Le triptyque moins de volumes, plus de bagarres et moins de marges reste d'actualité », résume Patrick Kornberg, président de la branche des métaux non ferreux de Federec. Celui-ci relève une baisse de 4 % des volumes commercialisés en 2014.
« Des remontées ont été observées en début d'année, mais une nouvelle baisse en mai est venue les atténuer », ajoute-t-il. La crise de 2008 continue de marquer profondément le secteur, souligne le négociant Marc Natan de la société Manco. « Les chutes neuves ou industrielles se sont raréfiées et cette matière secondaire manque toujours cruellement aux industriels du recyclage. La baisse des prix n'a pas permis aux chutes vieilles ou de démolition de prendre la relève dans les approvisionnements », ana-lyse-t-il. Adoptant une vision de plus long terme, l'étude Pipame* des cabinets Sofred et Erdyn publiée en avril dernier pour le compte du ministère de l'Économie confirme la hausse de la part du recyclé dans les non-ferreux : le taux de MPR (matières premières recyclées) est passé de 35 à 46 % entre 2006 et 2010, dont 48 % pour l'aluminium, 36 % pour le cuivre, 95 % pour le plomb et 28 % pour le zinc. Sans doute a-t-il encore progressé depuis pour franchir la barre symbolique des 50 %. Mais cette montée n'est que relative puisque les volumes sont restés stables. Elle n'est donc due qu'à la baisse concomitante de la production de métaux non ferreux en France de 25 % entre 2001 et 2010. « En situation de croissance de la demande, le recyclage n'est pas en mesure de satisfaire l'intégralité des besoins », souligne l'étude Pipame.
Signaux positifs
Cette reprise serait-elle au rendez-vous ? Les acteurs du recyclage perçoivent quelques signaux positifs, mais demeurent toutefois réservés et divisés dans leurs conclusions. Globalement, le ralentissement de la Chine (-30 % d'importations de non-ferreux en 2014) est vécu avec une distanciation toute relative : « Il restera un acheteur essentiel, notamment de cuivre. Nous devrons nous adapter au rythme qu'il nous imposera, fait d'achats soutenus suivis par une longue période d'absence de demande », prédit Marc Natan. Des relais de croissance au grand export se font jour. L'intérêt à développer le recyclage dans des pays du Proche et du Moyen-Orient comme le Qatar, la Jordanie, les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite a été souligné lors de la dernière convention du BIR. La réunion a surtout insisté sur le boum des importations de l'Inde, en particulier dans les déchets d'aluminium. « Attention, travailler en Inde s'avère extrêmement compliqué », tempère toutefois Thierry Desarbres, dirigeant de la plateforme Recycling Transaction. « L'Asie du Sud-Est, plus précisément la Malaisie, les Philippines, le Vietnam et l'Indonésie, présente aussi des perspectives intéressantes. Mais là aussi, il faut rester prudent et mesuré. » Le négociant se montre plus circonspect sur le potentiel à court terme de l'Afrique, « hormis peut-être le Nigeria si son contexte politique se stabilise ».
Reprise partielle
Mais le destin des récupérateurs-recycleurs doit d'abord se jouer en Europe. « La Chine avait cannibalisé volumes et prix. Le desserrement de cette concurrence ramène davantage le marché près de chez nous, ce n'est pas plus mal », estime Patrick Kornberg.
Or le Vieux Continent, sa partie nord du moins, donne des signes de reprise à l'achat même si l'avis n'est pas unanime. L'aéronautique confirme son rôle de moteur, l'automobile semble repartir de l'avant avec une demande accrue de lingots alors que le bâtiment reste à la traîne. En France, la fonderie des non-ferreux a augmenté sa production de 2,1 % l'an dernier, un résultat meilleur que l'ensemble du secteur forge-fonderie qui est resté stable. Automobile et aéronautique ont conjugué leurs effets positifs. « Situé à + 2,2 %, l'aluminium a tiré la statistique vers le haut, mais tous les principaux métaux oscillent entre 0 et + 2 % : + 1,4 % pour le cuivre par exemple. La demande nationale a été stable, c'est l'exportation qui a progressé, notamment vers l'Allemagne », complète Josette Grimaldi, chargée de l'économie et des statistiques à la Fédération forge-fonderie. La fonderie aluminium avait déjà crû de 2 % en 2013 après une forte baisse en 2012, relève l'organisation professionnelle.
Si le cuivre a tendance à perdre des volumes, de fortes demandes sont notées pour le plomb, de même que pour l'inox. La demande d'acier inoxydable en Europe a augmenté de 4 % l'an dernier et devrait encore croître de 2 % cette année, selon le groupe d'experts de Cyclope. « Il y a eu une vague récente de demandes spot sur l'inox, déconnecté du cours du nickel. Ce phénomène reste difficile à interpréter », ajoute Charles Kofyan, directeur général d'Atlantic Métal, devenu l'an dernier une filiale de Paprec. Les acteurs français craignent de louper le train d'une possible reprise. D'une part, les achats au détail restent orientés à la baisse, et la disparité des règles de paiement en espèces en Europe n'y serait pas pour rien. Leur plafonnement très strict en France pénalise la filière nationale : « Qu'on ne s'étonne pas que de la ressource parte à nos frontières en Belgique, en Allemagne ou en Espagne, des pays bien plus souples. Ces pays ne poussent évidemment pas du tout à une harmonisation européenne », signale Patrick Kornberg. D'autre part, la faiblesse de l'affinage en France pose un vrai problème. Le cuivre a déjà connu le scénario de la fuite de matière recyclée vers les pays voisins pour leur transformation, ce qui ne laisse à l'Hexagone que la valorisation des déchets de qualité directement injectables dans un four de refusion.
Stocks importants
Le danger guette à présent l'aluminium : il reste des affineurs avec un grand savoir-faire, mais ils sont moins nombreux que leurs confrères allemands ou italiens. Si le maillon de l'affinage s'affaiblit, le terrain a vocation à être réoccupé par un acteur : le recycleur. « La demande exige de meilleures qualités. Pour y répondre, la profession a tout intérêt à se lancer dans le prétraitement », estime Charles Kofyan. Atlantic Métal prépare la mise en service en fin d'année d'une installation combinant broyage, tri mécanique, contrôle visuel en sortie. Une nouvelle étape dans la montée de Paprec dans la filière des non-ferreux, où le groupe totalise quelque 100 000 tonnes annuelles après sa série d'acquisitions des dernières années : Atlantic Métal, Des-plat et Echalier. Mais il faudra que l'implication croissante dans la chaîne de valeur trouve sa traduction financière. « Après tri et broyage, on arrive à des homogénéisations proches de l'affinage à froid. On doit retrouver dans le prix de vente aux affineurs la valorisation des frais et de la perte de la matière, ce qui n'est pas encore souvent le cas », déclare Marc Natan. « Il faut marquer plus distinctement, par un écart de prix substantiel, la différence entre les bons élèves qui préparent la matière et les autres. Nous constatons une qualité moindre des chutes. La baisse des prix, le besoin de faire tourner rapidement les stocks, le recours parcimonieux à une main-d'œuvre au coût horaire de plus en plus cher l'expliquent. » Les stocks au LME restent importants. À la mi-juin, ils atteignaient 3,6 millions de tonnes pour l'aluminium, 318 000 tonnes pour le cuivre, 467 000 tonnes pour le zinc (stable) et 460 000 tonnes pour le nickel. Quant aux prix, les temps restent compliqués. « Les primes sur l'aluminium ont baissé de 80 euros depuis le début de l'année, sans qu'on ne l'explique vraiment », relate Charles Kofyan. « Elles ont presque disparu », appuie Patrick Kornberg, loin des 200 à 250 euros d'il y a quelques années, « qui étaient des niveaux de prix, il est vrai, exceptionnels ». Les prix des recyclés éprouvent des difficultés à suivre la hausse des cours au LME, lorsque celle-ci se produit. Le cuivre mêlé subit une décote de l'ordre de 14 % dont 8 % résultent d'un effet de prix. Le cours du métal rouge avait diminué de 14 % l'an dernier pour tomber en mars 2014 à un plancher à 6 376 dollars par tonne qu'il n'avait plus connu depuis quarante-quatre mois, souligne l'étude annuelle du Cyclope. Et il n'a pas été le seul, rappelle le document : - 15 % pour le plomb, - 13 % pour l'étain, ramené début 2015 à son point le plus bas depuis près de trois ans. L'aluminium aussi a subi une série de dévissages qui le maintiennent sous les 2 000 dollars par tonne. Cyclope prévoit qu'il s'en rapprochera tout juste (1 965 dollars par tonne) cette année. Le zinc, lui, a augmenté de 12 %, de même que le nickel. Mais, de façon générale, le yo-yo et le manque de visibilité demeurent les maîtres mots. Un défide plus pour toute la filière.