En baisse, et pour un certain temps. Cela fait plusieurs mois que le prix des ferrailles décline. Les HMS1/2 ont perdu 20 % de leur valeur sur l'année 2014, et l'on observe des reculs de 10 à 15 % sur les principales qualités (voir tableau des cours p. 35). Après un regain de forme en janvier 2015, la rechute a été sévère en février, et la filière ne table pas sur une remontée durable des cours. Federec s'attend à une poursuite de la baisse, dans les prochaines semaines au moins. « Je pense que nous sommes partis pour un recul sur toute l'année », affirme le négociant Olivier Fassin, dirigeant de Sofrest. « On peut prévoir une diminution supplémentaire de 30 à 40 euros à court, moyen terme », souligne Stéphane Lejeune, dirigeant du groupe de recyclage Leber. Selon cette hypothèse, les cours passeraient sous le seuil de 200 euros la tonne. Après un 1er semestre 2014 qui avait alterné le positif et le négatif, la baisse est clairement marquée depuis l'automne, constatent les récupérateurs et les sidérurgistes. Elle suit logiquement celle du minerai. Mais l'ampleur de la chute du minerai est telle qu'elle entraîne une réduction inédite de l'écart des prix entre la matière vierge et la matière recyclée. À cet égard, l'exposé de Marcel Genet, président du cabinet Laplace Conseil, fin décembre à l'assemblée générale de Federec, a marqué les esprits. « Le minerai a perdu la moitié de sa valeur en 2014 (soit 69 dollars la tonne en fin d'année), alors que dans le même temps, la ferraille n'a perdu “que” 20 %. Cette situation ne s'est pas résorbée début 2015, mais on ne dispose pas encore de suffisamment de recul pour savoir si elle va durer dans le temps. »
Minerai concurrent
Les causes de l'effon drement du cours du minerai sont identifiées. Elles sont dues à la baisse du prix des énergies de transformation et de transport (pétrole, gaz), au ralentissement de la demande de la Chine, et surtout à la politique de suroffre assumée des géants miniers (BHP Billiton, Rio Tinto, Vale), menée dans le but d'asphyxier de nouveaux concurrents qui avaient été attirés par les cours élevés. Les conséquences de ce plongeon ne sont pas neutres pour les producteurs de ferrailles. Outre son effet quasi mécanique sur l'évolution des cours, le minerai devient un concurrent potentiel, dans une certaine mesure. Moins chère, la matière première peut supplanter la matière recyclée. Ainsi que l'a montré Marcel Genet, à partir d'avril 2014, il est devenu plus cher de produire une tonne d'acier à partir de ferrailles qu'avec du minerai, ce qui va à l'encontre de toute habitude et de toute logique. À la fin 2014, pour que les deux prix de revient redeviennent égaux, il aurait fallu que la tonne de ferraille coûtât 40 à 50 euros de moins que son niveau du moment (voir schéma p. 37). Certes, les filières fonte et électrique suivent deux chemins tellement différents que les possibilités d'arbitrage demeurent très limitées pour les sidérurgistes, mais elles ne sont pas inexistantes. ArcelorMittal, par exemple, a baissé le taux de ferrailles dans les aciéries à oxygène qui est passé de 20 % à 15 %, eu égard au prix compétitif du minerai de fer. Des mouvements défavorables à la matière recyclée s'observent parmi les acheteurs turcs. L'acier russe étant bon marché (la chute du rouble vient s'ajouter aux autres facteurs), ils peuvent s'approvisionner à leurs portes en billettes peu chères. L'autre source de pression vient du « préré-duit » (DRI). En ce moment, il s'obtient à partir d'une énergie bon marché, au Moyen-Orient ou aux États-Unis, sous l'effet du cours du pétrole-gaz et des gaz de schiste. Pour Marcel Genet, un cercle vicieux s'installe : « Hausse des exportations de billettes russes, baisse des importations turques de ferrailles européennes, accroissement de la production de DRI au Moyen-Orient, hausse des exportations de rebar chinoises, hausse des importations de billettes russes en Europe du Sud et, finalement, baisse de la demande de ferraille de l'Union, en volume et en prix. » Les statistiques sur l'ensemble de l'année 2014 – encore indisponibles – montreront si une telle baisse de volume est perceptible. Au premier semestre, l'évolution restait positive : le BIR relevait une croissance de 3,4 % de la consommation de ferrailles dans l'Union européenne à 47,7 millions de tonnes, ce qui la maintenait au premier rang mondial juste devant la Chine. De même, les exportations à fin juin affichaient une hausse de 4,6 % à 8,584 millions de tonnes. Le groupe Derichebourg a annoncé une baisse de 9,3 % de ses volumes de vente de ferrailles à l'automne, succédant à des croissances en Europe de 2,8 % au printemps puis de 4,1 % à l'été. À l'export, la Turquie montre des signes de retrait. Sa consommation de ferrailles avait reculé de 0,3 % sur le 1er semestre (14,46 millions de tonnes). « Nous constatons en revanche un regain de la demande de l'Égypte et du Maroc », souligne Olivier François, directeur du développement de Galloo France. « Je ne crois pas à un potentiel durable venant de l'Inde ou de plus loin (Pakistan, Viêt Nam). La valeur faible relative des ferreux continuera à limiter le champ de leur export aux marchés limitrophes, et ce n'est pas la tendance actuelle des cours qui va inverser la donne », ajoute-t-il.
Du côté des sidérurgistes, des signaux encourageants émergent. L'an dernier, la production totale d'acier a progressé de 1,7 % dans l'Union européenne, selon Worldsteel. L'UE a même fait un peu mieux que le monde entier (+ 1,2 %) et la Chine (+ 0,9 %). En chiffres absolus, avec 169,2 millions de tonnes, elle est revenue au niveau de 2012, soit un retrait de près de 20 % par rapport à 2007. Pour la France, la croissance s'est élevée à 2,9 %, soit 16,1 millions de tonnes, mais la filière électrique s'est contentée d'une stabilité à 5,5 millions de tonnes.
Eurofer annonce des perspectives de croissance de la consommation d'acier dans l'Union : + 2,2 % en 2015 et + 2,5 % en 2016 en général. Le secteur de la construction, qui concentre une bonne partie des débouchés de la filière électrique, ne serait pas en reste avec + 1,5 % cette année puis + 2,3 % en 2016. « La reprise est encore timide, mais elle se généralise dans l'Union. Elle est appuyée en Grande-Bretagne et en Allemagne par les plans de relance nationaux de la construction, et en Pologne et en Hongrie par les programmes européens. Le plan Juncker pourrait ajouter son propre impact », analyse Eurofer, qui détecte deux points de faiblesse persistants pour la construction acier : la France et l'Italie. En effet, la prudence reste de mise. « Dans les armatures à béton, nous constatons une surcapacité persistante de 30 à 40 % en Europe, malgré les arrêts définitifs ou les mises en veilleuse d'installations », souligne un producteur de ce secteur.
Inquiétudes dans la filière électrique
Le paysage de la filière électrique a peu évolué ces derniers mois, et un certain nombre d'entreprises suscitent l'inquiétude, comme Celsa en Espagne. En Suisse, Stahl Gerlafingen vient d'annoncer une réduction d'effectifs de 25 salariés à cause de la montée de la devise helvétique, mais cette filiale de Beltrame indique dans le même temps vouloir monter sa production de 5 % sur l'année 2015 à 720 000 tonnes. Plombé par le dossier de l'usine de Tarente, Ilva est désormais sous administration provisoire de l'État, en Italie. Dans son ancienne maison mère Riva, toutefois, les récupérateurs notent le bon niveau de commandes des usines en France (Neuves-Maisons) et en Belgique (Thy-Marcinelle). Officiellement en veilleuse depuis plus de trois ans, les usines luxembourgeoises Rodange et Schifflange d'ArcelorMittal (ronds à béton et profilés) paraissent vouées cette fois-ci à un arrêt définitif. Tout du moins, plus aucun acteur ne croit au retour sur le marché de son million de tonnes de ferrailles par an d'antan. En France, Ascométal est sorti au printemps dernier de son redressement judiciaire, sa nouvelle direction hexagonale l'affirme en rémission, celle-ci paraît encore fragile. L'évolution des prix vient compliquer un peu plus la donne pour la filière : elle doit déjà composer avec la baisse des collectes. « En 2011, on avait connu les difficultés au niveau des cours, mais les volumes étaient restés globalement au rendez-vous. Là, on a la combinaison des deux », rappelle Olivier Fassin. En l'absence, pour l'heure, des chiffres 2014 globaux, les rares acteurs à s'épancher sur le thème tracent la perspective d'une baisse de l'ordre de 20 à 30 % en France. Parmi les grandes sources d'approvisionnement, l'industrie reste à des niveaux atones, les grands programmes de démolition urbaine étant passés. Et pour les VHU, la ressource annuelle a été ramenée à 1,2 million d'unités en 2012 et 2013, soit 300 000 de moins qu'en 2011. La filière attend un bilan 2014 encore moindre, pas très éloigné du million d'unités. La fin des primes à la casse et la reprise timide des immatriculations s'ajoutent à l'incapacité persistante à remettre dans les circuits agréés les 30 % de véhicules qui empruntent les filières illégales. Dans ce contexte compliqué, « les bonnes qualités restent bien consommées », constate Olivier François. La tendance est confirmée en Allemagne. « Globalement, les volumes 2014 restent stables, voire en très légère baisse, mais des mouvements s'opèrent à l'intérieur des sortes : l'E1 et l'E2 baissent, l'E8 se maintient, plusieurs sidérurgistes diminuent le recours à l'E40 au profit de chutes neuves de tôles, de tournures et plus encore de paquets automobiles, desquels ils apprécient l'homogénéité de qualité », expose Sebastian Will, vice-président de la branche ferreux de BVSE, la fédération allemande du recyclage. Les aciéries se montrent de plus en plus exigeantes sur la qualité de la matière, jusqu'à installer des équipements spécifiques de tri à l'entrée. Une réaction logique et salutaire, mais il faut savoir raison garder, commente Maxime Lautard, dirigeant du négociant familial FML : « C'est un corollaire à la baisse des prix et des volumes. On ne peut pas se permettre le moindre écart. Les récupérateurs ont leur rôle à jouer, et la notion de certification prend ici tout son sens, pour garantir la qualité et parler le même langage que le client. Mais qu'on ne nous transforme pas en apprenti chimiste devant traquer la moindre impureté. Cela reste de la ferraille, pas du minerai ! »