RR : Quels sont les besoins des entreprises françaises de recyclage ?
Christophe Rouvière : Nous avons un tissu industriel constitué de grands groupes, mais surtout de PME et TPE qui n'ont pas les mêmes moyens pour démarrer leur activité innovante, d'autant plus lorsqu'elles sont en rupture technologique. Alors que les grands groupes ont le financement initial, le personnel et les outils matériels pour se tenir informés des aides publiques nationales (appels d'offres, AMI, trophées de l'innovation…) ou européennes (programme Life) et monter des dossiers de candidature, les entreprises de petite taille n'ont pas toujours le temps ni les connaissances nécessaires pour solliciter ces soutiens financiers. Les dirigeants politiques de tous bords disent qu'il faut réindustrialiser la France. Néanmoins, on constate que depuis une dizaine d'années, de nom-breuses sociétés disposant de brevets ou de procédés en gestation ne parviennent pas à financer leur démonstrateur industriel. L'État français veut bien les aider à remplir cette tâche à condition qu'un investisseur privé serve de leader du tour de table. Pour les startup, les choses se compliquent dès le démarrage, car leurs projets impliquent une forte prise de risque financier dans la phase de pré-revenus, que les banques ne veulent plus supporter. D'ailleurs, depuis environ quatre ans, il n'y a plus de capital privé pour innover dans les éco-industries. À la suite de la crise financière de 2007, un mouvement généralisé de retrait du capital-risque du monde financier s'est instauré avec les accords de Bâle III pour les banques, en 2010, et l'entrée en vigueur de Solvency II, début 2014, pour les compagnies d'assurances. Les banques se replient sur des placements moins risqués, dans le capital de transmission par exemple, tout le contraire du capital-risque tourné vers l'avenir et l'innovation. Au fond, l'idée n'est pas tant d'aller chercher des financiers pour lancer son activité ; l'entreprise innovante, surtout si elle est en rupture technologique, a besoin d'un partenaire industriel.
RR : Les outils proposés sont-ils satisfaisants et suffisants ?
C.R. : Nous évoluons dans une situation paradoxale. La France se place au 6e rang mondial dans la R & D, mais seulement au 22e rang sur le plan de l'innovation. Nos grands laboratoires de recherche publique ont plein de brevets qui prennent la poussière dans des tiroirs, car ils ne réunissent pas autour d'eux les moyens financiers et humains pour déboucher sur des applications industrielles. Autre contradiction : la mise à disposition de moult aides et structures publiques (Ademe, BPI, pôle de compétitivité, AAP des éco-organismes…) pour accompagner les entreprises, mais qui, souvent, n'entrent pas en résonance avec les besoins réels. Le facteur temps se révèle également être un handicap. Alors que l'horizon d'investissement des fonds publics et privés varie entre quatre et cinq ans, dans le secteur des écotechnologies, la mise sur le marché est relativement longue selon le niveau de complexité, parfois de l'ordre de la dizaine d'années. Au lieu de faire confiance aux entreprises, l'État propose ses aides en imposant des thématiques et des cahiers des charges très stricts qui ne correspondent pas toujours aux besoins ou aux projets des entreprises. On impose un schéma fermé avec, comme dans le cas d'un AMI (appel à manifestation d'intérêt), une date de début et de fin de projet. Cela n'est pas du tout la réalité d'une entreprise ou d'une innovation en devenir. Principale conséquence de cette situation, les AMI ou AAP (appel à projets) de l'État profitent surtout aux grands groupes qui n'ont pas l'urgence des petites entreprises ou des start-up et qui ne peuvent pas par ailleurs bénéficier du soutien des banques et des crédits d'impôt. On aboutit alors à une autre forme de pa radoxe : celui d'attribuer des aides publiques aux entreprises déjà installées et financièrement solides. Autre conséquence, en raison de cette sous-capitalisation des entreprises françaises, les plus innovantes d'entre elles sont amenées à recourir à des fonds étrangers, ce qui demeure complexe à gérer et peut entraîner une délocalisation. Cependant, il faut reconnaître que depuis deux ans, la situation évolue dans le bon sens.
RR : Quelles actions plus appropriées pourraient être lancées ?
C.R. : Nous avons de beaux outils sur le plan régional comme les pôles de compé ti ti-vi té, des antennes de l'Ademe qui disposent d'une vraie expertise métier. Mais ils leur manquent le nerf de la guerre : l'argent. Le véritable enjeu pour les années à venir est d'ancrer les soutiens au cœur des territoires en créant des fonds régionaux. Certains fonctionnent déjà et révèlent un potentiel dynamisant pour l'activité économique et l'emploi. Toutefois, ils restent concentrés dans de grandes régions comme Paris ou Rhône-Alpes. L'idée est de multiplier ces dynamiques, comme c'est le cas ac tuel lement en Lorraine. Les élus ont pris à bras-le-corps leur territoire sinistré économiquement en jouant l'interface entre les universités, les acteurs économiques locaux et de nouvelles entreprises qui souhaitent s'implanter. Gardant à l'esprit leur spécificité industrielle régionale (sidérurgie, métallurgie, énergie et matériaux), ils se démènent pour attirer des entreprises innovantes dans ces secteurs en sollicitant experts et aides européennes. Cela revient à créer un écosystème qui fonctionne au sein d'un réseau de proximité. Dans une économie mondiale où la concurrence n'attend pas, il faut donc trouver les moyens d'aller plus vite dans le développement des phases et des pilotes industriels et s'atteler à décentraliser la finance. Enfin, à l'instar des Green Deals aux Pays-Bas, la France doit instaurer un pacte de confiance entre les pouvoirs publics et les industriels innovants. Le lien entre les grands groupes et les PME doit aussi être renforcé. Certes, il existe déjà, mais il n'est pas assez promu par l'État ou les régions. À l'instar du Small Business Act aux États-Unis, qui réserve aux PME une quote-part directe des marchés publics, cette démarche devrait s'inscrire dans une réflexion d'envergure européenne. Dans ce registre, il ne faudrait pas non plus négliger le rôle des places boursières qui favorisent des levées de fonds rapidement et en grande quantité.