l'autorité délégante, des justificatifs de dépassement de cette durée. »
Si le législateur a entendu distinguer du cas général des concessions celui des concessions relatives au secteur de l'eau, de l'assainissement et des déchets pour lesquelles la loi fixe une durée de vingt ans, force est de constater que la loi de 1995 n'a en rien modifié le principe général posé deux ans plus tôt. Longtemps, les grands délégataires de service public d'eau, d'assainissement et de traitement des déchets ont pu estimer que les principes ainsi édictés par la loi ne concernaient que les contrats futurs et ne visaient pas ceux attribués avant l'intervention du législateur. Dans de nombreux cas, ceux-ci s'appuyaient sur les alinéas suivants de l'article 40 de la loi Sapin, pensant pouvoir obtenir par avenant la prolongation de leurs délégations acquises « lorsque le délégataire est contraint, pour la bonne exécution du service public ou l'extension de son champ géographique et à la demande du délégant, de réaliser des investissements matériels ou immatériels non prévus au contrat initial, de nature à modifier l'économie générale de la délégation et qui ne pourraient être amortis pendant la durée de la convention restant à courir que par une augmentation de prix manifestement excessive ». Or, la modification par avenant de la durée de concession constitue en soi une modification d'un élément substantiel du contrat pouvant justifier sa mise en concurrence (10).
L'appréciation de la durée des délégations de service public mettant à charge des investissements, c'est-à-dire les concessions et ce que la jurisprudence appelle les affermages concessifs, est une question complexe. L'approche de cette question est à la fois comptable (quelle est la durée comptable fiscalement admise d'amortissement ?), mais aussi technique (quelle est la durée de vie et de renouvellement des ouvrages ?) et enfin économique (considérant les charges et produits d'exploitation, quelle est la durée raisonnable du contrat au-delà de laquelle le bénéfice du délégataire deviendrait anormal au regard des usagers ?).
Le Conseil d'État a sur cette question une conception pragmatique du lien entre la durée des délégations de service public et le temps de l'amortissement posé par l'article 40 de la loi Sapin. Ainsi, il a pu estimer que la durée d'une délégation de service public pouvait ne pas correspondre exactement à la durée de l'amortissement comptable des investissements réalisés, mais comprendre également celle de l'amortissement des charges d'exploitation du délégataire (11). Pour autant, et par autorité suprême de la loi, le législateur a fixé en 1995, le principe d'une durée maximale de vingt ans applicable aux contrats de concessions des secteurs de l'eau, l'assainissement et les ordures ménagères, exige des personnes publiques de ne pas mettre à charge de leurs délégataires des travaux qui ne pourraient être amortis dans cette période, à moins du versement d'une subvention d'investissement ou de charge publique, lorsqu'elle est admise.
à travers son arrêt de principe du 8 avril 2009 Compagnie générale des eaux, commune d'Olivet, (12), le Conseil d'État a posé le principe de l'application aux conventions en cours des dispositions de la loi Barnier de 1995 limitant à vingt ans la durée des concessions dans le secteur de l'eau. Ainsi, aux termes d'un considérant fort clair, la Haute Assemblée estime que « les dispositions de l'article 40 de la loi du 29 janvier 1993 (modifiée) ne comportent aucune mention expresse prévoyant leur application aux conventions de délégation de service public en cours (…) toutefois, que la loi du 29 janvier 1993 répond à un impératif d'ordre public qui est de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation ; qu'un tel motif d'intérêt général ne saurait, pas plus que la nécessité d'assurer l'égalité de tous les opérateurs économiques délégataires de service public au regard des exigences de la loi, entraîner la nullité des contrats de délégation de service public conclus antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi pour des durées incompatibles avec les dispositions de son article 40, ni contraindre les parties à de tels contrats à modifier leur durée ; qu'il implique en revanche, non seulement qu'aucune stipulation relative à la durée du contrat, convenue entre les parties après la date d'entrée en vigueur de la loi, ne peut méconnaître les exigences prévues par son article 40, mais en outre que les clauses d'une convention de délégation de service public qui auraient pour effet de permettre son exécution pour une durée restant à courir, à compter de la date d'entrée en vigueur de la loi, excédant la durée maximale autorisée par la loi, ne peuvent plus être régulièrement mises en œuvre au-delà de la date à laquelle cette durée maximale est atteinte ».
Ainsi, il résulte de cette jurisprudence que les délégations conclues dans les secteurs de l'eau, de l'assainissement, des ordures ménagères et des autres déchets avant la loi Barnier du 2 février 1995 pour une durée supérieure à vingt ans ne pourront plus être régulièrement exécutées à compter du 3 février 2015 (13), sauf justifications particulières et soumission à l'examen du Directeur départemental des finances publiques pour avis (14).
S'agissant des autres délégations de service public, cette idée d'application à l'ensemble des contrats de concession en cours, quel que soit leur secteur d'activité, a été affirmée il y a peu, sans émotion particulière de la doctrine. Ainsi, le Conseil d'État, intervenant en cassation d'une ordonnance du tribunal administratif de Melun du 21 décembre 2012 a estimé « qu'eu égard à l'impératif d'ordre public imposant de garantir, par une remise en concurrence périodique, la liberté d'accès des opérateurs économiques aux contrats de délégation de service public et la transparence des procédures de passation, la nécessité de mettre fin à une convention dépassant la durée prévue par la loi d'une délégation de service public constitue un motif d'intérêt général justifiant sa résiliation unilatérale par la personne publique, sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge ; que par suite, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit en ne retenant pas comme propre à créer un doute sérieux le moyen tiré de ce que le maire de Fontainebleau ne pouvait constater la “caducité” des contrats litigieux et en prononcer la résiliation unilatérale ; qu'il n'a pas non plus inversé la charge de la preuve » (15). Constatant l'irrégularité d'un contrat du fait de sa durée excessive, le juge administratif a admis en l'espèce le droit de la personne publique de résilier unilatéralement le contrat de délégation de service public. Il s'agissait dans le cas de la commune de Fontainebleau, de la résiliation de deux conventions conclues par elle en 1996 pour une durée de vingt-cinq ans avec la Société auxiliaire de parcs de la région parisienne (Sapp), portant sur la modernisation et l'exploitation de trois parcs de stationnement.
II. La résiliation, même unilatérale de la concession, n'emporte pas droit à indemnisation
On sait que depuis la jurisprudence Commune de Béziers (16) il est plus difficile pour les parties, à commencer par l'administration, de se prévaloir d'une irrégularité qui affecterait la régularité du contrat devant le juge. Il appartient au juge d'apprécier, en pareille circonstance, « après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation ». Dans ce même arrêt, la Haute Assemblée rappelle l'exigence de loyauté qui doit régir les relations contractuelles entre la personne publique et ses cocontractants, rejoignant en cela l'adage civiliste selon lequel nemo auditur propriam turpitudinem allegans (17).
Dès lors, en vertu du principe de loyauté des relations contractuelles le juge saisi d'un litige affectant la légalité d'une concession, n'annulera pas forcément au seul motif de l'illégalité invoquée (18). Ce n'est donc que lorsque de graves vices affectent la passation du contrat que le juge pourra écarter le principe de loyauté des relations contractuelles (19). La durée excessive d'une concession peut constituer un motif légitime d'intérêt général justifiant sa résiliation car il s'agit là d'un élément central du contrat de délégation, comme l'a jugé la cour administrative d'appel de Nancy le 17 janvier 2013 dans son arrêt Société Vivendi (20). Dans ce cas d'espèce, la cour pousse son raisonnement jusqu'à considérer que le fait même que la convention ait eu une durée anormalement longue fait obstacle à toute indemnisation, alors même que la résiliation est unilatérale. Ainsi estime-t-elle que « le motif même de la résiliation de la convention fait obstacle à ce que la société Vivendi soit indemnisée, ainsi qu'elle le demande, du préjudice résultant du manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation ». Relevons qu'en cas de résiliation conventionnelle, la personne publique délégante ne saurait pour éviter un éventuel contentieux avec le délégataire évincé, octroyer une indemnisation indue en vertu du principe d'interdiction de consentir des libéralités qui s'impose aux personnes publiques (21). En réalité, le concessionnaire évincé n'a droit à une indemnisation couvrant l'intégralité du préjudice subi qu'au titre du montant des investissements non amortis et du manque à gagner lorsqu'il est mis un terme au contrat pour un motif d'intérêt général (22). Ceci étant, dans son arrêt Vivendi du 17 janvier 2013 susvisé, la cour considère que le motif même de la résiliation fait obstacle à l'indemnisation du préjudice résultant du manque à gagner pour la période postérieure à la résiliation.
Les concessions de longue durée sont extrêmement nombreuses dans notre pays. Les plus grands ouvrages modernes, le tunnel sous la Manche (concession de quatre-vingt-dix-neuf ans), le pont de Millau (concession de soixante-dixhuit ans) (23), le Stade de France (trente ans) et bien d'autres permettent la modernisation de notre pays. Ces durées fort longues sont une caractéristique même des contrats dans la mesure où il s'agit de confier à des entités tierces (généralement privées) une charge d'investissement importante et parfois risquée (les actionnaires du tunnel sous la manche ou avant eux, ceux des canaux de Suez et Panama ont subi les aléas de l'histoire économique des hommes).
Pour autant, comme l'a noté la Cour des comptes dans un référé n° 67194 du 21 juin 2013 (24), en tardant à agir en matière de remise en concurrence des concessions de production d'hydroélectricité, l'État se prive d'importantes ressources que la Cour chiffre à 600 millions d'ici 2020. Or, si les barrages de la Compagnie nationale du Rhône génèrent une redevance de 24 % de leur chiffre d'affaires depuis 2001, les concessions d'Edf ne produisent aucune recette à l'autorité délégante, bien qu'un grand nombre de barrages hydroélectriques soient largement amortis. L'arrêt Saap du 7 mai 2013 ouvre la voie à la de résiliation et à la mise en concurrence du renouvellement des concessions anormalement longues (concessions d'autoroutes, aérodromes, ports maritimes ou fluviaux, parcs de stationnement, etc.). Il s'agit d'un enjeu économique évident, pour un meilleur rapport qualité/prix du service public rendu aux usagers, comme d'un enjeu de recettes pour des finances publiques, qui en ont plus que besoin de nos jours.