Si l'exécutif municipal est appelé à intervenir au titre la police judiciaire et de la police administrative, c'est avant tout dans ce dernier domaine que se situe et s'exerce l'essentiel de son activité. Ses attributions sont ici particulièrement étendues puisque le maire est à la fois une autorité de police spéciale appelée à réglementer des secteurs ou des activités spécifiques (circulation et stationnement, funérailles et lieux de sépulture, campagnes, baignades et activités nautiques, édifices menaçant ruine, conservation du domaine public communal entre autres) et une autorité de police administrative générale chargée de l'exercice de la police municipale en vue de la protection de l'ordre public.
La légalité des arrêtés et des mesures qu'il édicte en ce dernier domaine est, au-delà des questions de compétence et de forme, subordonnée à trois conditions majeures. Ainsi, toute mesure de police édictée par le maire au titre de la police municipale générale doit être finalisée dans la poursuite de l'ordre public, fondée sur des motifs d'ordre public et, enfin, adaptée à la gravité du trouble ou de la menace pesant sur l'ordre public.
Poursuite de l'ordre public par la mesure de police municipale
La police municipale relevant pour l'essentiel de la police administrative qui consiste à assurer la sécurité des personnes et des biens et la préservation de l'ordre public (TC, 12 décembre 2005, Préfet de la région Champagne Ardenne c/ Cour d'appel de Reims, req. n° C3494), le maire ne peut, en dehors de certaines hypothèses dérogatoires, poursuivre des finalités détachées de l'ordre public, sous peine d'entacher de détournement de pouvoir les décisions ou les mesures adoptées.
En premier lieu, l'ordre public se compose traditionnellement de trois éléments consacrés par la loi du 5 avril 1884 relative à l'administration municipale : la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques, auxquelles il faut aujourd'hui ajouter le bon ordre prévu par l'article L. 2212-2 du CGCT, qui dresse une liste limitative des missions et du champ d'intervention de la police municipale. Il s'agit principalement de la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques, la répression des atteintes à la tranquillité publique et le maintien de l'ordre dans les lieux de grands rassemblements.
En outre, depuis la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, lorsque des faits sont susceptibles de porter atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la salubrité publique, le maire ou son représentant a la possibilité légale procéder verbalement à l'endroit de leur auteur au rappel des dispositions qui s'imposent à celui-ci pour se conformer à l'ordre et à la tranquillité publics, le cas échéant en le convoquant en mairie avec ses parents ou une personne éducative dans le cas d'un mineur (art. L. 2212-2-1 CGCT).
Mesures de police fondées sur des motifs d'ordre moral
Par ailleurs, l'ordre public étant un ordre matériel, la police administrative n'a pas, en principe, vocation à poursuivre l'ordre moral, sauf si ce dernier coïncide avec le maintien de l'ordre public. Le juge administratif n'admet la légalité des mesures de police fondées sur des motifs d'ordre moral que dans la mesure où elles sont également justifiées par la nécessité de protéger l'ordre public stricto sensu dont, principalement, la tranquillité publique (CE, 13 février 1953, Hubert de Ternay, Rec., p. 66 : à propos de la police municipale des spectacles forains qui est exercée « dans l'intérêt du bon ordre, de la moralité et de la sûreté publique »).
Ainsi, il est possible pour le maire d'interdire, sur le territoire de sa commune, la projection d'un film ayant obtenu le visa ministériel d'exploitation dès lors que cette projection est susceptible d'entraîner des troubles sérieux ou d'être préjudiciable à l'ordre public en raison du caractère immoral du film et de la présence de circonstances locales particulières (CE, 18 décembre 1959, Société Les Films Lutétia, Rec., p. 693 ; CE, 14 octobre 1960, Société Les Films Marceau, Rec., p. 454 ; CE, 26 juillet 1985, Ville d'Aix-en-Provence, Rec., p. 236). L'application de ce principe nécessite de la part de l'exécutif municipal une appréciation in concreto, tenant compte des circonstances et de la situation en présence. C'est pourquoi, l'interdiction de projeter un même film sera tantôt légale, tantôt illégale, d'une commune à une autre (CE, 4 mai 1962, Ville de Montpellier, Rec., p. 299 ; CE, 4 mai 1962, Ville de Calais, Rec., p. 300 ; CE, 6 novembre 1963, Ville du Mans et Ville de Nantes, Rec., T., p. 834 ; CE, 9 mars 1962 et 25 février 1996, Société nouvelle des établissements Gaumont, Rec., p. 162 et Rec., T., p. 1121).
De la même manière, le maire peut légalement prononcer l'interdiction des dénominations des voies publiques ou privées qui seraient contraires à l'ordre public ou aux bonnes moeurs (CE, 19 juin 1974, Broutin, Rec., p. 346), la fermeture d'un lieu de débauche portant atteinte à la moralité publique et constitutif d'un trouble à l'ordre public (CE, 30 septembre 1960, Sieur Jauffret, Rec., p. 504), la prohibition de la distribution de documents publicitaires présentant un caractère licencieux ou pornographique (CE, 9 octobre 1996, Commune de Taverny c/ Société Comareg Ile-de-France, Rec., T., p. 1057) ou encore le refus d'autorisation de la pose de deux enseignes publicitaires d'un « sex-shop » à proximité d'un monument aux morts pour la Résistance (CE, 11 mai 1977, Ville de Lyon, Rec., p. 210).
Inversement, est illégale l'interdiction, sur le territoire d'une commune, d'un affichage en faveur de « messageries roses », dès lors qu'il n'est pas établi que cet affichage est susceptible de provoquer des troubles sérieux ou d'être préjudiciable à l'ordre public en raison du caractère immoral (non établi) de telles messageries et de la présence de circonstances locales particulières (CE, 8 décembre 1997, Commune d'Arcueil c/ Régie publicitaire des transports parisiens, Rec., p. 482).
Enfin, le spectacle dit de « lancer de nains », qui consiste à utiliser comme projectile une personne affectée d'un handicap physique, est considéré comme portant atteinte ici à la dignité humaine, laquelle peut être rattachée à l'ordre public via l'ordre moral. Le maire peut ainsi en interdire le déroulement, y compris en l'absence de circonstances locales particulières, nonobstant la circonstance que toutes les mesures avaient été prises pour assurer la sécurité de la personne en cause et que cette dernière se prêtait librement à cette exhibition contre rémunération (CE, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, Rec., p. 372).
Le cas des finalités ne relevant pas de l'ordre public
En second lieu, en dehors de toute disposition textuelle l'y autorisant expressément et de certaines exceptions jurisprudentielles, le maire ne peut faire usage de ses pouvoirs de police municipale en vue de poursuivre des finalités ne relevant pas de l'ordre public.
Est ainsi illégal le fait d'ordonner, pour des motifs d'ordre purement esthétique, la disparition d'un dépôt de vieux véhicules (CE, 21 juillet 1970, Loubat, Rec., p. 507) ou l'enlèvement d'automobiles autorisées pour des spectacles de « stock-cars » et entreposées sur le terrain d'un particulier (CE, 9 janvier 1975, Commune de Janvry, Rec., p. 410), de réglementer la dimension des monuments funéraires et de soumettre à autorisation préalable tout projet de construction de tombe ou de caveau (CE, 18 février 1972, Chambre syndicale des entreprises artisanales du bâtiment de la Haute-Garonne, Rec., p. 153) ou de limiter le type de monuments ou de plantations que peuvent placer sur les tombes les personnes titulaires d'une concession funéraire (CE, 11 mars 1983, Commune de Bures-sur-Yvette, Rec., p. 104).
Il en va de même pour :
- l'arrêté de police réglementant diverses activités touristiques sur un lac ou ses abords en vue, non pas de protéger l'ordre public, mais de défavoriser l'un des concessionnaires de la plage par rapport à ses concurrents (CE, 20 octobre 1971, Rec., p. 614),
- l'autorisation des marchands forains et ambulants à ne pratiquer leur commerce que sur une seule place une matinée par semaine, ceci afin de préserver les intérêts des commerçants de la commune (CE, 22 janvier 1975, Commune de Vallon-Pont-d'Arc, Rec., p. 43 ; CE, 23 avril 1997, Commune des Gets, Rec., T., p. 972),
- les mesures édictées en vue d'assurer l'exécution d'un contrat ou le règlement d'un litige (CE, 8 juin 1963, Dibon, Rec., p. 380),
- l'intervention du maire afin de mettre un terme à un différend opposant le directeur d'une maison des jeunes à la collectivité (CE, 19 janvier 1979, Ville de Viry-Châtillon, Rec., T., p. 651),
- les dispositions destinées à faire obstacle à l'exécution d'une décision de justice passée en force de chose jugée (TA Cergy-Pontoise, Ord., 14 avril 2004, Préfet de la Seine-Saint-Denis, req. n° 0402506)
- les mesures visant à faire respecter la règle d'égalité entre les hommes et les femmes (TA Cergy-Pontoise, 21 juillet 2005, Société Jasmeen, req. n° 0409171).
Ainsi, toute mesure de police municipale prise dans un but ne relevant pas de l'ordre public est constitutive d'un détournement illégal de pouvoir, que cette mesure ait été prise pour des motifs visant à protéger un intérêt privé ou un autre intérêt public.
Cela étant, si les mesures de police n'ont pas vocation à poursuivre l'ordre économique (CE, 25 juillet 1975, Chaigneau, Rec., p. 436), cela ne dispense toutefois pas le maire de prendre également en compte la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi que les règles du droit de la concurrence auxquelles il ne doit pas être porté d'atteintes injustifiées (CE, Avis, 22 novembre 2000, Société L. et P. Publicité, Rec., p. 525).
Motivation d'ordre public de la mesure de police municipale
Toute décision de police administrative doit être motivée par l'existence de menaces potentielles ou réelles à l'ordre public et, ainsi, par la nécessité impérieuse d'assurer la sauvegarde de cet ordre (CC, Décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, JORF, 19 mars 2003, p. 4789). Le juge vérifie alors si l'ordre public était sérieusement menacé au moment où la mesure de police litigieuse a été édictée par l'autorité compétente (CE, 19 juin 1953, Houphouët-Boigny, Rec., p. 298 : à propos de l'existence ou de la probabilité d'un trouble susceptible d'être causé par la tenue d'une réunion).
Dans tous les cas, c'est au maire qu'il revient d'apporter la preuve de l'existence d'une menace sérieuse pour l'ordre public ayant commandé son intervention, faute de quoi les mesures de police concernées seront réputées avoir été adoptées sur des faits matériellement inexacts et encouront l'annulation pour illégalité de la part du juge (CAA Douai, 29 décembre 2005, Commune de Waziers, req. n° 05DA00726 : à propos de l'illégalité des mesures « anti-coupure d'électricité » du maire).
Sont à ce titre illégales, car dénuées de toute motivation d'ordre public :
- la réglementation des convois funèbres sur la voie publique et l'interdiction des membres du clergé, revêtus de leurs habits sacerdotaux, d'y participer alors même qu'aucun motif tiré de la nécessité de maintenir l'ordre public ne pouvait être invoqué par le maire (CE, 19 février 1909, Abbé Olivier, Rec., p. 181),
- le refus d'autoriser une association de tenir une réunion dans un lieu ordinairement mis à la disposition de divers groupements (CE, 15 octobre 1969, Association « Caen Demain », Rec., p. 435 ; CE, 8 juillet 1970, Commune de l'Hermitage, Rec., p. 469),
- le respect de l'exigence de motivation s'impose tout autant à un maire désireux de recourir à la vidéosurveillance (circulaire du 22 octobre 1996, art. 2.3.1.1) sur une partie du territoire de sa commune. Seuls des motifs tirés du souci d'assurer la protection des bâtiments et installations publiques et leurs abords, la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, la régulation du trafic routier et la constatation des infractions aux règles de la circulation, la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression et de vols et la prévention d'actes de terrorisme, peuvent justifier le recours à ce procédé (loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité, modifiée par la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme, art. 10-II).
(Dans notre prochain numéro, la 2e partie de cette Expertise sera consacrée à l'adaptation de la mesure de police municipale à la gravité du trouble)