Institué par la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en oeuvre de principes d'aménagement, le droit de préemption urbain constitue pour les communes un mode privilégié d'acquisition non forcé de la propriété puisqu'il n'est exercé que lors d'une aliénation volontaire (art. L. 213-1 du Code de l'urbanisme). Néanmoins, l'exercice de ce droit n'exclut pas pour autant le recours concomitant à une procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique (CE 30 décembre 1998, Bagot, rec. tables, p. 965-1137-1221).
Régi par les dispositions des articles L. 211-1 et suivants du Code de l'urbanisme (CU), ce droit reste peu utilisé. Si près de 96 % des communes dotées d'un plan local d'urbanisme ont ainsi institué un droit de préemption urbain sur leur territoire, moins de 0,6 % des ventes entraînent une décision de préemption et plus de 60 % de ces décisions ne sont pas suivies d'une acquisition. Eu égard aux dispositions particulières régissant cette procédure parfois mal connue, il importe de définir les conditions d'exercice de ce droit afin de sécuriser les décisions prises à cette fin et éviter ainsi tout contentieux en annulation et/ou indemnitaire.
I. L'INSTITUTION DU DROIT DE PRÉEMPTION URBAIN
A. La détermination des périmètres concernés
En vertu de l'article L. 211-1 du Code de l'urbanisme, le conseil municipal d'une commune dotée d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé est compétent pour instituer par délibération un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines (U) (art. R. 123-5 du CU) et des zones d'urbanisation future (AU) (art. R. 123-6 du CU) délimitées par ce plan, dans les périmètres de protection rapprochée de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines (art. L. 1321-2 du Code de la santé publique), dans les périmètres définis par un plan de prévention des risques technologiques (art. L. 515-16 du Code de l'environnement) ou dans les secteurs dans lesquels ont été instituées des servitudes d'inondation (art. L. 211-12 du Code de l'environnement), ainsi que sur tout ou partie de leur territoire couvert par un plan de sauvegarde et de mise en valeur rendu public ou approuvé lorsqu'il n'a pas été créé de zone d'aménagement différé ou de périmètre provisoire de zone d'aménagement différé sur ces territoires (art. L. 313-1 du CU). Toutefois, l'exercice de ce droit ne peut, sauf délibération motivée en ce sens (droit de préemption renforcé), concerner les aliénations et cessions mentionnées à l'article L. 211-4 du Code de l'urbanisme (cession de parts ou actions de sociétés d'attribution, immeubles bâtis depuis moins de 10 ans, etc.).
S'agissant des communes couvertes par une carte communale, laquelle est depuis le vote de la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbain, un véritable document d'urbanisme, le conseil municipal peut instituer un droit de préemption urbain pour un ou plusieurs périmètres pour chacun desquels la réalisation d'un équipement ou d'une opération d'aménagement doit être précisée dans la délibération (art. L. 211-1 du CU).
Sauf lorsque le droit de préemption est dit renforcé pour porter sur des aliénations ou cessions qui n'y sont en principe pas soumises (art. L. 211-4 du CU), la délibération instituant le droit de préemption urbain n'a pas à être motivée (Caa Nantes, 12 novembre 1997, Société Calcia, rec. tables, p. 1123 ; Caa Lyon, 24 février 2004, Commune de Clermont-Ferrand, Ajda 2005, p. 50, note S. Pérignon ; CE 6 juillet 2007, Peyre, à mentionner aux tables du recueil Lebon, Bjdu 2007, p. 203, concl. C. Devys). Cette obligation n'est imposée par aucune disposition du Code de l'urbanisme (CE, avis, 2 février 1988, Edce, n° 40, p. 301), ni par la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public puisqu'il ne s'agit pas d'une mesure individuelle, ni par aucun autre texte.
Le conseil municipal peut à tout moment décider de le supprimer sur tout ou partie des zones considérées et peut ultérieurement le rétablir dans les mêmes conditions (art. L. 211-1 du CU). Qu'il s'agisse d'une délibération instituant ou supprimant le droit de préemption urbain, celle-ci doit être affichée en mairie pendant un mois et mention doit être insérée dans deux journaux diffusés dans le département (art. R. 211-1) et transmise à la préfecture (art. L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales).
B. La compétence pour exercer le droit de préemption urbain
Le conseil municipal de la commune sur le territoire de laquelle est situé l'immeuble concerné est compétent pour exercer le droit de préemption urbain. Celui-ci peut cependant être délégué (sur les conditions de cette délégation, voir art. R. 213-1 à R. 213-3 du CU) à l'état, à une collectivité locale, à un établissement public (s'agissant de la compétence déléguée à un établissement public de coopération intercommunale (dans 12 % des cas), voir l'art. L. 211-2 du CU) ou à un concessionnaire d'une opération d'aménagement (art. L. 213-3 du CU).
L'assemblée délibérante peut aussi le déléguer à l'exécutif local pour la durée de son mandat sur le fondement de l'article L. 2122-22, 15° du Code général des collectivités territoriales. Le maire peut également se voir déléguer le pouvoir de le déléguer à l'un des mandataires susmentionnés pour une opération donnée. Si le conseil municipal a consenti une telle délégation de pouvoir et ne l'a pas ultérieurement rapportée, il doit être regardé comme s'étant dessaisi de sa compétence et n'est, dès lors, plus compétent pour déléguer l'exercice de son droit de préemption à une autre personne publique à l'occasion de l'aliénation d'un bien, sauf en cas d'empêchement du maire (CE 30 décembre 2003, Commune de Saint-Gratien, Bjdu 2004, p. 52, concl. Ch. Devys).
II. Déclaration d'intention d'aliéner (Dia) et décision de la commune
Lorsqu'un propriétaire décide de vendre un immeuble lui appartenant, il peut le proposer au titulaire du droit de préemption, en lui indiquant le prix qu'il en demande. Celui-ci dispose alors d'un délai de deux mois pour se prononcer (art. L. 211-5 du CU).
S'il décide de le vendre à un tiers, le propriétaire ou son mandataire doit adresser en mairie, conformément au modèle annexé à l'article A. 213-1 du Code de l'urbanisme une déclaration d'intention de l'aliéner (Dia), sous peine d'entacher de nullité la vente (art. L. 213-2 du CU). L'action en nullité, qui s'exerce devant le tribunal de grande instance du lieu de situation du bien (art. R. 213-26 du CU) se prescrit dans un délai de cinq ans.
La déclaration d'intention de l'aliéner marque le point de départ de la procédure. En plus des mentions obligatoires qu'elle doit contenir, cette déclaration peut être complétée. En effet, aucune disposition légale n'interdit de compléter ce document par une annexe, voire d'y joindre un plan de situation ou un plan de masse du terrain (Cass. Civ., 3e, 17 février 1989, Bull. n° 44, p. 30) ou toute autre note ou mention.
Une Dia constitue juridiquement « une offre de contracter ne liant son auteur qu'autant qu'elle est acceptée par celui à qui elle est faite » (Cass. Civ., 3e, 16 juin 1982, Bull. n° 162, p. 118). Les conditions et le prix de cette aliénation (art. R. 213-5 du CU) doivent y être clairement indiqués. Parmi ces mentions doit figurer, si tel est le cas, la rémunération de l'intermédiaire. Dans la mesure où le préempteur se substitue à l'acquéreur, cette substitution ne porte pas atteinte au droit à commission de l'agent immobilier, tel qu'il est conventionnellement prévu (Cass. Civ., 1ère, 24 janvier 2006, pourvoi, n° 02-18746). Aussi l'organisme qui exerce son droit de préemption est-il tenu de prendre en charge la rémunération des intermédiaires immobiliers incombant à l'acquéreur auquel il est substitué, dès lors que la Dia mentionne l'intermédiaire chargé de la recherche du terrain et son droit à commission (Cass. Civ., 3e, 26 septembre 2007, Commune de Chamonix, Bjdu 2007, p. 429). Cette déclaration doit de plus faire savoir à qui du propriétaire ou de son mandataire la décision de préemption doit être notifiée. Si la déclaration d'intention d'aliéner ne mentionne rien, la notification au notaire du vendeur fait courir le délai de recours contentieux de deux mois (CE 30 juin 2006, Commune de Mane, rec. tables, p. 1100, Bjdu 2006, p. 289, concl. C. Devys).
Reçue en mairie, la Dia est ensuite transmise au directeur des services fiscaux du département et, s'il y a lieu, au titulaire du droit de préemption (art. R. 213-6). Ce dernier dispose d'un délai de deux mois (art. L. 213-2), qui se calcule de quantième à quantième à compter de l'avis de réception de la déclaration (art. R. 213-7), pour faire connaître de manière certaine aux propriétaires s'ils peuvent ou non poursuivre la procédure de vente (CE 15 mai 2002, Ville de Paris c/Association cultuelle des témoins de Jéhovah de Paris, rec. p. 173, Bjcl 2002, p. 290, concl. P. Fombeur) et leur notifier, toujours dans ce délai, sa décision (CE 16 juin 1993, Commune d'Etampes c/Bigot, rec. tables, p. 1096-1097). Ce délai constitue une garantie pour les particuliers désirant aliéner un bien soumis au droit de préemption et qui doit être regardé comme prescrit à peine de nullité. Une décision adoptée après l'expiration dudit délai serait donc illégale (CE 13 mai 1996, Commune de Franconville-la-Garenne, rec. p. 178, Bjdu 1996, p. 267, concl. Ch. Maugüe).
Le titulaire du droit de préemption doit au préalable, lorsque le prix ou l'estimation figurant dans la Dia ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par arrêté du ministre des Finances, recueillir, en application de l'article R. 213-21 du Code de l'urbanisme, dans le délai d'un mois, l'avis du service des domaines (art. R. 213-21). Cet avis est simple et ne lie donc pas l'administration, mais son absence constitue néanmoins une formalité substantielle dont la méconnaissance entache d'illégalité la décision de préemption (CE, Sect., 22 février 1995, Commune de Ville-La-Grand, rec. tables, p. 626 ; CE 18 juillet 2006, Bessac et autres, req. n° 291569 ; CE 18 juin 2007, Aouizerate, req. n° 300320), car il s'agit de donner à la commune tous les éléments nécessaires, et notamment financiers, pour se prononcer en toute connaissance de cause. C'est ainsi que la circonstance que la décision ait été prise le jour même de la réception de l'avis des domaines n'est pas à elle seule de nature à entacher d'illégalité la décision de préemption si l'autorité administrative a toutefois pu le prendre en considération (CE 23 janvier 2008, Commune de Romainville, Bjdu 2008, p. 46, concl. L. Derepas).
Si la commune garde le silence pendant ce délai de deux mois, celui-ci vaut renonciation implicite de sa part (art. R. 213-7). Si, au contraire, elle décide d'exercer son droit, sa réponse, explicite, doit mentionner le prix auquel elle entend acquérir le bien concerné. En l'absence de prix proposé par la commune dans ce délai de deux mois, la réponse ainsi faite ne peut être considérée comme une décision d'exercice par la commune de son droit de préemption (TA Nice, 17 octobre 1996, Crossa-Raynaud, Bjdu 1997, p. 50, concl. A. Poujade). Cette décision de préemption prise par le conseil municipal qui détient la compétence de principe ou par le maire, seul compétent s'il est bénéficiaire d'une délégation du conseil municipal, doit être notifiée, s'agissant d'une décision individuelle, au propriétaire de l'immeuble concerné (CE 16 décembre 1994, Beckert, rec. tables, p. 748 ; CE 30 juillet 1997, Parmentier, rec. tables, p. 702-991-1123) ainsi qu'à l'acquéreur évincé (CE 30 juillet 1997, Parmentier, préc). Le délai de recours contentieux de deux mois, dès lors que la mention des voies et délais de recours aura été insérée sur cette décision (art. R. 421-5 du Code de justice administrative), commencera à courir à compter de la réalisation de cette formalité. Pour acquérir un caractère exécutoire et sous peine de l'entacher d'illégalité, cette décision doit être transmise au préfet de département en application des articles L. 2122-22 et L. 2131-1 du Code général des collectivités territoriales (CE 15 mai 2002, Ville de Paris c/Association cultuelle des témoins de Jéhovah de Paris, préc. ; Cass. Civ., 3e, 8 juin 2006, Doublet, Bjdu 2006, p. 448, obs. F. Nési).
III. LA DÉTERMINATION DU PRIX D'ACHAT DE L'IMMEUBLE
Eclairée par l'avis du service des domaines, la commune peut décider de retenir le prix fixé par le vendeur et la vente est alors dite parfaite et conclue (art. R. 213-8 du CU), car il est convenu de la chose et du prix (Cass. Civ., 3e, 30 mai 1996, Commune de Saint-Yorre, Bull. n° 133, p. 85). Elle peut également proposer un prix inférieur à celui fixé par le propriétaire. Ce dernier dispose alors d'un délai de deux mois pour : soit accepter l'offre, soit renoncer à la vente, soit maintenir le prix initialement prévu et accepter dans cette hypothèse qu'il soit fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation (art. R. 213-10 du CU).
à défaut d'accord sur le prix, tout propriétaire d'un bien soumis au droit de préemption, qui a manifesté son intention d'aliéner ledit bien, peut ultérieurement retirer son offre. De même, le titulaire du droit de préemption peut renoncer en cours de procédure à l'exercice de son droit à défaut d'accord sur le prix (art. L. 213-7 du CU).
Lorsque le vendeur ou la commune conviennent d'un prix, un acte de vente doit être dressé dans les trois mois et entraînera le transfert juridique de propriété (art. R. 213-12 du CU). En l'absence d'accord sur le montant du prix d'acquisition, celui-ci sera fixé par la chambre de l'expropriation près du tribunal de grande instance du chef-lieu du département (art. L. 213-4 du CU ; Voir art. L. 311-9 et L. 312-5 du Code de l'organisation judiciaire et le renvoi aux articles R. 13-1 à R. 13-4 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique).
La convention conclue constitue en principe un contrat de droit privé (CE 21 avril 2000, Société Foncier Immobilier Lyonnais, Bjdu 2000, p. 183, concl. F. Lamy). En effet, en exerçant son droit de préemption, la collectivité locale se substitue à l'acheteur et exerce par suite les droits de celui-ci et conclut ainsi un contrat avec un particulier (CE 9 décembre 1996, Duhamel et autres c/Ville de Douai, req. n° 02994).
IV. LE PAIEMENT DU PRIX
Le montant dont doit s'acquitter le titulaire du droit de préemption est un prix, et non une indemnité. Il doit le faire dans un délai de six mois à compter de l'acceptation du prix ou de la fixation judiciaire de celui-ci (art. 213-14 et L. 221-5 du CU ; voir Cass. Civ., 3e, 11 octobre 2006, Merceris, Bjdu 2007, p. 71). En cas de fixation judiciaire du prix, une somme de 15 % de l'évaluation faite par le directeur des services fiscaux doit être consignée (art. L. 213-4-1). Tant que le titulaire du droit de préemption ne s'est pas acquitté du paiement intégral, l'ancien propriétaire conserve la jouissance de son bien (art. L. 213-15). La vente est donc juridiquement acquise, mais le transfert de propriété ne peut avoir lieu.
Passé ce délai, en l'absence de paiement, le propriétaire dispose d'un droit de rétrocession (art. L. 213-14), à laquelle la commune a l'obligation, dans un délai raisonnable, de répondre favorablement sous peine de voir engagée sa responsabilité (Caa Lyon, 7 mars 2000, Giraud, req. n° 95LY01401). En l'absence de paiement de la somme due à l'expiration du délai et à la demande de l'ancien propriétaire, ces deux conditions étant cumulatives (Cass. Civ., 3e, 8 décembre 1999, Commune de Signy-le-Petit, Bull. n° 239, p. 165 ; voir également Cass. Civ., 3e, 10 juillet 2001, Société Marbi, pourvoi n° 99-14884), le bien lui est rétrocédé, à lui ou à ses ayants cause universels, qui en reprennent la libre disposition. La juridiction judiciaire saisie d'une demande de rétrocession (la juridiction administrative est compétente pour connaître du refus de rétrocession, s'agissant d'une décision administrative) est fondée à ordonner celle-ci après avoir constaté que la commune ne justifiait pas d'un paiement intervenu dans le délai de six mois ayant suivi sa décision d'exercer son droit de préemption (Cass. Civ., 3e, 8 décembre 1999, Bull. n° 239, p. 165). La responsabilité du titulaire du droit de préemption peut également être recherchée afin de réparer les conséquences diverses directement liées à un retard de paiement fautif. Toutefois, seul le juge judiciaire est compétent pour connaître des conclusions tendant à la condamnation de l'acquéreur au paiement d'une indemnité à raison du paiement tardif, et donc fautif, du prix d'acquisition du bien préempté fondé sur un contrat de droit privé (CE 21 avril 2000, Société Foncier Immobilier Lyonnais, Bjdu 2000, p. 183, concl. F. Lamy. Comp. Caa Paris, 15 mars 1994, Delvas, rec. tables, p. 854-1186-1242)