R.R. L'économie circulaire est souvent confondue avec le recyclage, qu'en pensez-vous ?
Anne de Béthencourt : L'économie circulaire, c'est beaucoup plus que le recyclage, qui en fait bien entendu partie. Avec lui, on optimise l'économie actuelle, qui est linéaire et consiste à extraire des matières, les transformer, les consommer et les jeter. Le recyclage est important, puisqu'il permet d'allonger la durée de vie des matières et des biens. Mais, pour moi, c'est insuffisant : on laisse au recyclage la responsabilité de gérer les problèmes alors qu'il faut les considérer plus en amont. Aujourd'hui, on a pris conscience que les matières premières se raré-fient et, avec le développement durable, nous avons aussi compris qu'il fallait réduire l'impact de nos activités. Mais, là aussi, je pense que c'est insuffisant. Parce que l'on peut toujours réduire un impact, à un moment, il survient, inéluctablement. Ambitionner de vouloir simplement réduire son impact n'est pas satisfaisant. Je prône, et nous prônons avec la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme et l'Institut de l'économie circulaire, un enjeu plus large : l'économie circulaire à impact positif.
R.R. Comment passer de la réduction d'impact à l'impact positif ?
A.B. : Tant que l'on restera dans une démarche de réduction des impacts de nos activités, on n'y arrivera pas. C'est une des étapes, mais il faut aller plus loin. Il faut anticiper, dès l'écoconception d'un bien ou d'un espace, sa ou ses prochaines vies, sans se limiter à la gestion de fin de vie. Il faut prévoir « démontable, réparable, réutilisable ». Imaginez un bâtiment qui soit conçu non pas comme un futur tas de gravats, mais comme une banque de matériaux réutilisables. En changeant le plafond périodiquement, ou les fenêtres, je récupère et réutilise ce que je démonte. Tout ceci a de la valeur en tant que matériau. Rien n'est conçu en ce sens, et le secteur du bâtiment produit environ 50 millions de tonnes de déchets chaque année. L'économie circulaire considère ces matériaux non pas comme des déchets dont il faut se débarrasser, mais comme des ressources. Je pense qu'il faut passer de l'optimisation de la gestion de déchets à l'optimisation de la gestion des ressources. Et il faut également sortir de la toxicité. Dans le cadre de l'économie circulaire, où la durée de vie des biens et des matières s'allonge, concevoir des produits toxiques prolonge la vie de matières toxiques. Or la toxicité, une fois qu'elle se trouve dans un circuit de recyclage, on ne la contrôle plus, on perd toute traçabilité, et on laisse aux recycleurs le soin de s'en occuper. Je ne parle pas des produits très toxiques qui sont traités, mais de la toxicité « a priori banale » présente dans certaines colles, peintures, et des plastiques.
R.R. La coopération, est-ce important pour l'économie circulaire ?
A.B. : Bien sûr. Dans ce nouveau paradigme, il est impossible de faire tout seul. Les concepteurs de produits, d'espaces ou d'objets doivent travailler avec ceux qui utilisent la matière après eux. La coopération est fondamentale à l'échelle d'un territoire, mais aussi dès la conception : ceux qui connaissent la prochaine vie des matériaux, en premier lieu les recycleurs, doivent pouvoir travailler en amont avec les concepteurs. Je suis motivée par la démarche « cradle-to-cradle ». Considérée comme une utopie par certains, elle est une réalité : plus d'un millier de produits cradle-to-cradle existent. Elle prend en compte la disponibilité de la matière, sa non-toxicité et ses prochaines vies. En anticipant ces dernières, on peut augmenter la valeur de la matière réutilisée. On doit en tout cas se donner cette ambition plutôt que de la réduire au fur et à mesure. Regardons l'usage et la durée de vie du bois ou du plastique. Alors qu'ils pourraient avoir une valeur pendant bien des cycles, ils sont très rapidement enfouis ou incinérés, souvent par manque de filière. Bien sûr qu'à un moment, on finit par incinérer, mais ce stade arrive beaucoup trop tôt dans la vie d'un produit ou d'une matière pour que l'on puisse considérer l'incinération comme faisant partie de l'économie circulaire à impact positif. La recherche et des moyens financiers doivent être engagés pour que l'on valorise réellement cette matière. Justement en matière de recherche, nous recensons actuellement les travaux sur la transformation du CO 2 en ressource. À l'aube de la conférence climat (COP21) qui aura lieu à Paris en décembre 2015, c'est une belle démonstration du potentiel de l'économie circulaire.
R.R. Les recycleurs sont-ils vos alliés ?
A.B. : Tout à fait. Je l'espère et le souhaite. Ils ont intérêt à récupérer des produits non toxiques, démontables, et même réparables. La réparation est une des étapes avant le recyclage. Nous devons nous allier en ce sens, avec le monde du recyclage, des réparateurs, les collectivités territoriales et – j'insiste – avec le monde de la santé pour la question de la toxicité.