1Se repérer dans un paysage complexe En vingt ans, près de vingt filières REP ont vu le jour. Toutes n'impliquent pas une participation active des collectivités locales, mais une dizaine au moins leur sont devenues familières.
On parle de paradoxe du modèle français de responsabilité élargie du producteur (REP). D'un côté, le système a fait la preuve de son efficacité en faisant entrer le recyclage dans la vie des Français. De l'autre, les collectivités, acteurs majeurs de la collecte et du tri, se plaignent de la lourdeur des dispositifs. Il est indiscutable que les filières, une vingtaine au total, ont largement contribué à l'essor considérable du recyclage. La moitié d'entre elles impliquent, à des degrés plus ou moins importants, la participation des collectivités : emballages ménagers, déchets d'équipements électriques et électroniques (D3E) et lampes, piles et accumulateurs, textiles, pneus, papiers (lire tableau ci-dessous). À cette liste se sont ajoutés, l'année dernière, les déchets d'ameublement (DEA), les déchets diffus spécifiques (DDS, les déchets dangereux des ménages). Parmi les évolutions récentes ayant globalement eu un effet positif, on peut citer le barème de soutien pour les emballages, en vigueur depuis trois ans, dit barème E : la plu part des collectivités ont vu leur soutien augmenter, jusqu'à + 50 % pour les plus performantes.
Malgré ces sujets de satisfaction, les élus locaux dressent souvent un bilan critique de la manière dont les filières REP sont organisées. Le dispositif apparaît en effet complexe, peu lisible, tant pour les élus que pour les usagers. « Un vrai brouillard », confirme Jean-Yves Menou, président du Smitred Ouest d'Armor. L'enjeu du basculement d'une part conséquente de la charge financière de gestion des déchets du contribuable vers le consommateur est loin d'être atteint. La montée en charge des filières s'est faite par simple empilement des dispositifs, sans recherche de cohérence, chacune avec ses règles et son mode de fonctionnement. Conséquence : les collectivités sont en passe d'étouffer sous le poids de la gestion des relations avec les éco-organismes. « À l'heure où l'on parle sans cesse de simplification administrative, on ne peut pas en être plus loin : c'est insupportable, en particulier pour les collectivités rurales », estime Roger Le Goff, maire de Fouesnant-lès-Glénan, dans le Finistère. Autre motif de grogne des élus : le sentiment d'être dépouillé de leur libre arbitre. Le Conseil d'État a jugé, le 12 juin 2012, que le dispositif des éco-organismes ne viole pas le principe de libre administration des collectivités territoriales. « Pour autant, il y a un sen timent de malaise des élus face à un dispositif qui s'est centralisé », remarque Arnaud Gossement, avocat spécialiste du droit de l'environnement.
Les règles fixées par les éco-organismes limitent en effet les capacités d'initiatives et de choix des collectivités. C'est particulièrement le cas avec les filières opérationnelles, dans lesquelles les éco-organismes organisent l'enlèvement et le traitement, gèrent les contrats avec les opérateurs, etc. D'aucuns disent, de manière provocatrice, que la collectivité devient alors « un prestataire », qui « vend des tonnes » à l'éco-organisme. En outre, les filières opérationnelles apparaissent peu compatibles avec les circuits courts, porteurs d'emploi local, auquel les élus sont attachés : l'industrialisation et les économies d'échelle conduisent en effet les éco-organismes à positionner les infrastructures (centre de démantèlement, etc.) à une échelle départementale, voire au-delà. Les REP dites financières, dans lesquelles l'éco-organisme indemnise la collectivité qui assure la gestion opérationnelle, n'échappent pas à la critique sur l'étroitesse des marges de manœuvre. Les contrats ne sont pas amendables, et les barèmes pénalisent certains choix organisationnels. En effet, puisqu'ils financent une part importante de la charge, les éco-organismes veulent garantir l'utilisation optimale de l'argent et s'assurer de la maîtrise des coûts. Cela les amène à être assez pressants sur l'organisation de la gestion des déchets.
Certaines collectivités n'apprécient pas que, depuis des années, Eco-emballages les pousse à revenir à une collecte du verre en apport volontaire, quand elles ont fait le choix du porte-à-porte. Parmi les bizarreries des REP, il faut souligner que les éco-organismes sont des ovnis juridiques. « Ils s'inscrivent dans un système administré, avec cahier des charges et agrément, mais ce sont des sociétés commerciales agissant dans un environnement concurrentiel, rappelle Arnaud Gossement. Ils passent des appels d'offres privés, mais qui doivent présenter le niveau de garantie de marchés publics. Leur activité quotidienne relève d'un casse-tête : respecter le droit de la concurrence, éviter les abus de position dominante, les prises illégales d'intérêt, en honorant un cahier des charges qui les amène à agir à l'inverse de ces principes. » La nature des contrats signés avec les collectivités n'est pas non plus bien claire : selon les cas, ils sont dits de droit public, privé ou, prudents, prévoient que les litiges se trancheront « devant la juridiction compétente ». Enfin, le statut juridique des soutiens versés aux collectivités est, lui aussi, douteux. Les services fiscaux les considèrent comme des subventions de fonctionnement, ce qui justifie l'absence de TVA. Mais un taux de subvention de 80 ou 100 % est dérogatoire au regard des pratiques habituelles.
2Gérer les relations au quotidien Assumer le suivi des contrats avec de nombreux éco-organismes exige du temps et beaucoup d'expertise. Retours d'expérience.
Lourde tâche que la gestion des relations avec les éco-organismes. Que les collectivités choisissent de centraliser dans les mains d'une personne la gestion des contrats ou de répartir cette mission entre des responsables opérationnels, les procédures propres à chaque éco-organisme complexifient le travail. « C'est dur, en particulier pour les petites intercommunalités, d'où la demande récurrente d'harmonisation », rappelle Bertrand Bohain, délégué général du Cercle national du recyclage (CNR). Les difficultés rencontrées avec les éco-organismes ne sont pas les mêmes selon que la REP est opérationnelle ou financière. Sur les filières opérationnelles (D3E, lampes, etc.), les collectivités subissent les choix des éco-organismes : le principal point de friction réside dans l'enlèvement en déchèteries.
Certains éco-organismes ont un système de ramassage souple, apprécié des collectivités : enlèvements programmés réguliers, possibilité de déclencher en urgence des collectes supplémentaires et de régulariser a posteriori. D'autres sont rigides : ils imposent, à chaque fois, une demande d'enlèvement, sans anticiper le remplissage (si les contenants ne sont pas pleins, le prestataire ne les prend pas). À partir du déclenchement, l'attente peut être longue. Et si, du coup, le bac déborde, le prestataire ne prend généralement pas le surplus. « Avec la nouvelle réglementation sur les déchèteries, nous courrons le risque de nous faire aligner par la Dreal pour dépassement des quantités autorisées sur le site », explique Jonathan Decottignies, directeur de cabinet au Symideme, dans le Nord.
Dans ce contexte, le démarrage d'autres filières opérationnelles inquiétait les collectivités. Avec raison : les premiers retours d'expérience indiquent que le système d'enlèvement mis en place par EcoDDS est très rigide. Au Siredom, dans l'Essonne, chaque déchèterie nécessite deux à trois enlèvements par semaine. Avec quatorze sites, l'exploitant passe son temps à déclencher des enlèvements. L'extranet d'EcoDDS ne permet pas de faire plusieurs demandes en même temps. Et, en plus, il faut envoyer en parallèle un mail pour prévenir que deux demandes ne constituent pas un doublon, etc. D'autres critiques sont déjà formulées. « EcoDDS nous a clairement dit : “pas de rencontre physique”. C'est inédit », ajoute Marianne Jacquet, responsable du service déchèteries au Siredom. « Sans échanges sur place pour aplanir les difficultés, la mise en route est forcément compliquée », corrobore Nicolas Pieraut, responsable collecte au Smictom d'Alsace centrale. « Tout ou presque est délégué au prestataire, auprès de qui on glane l'information pour essayer de gérer les difficultés. » Les deux collectivités ont même dû former les gardiens de déchèteries aux nouveaux fonctionnements, l'éco-organisme n'ayant pas réussi à assurer, avant le démarrage opérationnel, la formation promise dans les contrats. C'est pourtant un enjeu stratégique compte tenu de l'obligation de séparation des déchets hors périmètre d'Eco-DDS.
Sur les meubles, le système mis en place par Eco-mobilier semble plus réactif et permet d'espérer, une fois les flux un peu stabilisés, des enlèvements réguliers planifiés. En revanche, la filière est victime de son succès. « En 2013, nous avons reçu des demandes de contractualisation de collectivités représentant 44 millions d'habitants, alors que le budget pouvait en couvrir au maximum 22 millions », explique Dominique Mignon, la directrice générale de l'éco-organisme. Conséquence : une règle de montée en charge progressive sur cinq ans, par paliers annuels de 20 % des tonnages, a été instaurée.
Par ailleurs, alors que sur cette filière les collectivités peuvent choisir un contrat correspondant à une REP opérationnelle ou financière, Eco-mobilier rechigne à signer cette dernière. Et si elle n'est pas avantageuse économiquement pour les collectivités, une dizaine sont candidates comme le Smitred Ouest d'Armor qui veut maintenir son circuit de proximité de recyclage du bois. « On n'exclut pas d'aller au tribunal pour les obliger à respecter la loi », prévient Jean-Yves Menou, président du Smitred.
Sur les filières financières, les collectivités ont, en théorie, toute liberté pour organiser la collecte. La pomme de discorde réside alors dans le reporting, qui conditionne le versement de l'argent. La situation est toutefois très différente, selon qu'il s'agit des papiers ou des emballages. Les relations avec Ecofolio sont jugées plutôt « simples » : un déclaratif à faire par an, un nombre modéré de données à fournir, un contrôle raisonné des justificatifs, une solution rapide trouvée par le dialogue à la plupart des problèmes.
Mais avec la filière des emballages, c'est différent. « Le moindre grain de sable dans les rouages peut prendre des mois à être résolu. On nous demande par exemple de justifier la traçabilité des matériaux jusqu'à l'utilisateur final. Nous ne disposons que des justificatifs que le prestataire nous fournit : si celui qui a acheté les matériaux les a revendus, le prestataire ne peut justifier la traçabilité jusqu'à l'utilisateur final, et nous encore moins », explique Jonathan Decottignies. Avec le barème E, la quasi-totalité des soutiens est déterminée en fonction des tonnes recyclées, y compris les soutiens à la communication. Le dispositif comprend un effet multiplicateur : plus le niveau de performance de la collectivité est élevé, plus la tonne est payée cher. Des acomptes trimestriels sont versés, mais il arrive couramment qu'Eco-emballages bloque le liquidatif, jusqu'à éradication complète de toute zone d'ombre. Autre particularité de cette filière : le soutien au développement durable (SDD), facultatif, mais particulièrement ardu à obtenir. Il s'agit d'atteindre des cibles économiques, environnementales et sociales, pour augmenter de 4 à 8 % les soutiens unitaires. Les témoignages concordent sur la corvée que constitue la déclaration spécifique relative à ce soutien et la difficulté à produire la multitude de données requises, tout particulièrement pour les syndicats de traitement (informations à récupérer auprès des adhérents, sur le parc de bacs, les accidents avec arrêt de travail, etc.). Pour l'année 2012, sur 1 139 collectivités sous contrat, 689 ont rempli la déclaration. Plusieurs critères défavorisent en effet certains profils. Par exemple, il n'y a quasiment que la collecte en apport volontaire qui permette de respecter les cibles « coût complet de la collecte sélective inférieure à 204 euros par tonne triée » ou « taux de refus inférieur à 5,8 kg/hab/an ». Pour certaines collectivités, le jeu n'en vaut pas la chandelle. Pas pour toutes : « Cela nous prend en gros une journée, à quatre personnes, pour 80 000 euros de soutien en plus », calcule Jean-Luc Patris, directeur général des services du Smictom d'Alsace centrale.
Devenir partenaire Participer à des expérimentations ou des opérations pilotes, c'est l'occasion de sortir 3 de la routine des contrats et d'établir des échanges plus enrichissants.
L'expérimentation sur l'extension des consignes de tri des plastiques pilotée par Eco-emballages sur les trois dernières années a concerné 51 collectivités et 3,7 millions d'habitants. Cette année, une autre expérimentation a été engagée par Eco-emballages et Adelphe sur le développement du recyclage des petits emballages en métal : le projet métal. Au plan juridique, ce type d'opérations peut influencer en profondeur les conditions du contrat, générer des coûts supplémentaires, etc. Il convient donc de signer un avenant. Mais parfois, il est question de tests de moindre envergure, s'inscrivant dans une simple logique de coopération. Eco-systèmes vient par exemple de confier à un bureau d'études une mission pour tester un marquage de gros électroménager, pour laquelle il a besoin de la collaboration de collectivités. Globalement, ces opérations sont une chance d'instaurer un dialogue entre la collectivité et l'éco-organisme qui dépasse les relations contractuelles. Le même constat peut être fait s'agissant de la collectivité et des prestataires assurant la gestion des déchets, dont les rapports prennent, eux aussi, une autre dimension en mode projet. « Bref, expérimenter est souvent constructif, instructif, enrichissant et formateur pour tout le monde. Et c'est un changement de perspective qui n'est pas dénué de résonances ultérieures : les relations restent plus riches après », précise Gérard Miquel, sénateur du Lot et président du Conseil national des déchets.
L'intérêt financier peut ne pas être négligeable. Ainsi, certaines collectivités, dont le Symideme et le Sydom du Jura, ont bénéficié de soutiens d'Eco-emballages pour la collecte des films, dans le cadre d'un accord en marge de l'expérimentation sur le plastique.
Pour le projet métal, les collectivités sélectionnées recevront un soutien financier d'Eco-emballages pour chaque tonne triée et recyclée, et un soutien complémentaire de la société Nespresso. « C'est vrai que l'intérêt financier peut être stimulant : pour les films, cela a représenté environ 20 000 euros, pour un flux financé auparavant à fonds perdu, reconnaît Jonathan Decottignies, directeur de cabinet au Symideme. Mais il y a souvent d'autres motivations, la volonté d'apporter un plus, en termes de service rendu à la population, par exemple. Et puis il ne faut pas sous-estimer ce que cela implique en termes de suivi, de reporting, de contraintes. Il faut disposer d'un minimum de moyens humains et techniques pour se lancer. Et puis il y a toujours un risque, même s'il est généralement assez cadré, d'essuyer des plâtres. »