Décembre 1999. Alors responsable éditoriale du magazine externe d'une grande mutuelle, je reçois l'appel téléphonique d'une femme qui me menace d'entrée d'un procès. « Vous avez publié dans l'un de vos articles la photo de ma belle-mère décédée il y a quatre mois. Vous n'aviez pas son autorisation ; vous allez payer et ça va vous coûter cher ! ». Le ton est dur et arrogant : mon interlocutrice se sent parfaitement dans son droit. Mais je reste sereine. La photo incriminée a été prise un mois plus tôt dans un hôpital parisien. On y voit une femme hospitalisée prise en charge par une esthéticienne. Un moment de sérénité et de douceur visant à faire oublier les souffrances imposées par la maladie. La journaliste et le photographe qui ont réalisé le reportage m'ont rapporté les autorisations de prise de vues et de publication signées par la patiente... et par son mari, présent lors de la séance photo. Je n'ai donc rien à craindre : il y a erreur sur la personne.
Mais en moins d'un an, c'est le troisième appel de ce type ! À l'époque, je m'interroge sérieusement sur l'avenir des photographies dans les publications... et de manière plus générale, sur l'évolution du genre humain. Il faut dire c'est l'effervescence de l'autre côté de l'Atlantique : les procès liés au droit à l'image ne cessent de se multiplier. Cette course à l'argent facilement gagné serait-elle contagieuse ?
« Les magistrats ont calmé le jeu »
Décembre 2009 : dix ans ont passé. Et le jeu s'est calmé. « Il y a une dizaine d'années, on a observé en effet une forte montée en puissance des procès engagés suite à publication de photos non autorisées. Mais les magistrats français sont des gens sensés : ils ont calmé le jeu en préservant un juste équilibre entre droit à l'information et droit au respect de la vie privée », souligne Christian Severi, consultant en communication et management.
Une attitude qui a permis aux uns et aux autres de gagner en maturité et de mettre en place les procédures nécessaires pour travailler en toute sérénité.
« Aujourd'hui, la plupart des éditeurs sont conscients des droits et des obligations liés aux prises de vues. La quasi-totalité des collectivités avec lesquelles je travaille disposent d'ailleurs de formulaires de cession de droits d'image et de reproduction qu'ils font signer aux personnes photographiées. Une précaution qui est loin d'être inutile, car en cas de procès, c'est à celui qui publie l'image que revient l'obligation de faire la preuve qu'il a bien reçu l'autorisation de publier », poursuit Christian Severi.
Des formulaires qui peuvent être utilisés pour des publications diffusées tant en externe qu'en interne.
Ainsi, pour la mise à jour de son trombinoscope interne en début d'année, l'Agence des Espaces verts d'Ile-de-France a fait photographier l'ensemble de ses agents. Tous ont signé à cette occasion un formulaire d'autorisation permettant l'utilisation de ce cliché pour tous les supports de communication internes.
Prudence de mise également au sein de l'Institut d'aménagement et d'urbanisme d'Ile-de-France, doté d'une photothèque de plus de 100 000 clichés utilisés pour les publications, études et colloques réalisés par l'organisme. « Nos missions touchent à la vie quotidienne des Franciliens : transport, logement, environnement, sécurité... », explique Aurélie Lacouchie, responsable de la photothèque. « Mais même si nous photographions essentiellement des bâtiments et des équipements, nous veillons à mettre de l'humain dans nos clichés. Alors nous demandons à nos photographes d'être vigilants et de faire signer les papiers nécessaires, en fonction des situations rencontrées. Par exemple, si nous montrons un boulanger qui vend du pain à une cliente, tous deux étant parfaitement reconnaissables, nous demandons les autorisations. Par contre, pour les clichés de foule pris dans des lieux publics, tant qu'il n'y a pas de préjudice ou d'atteinte à la dignité pour les personnes photographiées, nous ne prenons pas de précaution particulière. On ne « floute » pas, on ne met pas de bandeaux sur les yeux : pas question pour nous de tomber dans la parano ! En ce qui concerne les droits liés aux bâtiments ou aux oeuvres d'art, soit nous demandons les autorisations aux architectes ou aux artistes, soit nous mettons ces éléments en second plan. Notre vigilance dans le bon usage des photos est finalement notre meilleure protection. »
Que dit exactement la loi ?
Une « vigilance » que l'on retrouve aujourd'hui dans la plupart des entreprises et collectivités. Une attitude de bons sens, car les risques sont réels.
Le fait de reproduire l'image d'une personne sans avoir eu son autorisation est en effet interdit (article 9 du Code Civil). Dès lors qu'une personne est identifiable, elle peut se retourner contre la publication sans avoir à démontrer le moindre préjudice. Si des personnes sont reconnaissables, il est donc impératif de leur demander leur autorisation (écrite) pour la publication de la photo (ou celle du représentant légal s'il s'agit d'enfants).
Cependant, la jurisprudence a mis deux réserves au principe énoncé.
S'agissant d'une réunion publique ou d'une manifestation collective dans un lieu public, la publication d'une photo est possible dès lors que le cliché n'est pas centré sur une personne. À noter qu'une rue, une place et même une plage sont considérées comme espaces publics (TGI de Paris - 18 mars 1971)
De même, une personne publique (élu, acteur, sportif...), dans l'exercice de ses fonctions, ne peut s'opposer à la publication afin de satisfaire « au besoin légitime d'information du public » (TGI de Nanterre - 6 avril 1995).
Côté « matériel », le propriétaire d'un bien a un droit absolu sur l'image de ce bien. Il est donc nécessaire de demander l'autorisation pour la diffusion d'une photographie le représentant.
Ainsi, en juin 2007, la compagnie Eiffage, à l'origine du viaduc de Millau (CEVM) a demandé par voie d'huissier à un magazine aveyronnais le retrait de la vente d'une publication consacrée au plus haut ouvrage d'art du monde.
Moralité : lorsqu'une collectivité contribue au financement d'un ouvrage, il sera prudent de prévoir par convention les conditions d'utilisation des droits à l'image.