Les dispositions sur le sursis à statuer figurent à l'article L 123-6 du Code de l'urbanisme : « À compter de la délibération prescrivant l'élaboration d'un plan local d'urbanisme, l'autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, dans les conditions et délais prévus à l'article L 111-8, sur les demandes d'autorisation concernant les demandes de constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan. » Encore faut-il que les orientations de ce futur plan soient suffisamment connues pour que l'autorisation demandée puisse être refusée en l'état. La jurisprudence a donc ajouté une condition, à savoir l'état suffisamment avancé de la modification ou de la révision du PLU pour que l'on puisse apprécier les effets de l'opération projetée sur son exécution. Ces conditions sont assez restrictives. Il s'agit de concilier les pouvoirs donnés à la commune pour empêcher la réalisation des projets qui compromettrait la réalisation d'une politique d'urbanisme en cours d'élaboration avec ceux des particuliers désireux d'entreprendre des constructions sur le fondement des règles encore en vigueur.
À l'heure où de nombreux POS ou PLU sont élaborés ou mis en révision dans le cadre de la loi SRU, et notamment pour la suppression des zones NB, la tentation est forte pour certaines communes d'opposer un sursis à statuer afin de ne pas hypothéquer les projets d'urbanisme envisagés dans le cadre de la révision. L'opposition d'un sursis à statuer suscite donc un abondant contentieux.
L'état d'avancement de la révision du PLU
L'état d'avancement de la révision et de la modification du PLU doit être suffisant pour que le sursis puisse être opposé. Le sursis à statuer ne saurait être opposé du seul fait de l'éventualité d'un projet. Pour que les documents du PLU soient opposables à un pétitionnaire et justifient le recours au sursis à statuer, il faut qu'ils permettent de localiser précisément les zones du territoire communal concernées par les modifications envisagées, de préciser la portée exacte de ces modifications et de déterminer dans quelle mesure le projet présenté peut compromettre leur mise en oeuvre.
Il en va ainsi :
- si la révision d'un POS a fait l'objet d'une enquête publique et d'un avis du commissaire enquêteur (CAA Nantes, 18 juin 2002, n° 99NT02886) ;
- si le zonage, le rapport de présentation et le règlement de la zone sont établis (CE, 22 mars 1991, LPA, 25 novembre 1991, p. 10), englobant la parcelle objet de la demande de permis de construire (CAA Nantes, 30 septembre 2008, n° 07NT03349) ;
- si des réunions ont été consacrées à l'examen du zonage et des règles d'urbanisme élaborées à partir du PADD, la circonstance que les participants à ces réunions aient été pour la plupart des agents municipaux ou des urbanistes chargés de l'élaboration du PLU, n'est pas de nature à empêcher de les prendre en compte pour apprécier le degré d'avancement de l'élaboration du PLU. Un tel travail, pour une commune de plus de 70 000 habitants (Antibes), étant nécessairement effectué par des techniciens, sous la direction et la surveillance des élus, le zonage et les grands axes du règlement du PLU ayant été publiés dans l'édition du mois de mai 2006 du Cahier Citoyen, en mentionnant, pour la zone UBa, une borne de profondeur de 16 mètres de constructibilité à partir des limites séparatives et de l'alignement existants. Même si ces documents comportaient une clause selon laquelle ces schémas sont indicatifs des grands principes exposés et en aucun cas ne sauraient constituer un zonage ou une localisation précise, leur publication atteste de ce que ces décisions avaient été prises antérieurement. Dans ces conditions, l'état d'avancement du PLU, qui s'apprécie à la date à laquelle la décision contestée a été prise, doit être regardé comme suffisant pour permettre au maire de la commune d'Antibes de surseoir à statuer sur la demande de permis de construire (CAA Marseille, 29 janvier 2010, n° 07MA04472) ;
- l'institution, par une délibération du 6 mars 2007, du périmètre d'étude du secteur nord de la commune (Pont-de-Clichy), constituant un espace à enjeu majeur en matière de développement économique, d'habitat et d'espaces publics en vue de créer une continuité cohérente avec les périmètres déjà existants, participe directement à l'élaboration du PLU prescrite par la délibération du conseil municipal du 26 juin 2002, ce plan ayant ainsi atteint un état d'avancement suffisant (CAA Versailles, 3 décembre 2009, commune de Clichy La Garenne, n° 08VE02429).
Le sursis à statuer
Corrélativement, le sursis à statuer peut valablement être opposé, dès lors que l'état d'avancement de l'élaboration ou de la révision du PLU traduit un projet précis du PLU relativement au contenu même de la demande de permis de construire.
Il en va ainsi :
- d'une demande de permis de nature à contrarier les orientations d'urbanisme et d'aménagement définies en matière de commerce, par la délibération décidant la révision du POS, dès lors que celle-ci s'approprie les termes d'une étude suffisamment précise qui préconise l'arrêt, dans une partie du territoire communal, des implantations de grandes et moyennes surfaces commerciales (TA Orléans, 23 mai 2002, Préfet du Cher, n° 01-4307, BJDU, 4/2002, p. 281) ;
- dès lors que le projet de révision du POS prévoyait le classement de la parcelle en zone inconstructible (CAA Marseille, 20 octobre 2005, n° 03MA0618) ;
- dès lors que l'emplacement réservé prévu par le POS, destiné à l'aménagement d'une aire d'accueil et d'un parking, figurent sur la liste de ces emplacements annexée au plan, l'ensemble des documents élaborés permettant d'apprécier la portée exacte des modifications projetées (CAA Bordeaux, 27 avril 2004, n° 01BX00189) ;
La jurisprudence ne saurait se contenter, s'agissant d'un acte qui porte atteinte au droit de construire, d'une simple déclaration d'intention. Elle ne peut pas non plus exiger que les orientations du futur plan soient véritablement formalisées. Dans ce cadre ont été jugés dans un état insuffisamment avancé, pour justifier un sursis à statuer, les modifications ou révisions du POS ou PLU suivantes :
- le fait que des études soient en cours ou que des réunions de groupes de travail aient été organisées ne suffit pas à justifier un sursis à statuer (CE, 14 mars 1994, n° 105509) ;
- une délibération municipale qui ne permettait pas de localiser les zones du territoire communal concernées par des modifications de classement (CE, 17 mars 1993, Quotidien Juridique, 10 août 1993, p. 2), la production d'un compte rendu, non daté, de la première réunion de travail associant les personnes publiques aux travaux d'élaboration du plan ne pouvant suffire à établir, qu'à la date de la décision de sursis en litige, le zonage et sa réglementation avaient été, depuis cette première réunion, arrêtés de façon certaine ou matérialisés dans les documents associés à l'élaboration du plan et, qu'ainsi, cette première option initiale était maintenue (CAA Marseille, 11 décembre 2008, commune de Sanary-sur-Mer, n° 07MA00136 ; voir également en ce sens CAA Marseille, 9 octobre 2009, Préfet de l'Hérault, n° 07MA02764) ;
- si le groupe de travail des personnes publiques associées ne s'est pas encore réuni et si des projets d'extension publique des terrains considérés ne sont pas élaborés (CAA Paris, 27 octobre 1994, commune de Puteaux, Quotidien Juridique, 11 mai 1995, p. 4) ;
- une délibération du conseil municipal qui avait envisagé d'instituer une servitude d'espace boisé sans prévoir celle-ci de manière précise est insuffisante à justifier un sursis à statuer (CE, 4 octobre 1995, n° 103338) ;
- des démarches en vue du classement d'une église à l'inventaire des monuments historiques, le groupe de travail ayant, dans sa réunion du 2 novembre 2002, affirmé l'objectif de préservation de l'îlot de l'église en indiquant particulièrement que « les extensions sous forme d'habitat individuel de part et d'autre s'en distinguent du fait notamment de leur implantation en retrait », ne permettent pas de tenir pour établi, qu'à la date de l'arrêté attaqué, l'élaboration du plan avait atteint, en particulier en ce qui concerne les mesures envisagées pour la préservation du site de l'église, qui n'était d'ailleurs pas classé monument historique à cette date, un état d'avancement suffisant pour justifier légalement une décision de sursis à statuer opposable à la demande des requérants (CAA Paris, 20 mars 2008, commune de Saint-Germain Laval, n° 06PA02895).
Appréciation de la légalité du sursis à statuer
L'observation de la jurisprudence récente révèle que le plan d'aménagement de développement durable (PADD) est l'élément central autour duquel s'articule l'appréciation de la légalité du sursis à statuer, en lien avec la deuxième condition de validité tenant à l'exécution plus onéreuse du PLU. Les orientations du PADD d'un PLU peuvent justifier un sursis à statuer sur une demande d'autorisation d'urbanisme, dès lors que les travaux envisagés apparaissent en contradiction avec les dispositions réglementaires que ces orientations préfigurent, quand bien même le PADD d'un PLU approuvé n'est pas opposable aux utilisateurs du sol (CE, 1er décembre 2006, n° 296543).
En revanche, les orientations du PADD ne permettent pas de traduire l'état suffisamment avancé de l'élaboration du PLU, permettant de justifier un sursis à statuer, dans les hypothèses suivantes :
- les orientations du PADD tendant, notamment, à maintenir les activités agricoles existantes et à limiter les activités impliquant des nuisances dans le village, ces orientations présentant un caractère trop général et ne traduisant pas un état suffisamment avancé du futur PLU de la commune de Reuil-sur-Brêche pour apprécier si la construction envisagée serait de nature à compromettre ou rendre plus onéreuse l'exécution de ce plan (TA Amiens, 24 novembre 2009, commune de Reuil-sur-Brêche, n° 0701755) ;
- le conseil municipal ayant approuvé, le 3 février 2004, le PADD mentionnant, notamment, dans son orientation n° 8, la nécessité de protéger les espaces agricoles de la commune, les orientations de ce document ne traduisant pas, notamment en ce qui concerne la zone dans laquelle est situé le projet, un état suffisamment avancé du futur PLU, permettant d'apprécier si une construction serait de nature à compromettre ou rendre plus onéreuse l'exécution de ce futur plan (CAA Marseille, 9 octobre 2009, n° 07MA02764) ;
Le caractère plus onéreux de l'exécution du PLU
Le sursis à statuer opposé à une demande d'autorisation d'urbanisme doit s'appuyer sur des circonstances révélant en quoi le projet est de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du POS ou du PLU et non sur une simple incompatibilité avec ce dernier. Lorsque tel n'est pas le cas, soit parce que les intentions de la commune ne portent sur aucun équipement ou projet précis, soit parce qu'elles ne sont qu'à un stade trop embryonnaire, soit parce que les terrains d'assiette des projets municipaux ne sont pas déterminés, la juridiction administrative censure le sursis à statuer.
Dans ce contexte jurisprudentiel, les projets suivants ont été censurés parce qu'ils étaient manifestement de nature à compromettre l'exécution du futur plan, à raison de divers critères :
- importance des constructions autorisées, le parti d'urbanisme adopté par les auteurs du futur POS consistant en « la réduction de la densité des constructions dans la zone concernée » (CE, 25 avril 2003, n° 208398 ; voir aussi en ce sens, CAA Nantes, 25 mars 2008, commune de l'Île d'Yeu, n 07NT01345) ;
- le terrain d'assiette des constructions projetées étant susceptible d'être réservé à des équipements publics (CE, 3 décembre 1975, Commune de Gasny, Rec. CE, p. 612) ;
- atteinte à la protection des espaces boisés envisagée par le futur PLU (CAA Bordeaux, 11 mai 2010, n 09BX01276), notamment au regard de l'importance de la construction, consistant en un bâtiment à usage commercial d'une SHON de 380 m² statuer (CAA Bordeaux, 16 novembre 2009, SARL Le Petit Buch, n° 08BX01015) ;
- dans le même esprit, une construction projetée sur un terrain d'assiette cultivé à la date de la décision contestée, et situé à 145 mètres de la mer, dont il est séparé par un espace vierge auquel il est incorporé, et qui doit être regardé comme une partie naturelle d'un site inscrit. Par suite, en envisageant de placer la parcelle litigieuse en zone « NL 146-6 », les auteurs du PLU de l'Île d'Yeu n'ont pas fait une inexacte application des dispositions de l'article L 146-6 du Code de l'urbanisme (CAA Nantes, 30 septembre 2008, n° 07NT03349) ou encore un projet portant la SHON des constructions sur le terrain concerné à 5 611 m², alors que l'application des règles du POS résultant des nouveaux zonages envisagés dans le cadre de la révision du POS l'a limitée à 4 551 m², les auteurs de la révision du POS ayant pour objectif de renforcer, en matière paysagère, la protection des sites demeurant naturels (CAA Marseille, 17 juin 2008, n° 05MA01212).
En revanche, n'ont pas été jugés de nature à compromettre l'exécution du futur POS ou PLU les projets suivants :
- un projet de peu d'importance, la contrariété du projet avec les dispositions futures du POS ne suffisant pas, au surplus, à établir que ce projet compromet l'exécution du futur plan, ou le rend plus onéreux (CE, 10 octobre 1990, Bolhosa, n° 96805, rec. CE, p. 272) ;
- les pièces du dossier, notamment les photographies produites, témoignant que compte tenu de leurs caractéristiques, notamment leurs façades recouvertes de briques, leurs toitures pentues en ardoise et en tuiles et leurs murs à colombage, les bâtiments existants sont typiques des constructions traditionnelles du pays d'Auge, et présentent un intérêt architectural et patrimonial (CAA Nantes, 16 février 2010, n° 09NT00832) ;
- le projet d'extension d'un hangar sur une parcelle non de nature à compromettre pour la rendre plus onéreuse l'exécution du futur PLU qui ne saurait résulter d'un simple compte rendu de réunion relatif au projet de révision du PLU de la commune (CAA Nancy, 2 avril 2009, commune de Trigny, n° 08NC00528) ;
- alors même que les travaux envisagés par une association (après démolition partielle des bâtiments existants à usage de bureaux et d'entrepôts, sur une surface de 394 m², en la création d'une SHON de 502 m² à destination de bureaux, salle de réunion, logement de fonction, salle d'ordinateurs, salle de travail, bibliothèque, salle de jeux, réfectoire et dortoir devant accueillir 18 jeunes scolarisés dans les établissements d'enseignement situés à proximité) n'auraient pu être autorisés sur le fondement de la future réglementation (définissant une zone UE, incluant le terrain d'assiette du projet de construction litigieux, et dans laquelle seraient interdits les immeubles collectifs comprenant plus de 2 logements et les structures d'accueil d'hébergement collectif), il résulte de l'instruction qu'en raison de l'état initial des lieux, de la faible dimension des volumes créés, des caractéristiques d'ensemble des constructions envisagées et de leur destination, ils n'étaient pas de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l'exécution du futur plan (CAA Versailles, 5 novembre 2007, commune de Mantes-la-Jolie, n° 06VE00179).