La collecte des textiles s'est organisée de manière empirique, au fil du temps et des soubresauts du marché. Cette filière s'est construite autour de l'enjeu de l'insertion. À l'époque, les textiles usagés n'intéressaient pas grand monde, et on n'était pas très regardant sur les règles de droit (transparence, concurrence, etc.). Avec l'intensification de la concurrence, les tensions sous-jacentes et les difficultés longtemps éludées ont fait craquer les coutures. En coulisse, la guerre des textiles est sans merci. Les acteurs poussent, chacun dans le sens de leur propre intérêt, en l'absence de réel arbitre. Sachant que, depuis six mois, l'écoulement des matières devient difficile et que les stocks s'accumulent dans les centres de tri, les tensions ne peuvent que s'amplifier. Pour avancer, la filière va devoir se réformer elle-même, ce qui passe entre autres par l'affichage de règles claires s'appliquant à tous les acteurs.
Structurer la collecte
Cet objectif est justement celui du comité maillage mis en place dans le cadre du nouvel agrément d'Eco TLC. Il a pour mission de sortir un guide pratique, annoncé pour début 2015, censé éclairer les acteurs, en particulier les collectivités, sur les décisions à prendre et sur les bonnes pratiques. En cette période charnière, en effet, les pouvoirs publics, l'éco-organisme, et les opérateurs de collecte attendent des collectivités qu'elles s'impliquent. « Sur le terrain, chacun fait le constat d'un besoin de coordination et de mise en cohérence : les collectivités sont les mieux placées pour remplir ce rôle », relève Alain Claudot, directeur général d'Eco TLC. Les enjeux sont le rééquilibrage du maillage du territoire, aujourd'hui beaucoup trop hétérogène (zones sur ou sous-équipées), la cohérence territoriale pour structurer la collecte, tout en préservant l'activité des quelque 200 organisations détentrices de points d'apport, et le renforcement de la communication auprès des citoyens. « Les collectivités apparaissent comme un vecteur majeur dans l'atteinte de l'objectif assigné à la filière : passer de 150 000 tonnes collectées en 2013 à 300 000 tonnes en 2019 », plaide Alain Claudot. Les collectivités sont donc officiellement invitées à s'intéresser à la filière TLC. Gros handicap toutefois : ni le statut juridique des textiles usagés, ni le fait qu'ils entrent ou non dans le périmètre du service public des déchets ne sont clairement établis par les textes ou la jurisprudence. « Or, si les textiles sont des déchets relevant de leur compétence collecte, les collectivités ont légitimité à agir. Mais si ce n'est pas le cas, alors elles ne peuvent pas, par exemple, passer des conventions avec des opérateurs pour organiser la collecte. Seules les communes auraient leur mot à dire, au titre de l'autorisation d'occupation du domaine public pour les conteneurs », souligne Sylviane Oberlé, chargée de mission déchets à l'AMF. En poussant le raisonnement, on peut même dire que si les textiles usagés ne sont pas des déchets, alors ils n'ont pas à faire l'objet d'une REP .
Passer un appel d'offres
Dans ce contexte juridiquement incertain, les collectivités qui souhaitent prendre part au dispositif dans le but de réguler l'anarchie des collectes sur la voie publique ou de réduire les tonnages d'ordures ménagères à traiter doivent prendre quelques précautions. Première mesure : voter une délibération affirmant que les textiles, dans le cadre de la REP, relèvent de leur responsabilité au titre du service public des déchets. Le bon sens veut ensuite que la collectivité réalise un état des lieux de l'existant : recensement des points de collecte dans le domaine public et privé (même s'il est impossible d'intervenir sur ce dernier, mieux vaut tenir compte de cette réalité), des autorisations de voirie délivrées, identification des acteurs impliqués (associations locales, magasins de seconde main, etc.). Ensuite, la solution juridique la plus sûre est de passer un appel d'offres pour un marché public d'équipement en conteneurs ou de prestation de service de collecte, dans le respect du Code des marchés publics. Attention, les collectivités qui optent pour un appel à projets ne se placent pas dans le cadre du service public des déchets et de ce fait, ne tranchent pas la question de leur compétence à agir : cet entre-deux n'est pas bordé juridiquement. S'agissant des collectivités qui passent des conventions sans consultation ni mise en concurrence, c'est encore pire.
Des marchés déchets déguisés
Le cahier des charges de l'appel d'offres doit prévoir des objectifs clairs, par exemple de maillage, de propreté des points d'apport, ainsi que les conditions du suivi, les pénalités. Il peut contenir des clauses d'insertion et prévoir des critères de jugement des offres donnant une pondération élevée aux clauses sociales. Mais attention : les marchés d'insertion (procédure définie à l'article 30 du Code des marchés publics) imposant comme activité de support la gestion des déchets textiles peuvent être déclarés illégaux. Il s'agit en effet de marchés déchets déguisés favorisant une catégorie d'acteurs, les structures d'insertion agréées, ce qui est strictement interdit par les règles de la commande publique. S'agissant enfin de la rémunération, il peut être inscrit dans le marché que le prestataire se rémunère par les recettes de l'activité. « Le fruit de la vente de la matière vient compenser les coûts d'exploitation, la collectivité s'exonère ainsi du paiement de la prestation », décrypte Hatem Sedkaoui, président de Federec Textiles et directeur général de Next Textiles Association, filiale de Sita en partenariat avec le groupe allemand Soex. « Il faut cependant prévoir les conditions de financement par la collectivité, si un jour l'activité ne génère plus de recettes suffisantes », prévient Sylviane Oberlé.
Certains opérateurs, très peu nombreux, proposent de reverser une part des recettes à la collectivité quand d'autres, comme le Relais, s'y refusent. Une pratique sur laquelle il convient de s'interroger. Orléans a retenu un opérateur après un appel d'offres dans le cadre d'un marché de prestation de services pour la collecte des textiles. Le lauréat est un regroupement NTA et deux associations locales (Orléans insertion emploi et le Tremplin). Il rémunère la collectivité à raison de 90 euros par an et par point de collecte et 10 euros par tonne collectée. L'offre pourrait paraître alléchante, même si ces bonus restent modestes et qu'ils ne sont pas garantis en cas d'effondrement du marché. N'est-ce pas aussi pour certains opérateurs, un moyen d'écarter la concurrence ? « C'est un non-sens, cela pèse sur le coût de revient, juste au moment où le marché est en train de plonger après quelques années d'euphorie, argumente Pierre Duponchel, président fondateur du Relais. La grande exportation est en panne, touchée en Afrique par le virus Ebola, par des conflits à l'est de l'Europe et un peu partout par une crise économique qui s'installe. Le risque de répercussions sur la contribution textile n'est pas à écarter. » Quelle que soit la position de la collectivité au regard de ces bonus, l'important est de ne pas tomber dans le piège de l'offre la plus avantageuse économiquement « en étant attentif à la rédaction du marché et en prévoyant de juger les offres sur le coût des prestations effectives et non sur un coût global hypothétique », prône Sylviane Oberlé.