1 S'iNtéGrer au Milieu Naturel
Pour avoir une chance de se concrétiser, les projets de parcs photovoltaïques au sol doivent démontrer leurs qualités du point de vue de l'intégration paysagère et de la préservation des milieux.
Les parcs photovoltaïques au sol sont gourmands en espace et ils ont un impact sur leur environnement naturel, c'est indéniable. « Mais une centrale solaire peut assez facilement se noyer dans le paysage en épousant le relief, défend Daniel Bour, président de la Générale du solaire. Au niveau du sol, il est fréquent, même en étant juste à côté, de ne pas remarquer au premier coup d'œil l'installation. » Pour s'intégrer au milieu naturel, un parc photovoltaïque peut en effet compter sur plusieurs atouts intrinsèques, comme la faible hauteur des panneaux, la discrétion de leur couleur gris-bleu ou, à l'inverse de l'éolien, l'absence de mouvement. Mais les développeurs peuvent aussi faire des efforts, par exemple avec des outils informatiques de simulation et de micropositionnement, pour limiter encore davantage l'impact de leur projet. L'intérêt n'est d'ailleurs pas seulement esthétique. « L'intégration paysagère joue un rôle en matière d'écoulements », témoigne Éric Scotto, président du groupe Akuo Energy. Ainsi, sur son parc de 2,1 MW de Pierrefonds, inauguré en 2011 à La Réunion, Akuo a dû faire face aux fortes et fréquentes pluies. L'entreprise a donc laissé intacte la topographie vallonnée du lieu pour respecter les écoulements d'eau naturels. « Cela dégrade la production d'environ 3 %, mais nous mettons ainsi en sécurité le parc et son environnement. Pour l'instant, les faits nous donnent raison : la centrale n'a pas souffert d'inondations », constate Éric Scotto. Plus lar gement, l'impact écologique d'un parc photovoltaïque a suscité des controverses. D'un côté, certains estiment que la pose des modules n'est préjudiciable ni pour le sol ni pour l'écosystème, car elle ne nécessite pas de travaux lourds de génie civil, pas même de fondations. Mais, d'un autre côté, des détracteurs avancent par exemple que la surface des modules risque d'être confondue avec une étendue d'eau par les oiseaux aquatiques.
Une crainte qu'une étude menée en Allemagne sur un parc mitoyen d'un immense bassin de retenue a invalidée. La réalité est que la profession manque de recul sur la résilience des milieux face à ces installations. Les suivis floristiques et faunistiques les plus anciens datent tout au plus de cinq ans. On peut néanmoins affirmer que les visions catégoriques, dans un sens comme dans l'autre, ont toutes les chances d'être fausses : les parcs photovoltaïques ont, en phase de chantier puis d'exploitation, des conséquences sur l'environnement. Elles peuvent être négatives, mais parfois aussi positives. En bas des champs de modules, il y a notamment un risque d'érosion hydraulique, ainsi qu'une possible modification des biotopes qui composent la couverture végétale. Ceci dit, la création de zones ombragées sous les rangées de panneaux peut favoriser certaines espèces animales. Autre exemple, les impératifs d'isoler le site constituent l'une des plus fortes pressions sur l'écosystème local, en bloquant les migrations de la faune. Mais des mesures compen satrices peuvent être prises. Citons, par exemple, la pose de dispositifs de passage au niveau des clôtures ou la conservation d'îlots entre les tranches d'une centrale pour composer des corridors biologiques. C'est le choix fait sur le gigantesque parc de Toul-Rosières, mis en service par EDF Énergies nouvelles en Meurthe-et-Moselle où les panneaux couvrent 120 ha. Enfin, des éléments scientifiques attestent désormais qu'une installation faisant l'objet de mesures d'accompagnement peut contribuer à rouvrir des milieux, garrigues ou forêts, que la disparition des activités humaines traditionnelles avait condamné à l'étouffement, comme sur le projet de Belvézet (lire encadré).
Dans tous les cas, l'impact d'un parc solaire, même si son écosystème n'est pas considéré comme exceptionnel, n'est jamais neutre. C'est la raison pour laquelle la réglementation française écarte les espaces naturels protégés des territoires sur lesquels une centrale photovoltaïque peut être implantée. Elle impose aussi une étude d'impact pour les projets dont la puissance dépasse 250 kWc. « Notre métier consiste à produire de l'énergie. Pour l'approche environnementale et l'étude d'impact, nous faisons appel à des bureaux d'études spécialisés », indique Marc Watrin, directeur de Tenergie. Les recommandations issues des inventaires de la faune, de la flore et des milieux aident à affiner les projets et à déterminer l'emplacement précis des modules. Elles permettent ainsi de réduire l'empreinte du parc, d'éviter ou de contourner les zones à forts enjeux écologiques, et servent de base à la définition de mesures compensatoires.
Bien que relativement jeune, le métier de porteur de projet photovoltaïque a déjà beaucoup évolué sur ces aspects environnementaux. « Puisque notre objectif est d'arriver le plus rapidement possible en production, le faible enjeu écologique et paysager est devenu l'un de nos premiers critères au moment de la prospection d'un site », confirme Marc Watrin. En s'économisant les ennuis d'acceptabilité et en minimisant le risque de recours, cette option fait gagner un temps non négligeable lors du montage d'un dossier. « Chez Tenergie, nous privilégions les sites pollués, les anciennes décharges ou les carrières… », illustre-t-il. L'entreprise a ouvert l'an dernier une centrale sur un site d'enfouissement à Sevignacq, près de Pau, et compte poursuivre sur cette voie. Un mot d'ordre qui est celui d'un nombre croissant de développeurs de projet. « Nous allons bientôt mettre en service une centrale de 3,5 MWc avec traqueurs sur un site, près d'Avignon, où la SNCF déposait ses gravats », témoigne Daniel Bour, de la Générale du solaire. Et pour cause, l'opposition aux centrales solaires s'est structurée contre l'implantation de parcs en zones agricoles, à l'exception des zones de déprise. Du point de vue des écologues, les friches agricoles sont des zones très riches qu'il faudrait également éviter. Reste les surfaces dégradées, sites d'enfouissement, terrains pollués… « Le souci, c'est qu'il n'y a pas, sur la côte méditerranéenne en tout cas, là où l'ensoleillement est le meilleur, suffisamment de terrains de ce type mobilisables », constate Julien Viglione. On en revient donc toujours aux espaces naturels. l
2 éCONOMiSer l'eSPaCe
Pour minimiser les conflits d'usages, le photovoltaïque peut se combiner à d'autres activités. Ou bien servir à la conversion de sites dégradés qui ne se prêtent pas à d'autres utilisations.
Un enjeu essentiel pour les centrales photovoltaïques réside dans la concurrence avec les usages alimentaires des sols. Un chiffre incite certes à relativiser : les quelque milliers d'hectares que devraient occuper les centrales solaires en 2020 représenteront seulement entre 0,01 et 0,02 % de la surface agricole utile française (SAU). Mais les parcs n'ont pas pour autant vocation à prendre la place de surfaces labourables et cultivables. C'est le principe rappelé par la circulaire du ministère de l'Environnement du 18 décembre 2009. Elle permet d'envisager une implantation sur « des terrains n'ayant pas fait l'objet d'un usage agricole dans une période récente ». Seulement, l'interprétation de ce texte varie d'un département à l'autre : certaines préfectures sont très strictes, tandis que d'autres se montrent peu regardantes. « Parfois, l'appréciation faite du classement du terrain et de l'historique des activités qui s'y sont tenues n'obéit à aucune règle claire, regrette Daniel Bour, président de la Générale du solaire. Il faudrait appliquer partout un principe transparent et de bon sens, par exemple l'absence d'activité agricole sur le site depuis cinq ans. »
Certains préfets ont tranché, comme dans les Hautes-Alpes où a été établie une cartographie des terres agricoles de bonne valeur agronomique n'ayant pas vocation à accueillir des centrales au sol. Pour éviter les conflits d'usage, une solution passe par la diversification des fonctions des parcs photovoltaïques. Les modules ne monopolisent en effet qu'une partie des terrains occupés. La production d'électricité s'avère donc tout à fait compatible avec l'élevage extensif de vaches ou de moutons par exemple, avec l'apiculture, de petites cultures maraîchères, etc.
Ce principe constitue le cœur de métier d'Akuo Energy, promoteur du concept « agrinergie », c'est-à-dire de la synergie entre énergie solaire et agriculture. Le développement de ce groupe dans le photovoltaïque au sol s'est fait avec le souci de ne pas accroître la concurrence sur des sites dont la mission première est de nourrir les populations. « Aujourd'hui, notamment dans les territoires insulaires, la pression foncière empêche les agriculteurs d'accéder à la terre, constate Éric Scotto, le président d'Akuo. Nous montons donc des projets sur lesquels la moitié de la surface du terrain est restituée à un agriculteur pour un euro symbolique. » À La Réunion, sur le parc de Pierrefonds, un agriculteur a planté de la citronnelle. Sur d'autres projets insulaires, c'est du géranium Bourbon, espèce très prisée des parfumeurs, ou encore une variété très qualitative de fruits de la passion. Revers de médaille : sur l'appel d'offres CRE2, dont l'attribution s'est faite surtout en fonction de la rentabilité, aucune proposition d'Akuo Energy n'a été retenue. « Évidemment, notre activité est un peu moins rentable que celle de nos concurrents : c'est un choix, pour favoriser l'émergence d'un nouveau modèle, assume Éric Scotto. Nous ne désespérons pas d'être sélectionnés lors du prochain appel d'offres de la Commission de régulation de l'énergie. »
La révélation des lauréats du dernier appel d'offres a fait beaucoup d'autres déçus. Des porteurs de projets réclament d'ailleurs que le prochain valorise les aspects relatifs à la qualité écologique du dossier et à l'intelligence de l'utilisation de l'espace. « Pour être honnête, je pense que c'est un critère sur lequel chacun d'entre nous vise une note maximale de 10/10. Si nous sommes bons sur cet aspect, la discrimination se fait ensuite sur l'ensoleillement. Je veux croire qu'un parc qui aurait une rentabilité maximale, mais une mauvaise note environnementale, ne passera pas », espère Marc Watrin, directeur de Tenergie. De fait, les porteurs de projet classique intègrent eux aussi le multiactivité sur les parcs. Trois des quatre centrales mises en service par Photosol en fin d'année dernière dans le Lot, le Cantal et l'Allier, pour une puissance totale de 48 MWc, ont été aménagées pour permettre un pâturage ovin sous les panneaux. Même chose pour le grand parc des Mées, de 24 MW, ouvert par Solairedirect dans les Alpes-de-Haute-Provence. Les moutons, extrêmement efficaces pour le défrichage, paissent sur presque tous les installations de Tenergie et de la Générale du solaire. Autre exemple, sur la commune d'Ortaffa, dans les Pyrénées-Orientales, un parc porté par Juwi EnR a été inauguré cet été (puissance 25 MWc) : il est implanté sur un terrain à faible valeur agronomique, principalement des friches viticoles. « Outre les activités d'apiculture et d'élevage qu'il accueille, il a conduit à replanter 43 hectares de vignes sur de meilleurs terroirs », présente Nicolas Pagès, directeur général de Juwi EnR.
L'autre option, pour économiser de l'espace, est évidemment de transformer en centrale solaire un site dégradé. Toutes sortes d'espaces impropres à l'agriculture peuvent convenir : terrains vagues, friches industrielles, zones polluées, abords d'infrastructures routières ou ferroviaires, décharges fermées, terrils, carrières… Le projet de Toul-Rosières (puissance 115 MWc), en Meurthe-et-Moselle, est ainsi parti de la volonté locale de reconvertir une base aérienne désaffectée. « Ce parc constitue une ambitieuse opération de reconversion, qui a permis de dépolluer le site tout en lui offrant une seconde vocation », souligne Yvon André, directeur général délégué France d'EDF Énergies nouvelles. La centrale cumule les bons points malgré sa taille, puisque l'activité pastorale y a été maintenue. Autre opération originale : le projet Barzour d'Akuo Energy, à La Réunion, d'une puissance de 9 MWc avec stockage, trouve sa place sur du foncier inutilisé appartenant à une prison. Il permettra la réinsertion de 240 détenus pendant la durée d'exploitation, grâce à des formations à la construction, au maraîchage raisonné et à l'apiculture. l
3 S'assurer de la réversibilité
Le démantèlement de la centrale en fin de vie et la remise en état du site doivent être prévus, jusqu'au recyclage des panneaux. Deux opérations à penser dès la conception du projet.
L'implantation d'un parc photovoltaïque est considérée comme une opération réversible par nature. Dans la majorité des baux de location, et a fortiori dans les conventions d'occupation du domaine public, un engagement de remise en état du terrain est inscrit en toutes lettres. De plus, dans le cadre des appels d'offres au-delà de 250 kWc, il est demandé aux candidats de constituer une garantie financière de démantèlement d'un montant de 30 000 euros par mégawatt. Cette obligation vise aussi bien le démontage que la remise en état du site et le recyclage des modules photovoltaïques (lire encadré).
« Au plan technique, le démantèlement ne pose aucune difficulté », affirme Marc Watrin, directeur de Tenergie. En effet, l'ancrage dans la terre des structures porteuses des modules est réalisé sans travaux lourds. Il se fait le plus souvent avec des « pieux battus », une solution qui préserve relativement les sols, ou des lests, constitués par des plots de bétons reposant à même le sol. Ces derniers sont à privilégier dans le cas d'anciennes décharges, la fixation se faisant en fonction des circuits de collecte du biogaz et des lixiviats.
S'agissant des tranchées pour les câbles de connexion, elles n'ont pas besoin d'être profondes, ni très larges. Quant aux bâtiments techniques abritant notamment les transformateurs et les départs de ligne, ils sont en général de surface réduite et dépourvus de fondations. « Le coût du démontage d'une centrale est essentiellement celui de la main-d'œuvre, précise Ludovic Izoird, directeur technique de Tenergie. Sur une centrale de 20 MW, il faut compter environ 250 000 euros, dont il faudra sans doute déduire des recettes liées à la revente de matières, comme les câbles, voire les modules. »
Mais la filière n'en est pas encore là : la mise en service des parcs au sol n'a réellement démarré qu'à partir de 2006. Il faudra donc attendre au moins dix ans avant d'entrer dans le vif du sujet de la remise en état. « D'autant que vingt ans, ce n'est pas la durée de vie réelle d'une centrale solaire, juste la durée des contrats. Rien ne dit qu'une fois amorties, les centrales ne continueront pas à produire », prévient Daniel Bour, président de la Générale du solaire. Une des questions qui se posera alors sera celle de la définition précise du retour à l'état d'origine ou à l'état naturel. Les parcs installés sur des sites dégradés laisseront, pour certains, un véritable bonus en héritage. Ce sera le cas de la centrale de Toul-Rosières, qui permettra à la communauté de communes Vals de Moselle et de l'Esch de retrouver à terme l'usage de terrains dépollués et restaurés. L'opération a en effet conduit à déconstruire 280 bâtiments de l'ancienne base aérienne, à en désamianter 170, à supprimer des routes goudronnées et à évacuer 8 000 tonnes de terres polluées… l