Le 14 avril 2025, le Premier ministre François Bayrou annonçait une « Charte de l’assurabilité » pour faire face aux conséquences de plus en plus concrètes du changement climatique. Une initiative attendue, en réponse aux limites du modèle français de l’assurance : primes en forte hausse, refus de couverture, sinistralité record... Toutefois, pour que cette charte ait un réel impact, encore faut-il savoir comment reconstruire un modèle d’assurance viable, solidaire et technologiquement adapté à la nouvelle réalité du climat.
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Dans de nombreuses communes françaises, les maires tirent la sonnette d’alarme face au constat de territoires de moins en moins assurables. Incendies, inondations, sécheresses, émeutes : l’exposition cumulée aux risques fait flamber les primes, voire rend certains biens tout simplement non assurables. Et quand les assureurs refusent de couvrir une propriété, c’est tout un territoire qui se fige : impossible d’investir, de construire, de céder un bien. L’assurance devient alors une barrière invisible à la vie économique.
Le modèle mutualiste français repose aujourd’hui sur le régime Cat Nat, financé par une surprime obligatoire. Mais ce système est sous pression : avec une sinistralité passée à 6,5 milliards d’euros en 2023 et des projections à 143 milliards en 2050, les assureurs optent de plus en plus pour une tarification individualisée, géographiquement indexée. Autrement dit : vivre dans une zone à risque coûtera plus cher, parfois même beaucoup plus que prévu. L’assurance reste possible sur le papier, mais devient inaccessible dans les faits.
La Californie vit déjà ce scénario. Confrontée à des risques extrêmes et à un marché de l’assurance largement privé, elle voit certains contrats d’assurance habitation grimper au-delà des 10 000 dollars par an. En réponse à cette crise, des collectivités ont réagi. C’est le cas à Mill Valley où le programme FireSmart promeut le débroussaillage, les matériaux ignifuges et la formation aux gestes de prévention. Ces efforts collectifs permettent d’obtenir des réductions de primes et de maintenir une certaine assurabilité. La France, avec sa mutualisation nationale, n’en est pas encore là. Mais les exemples américains rappellent une vérité : face au risque climatique, la résilience commence au niveau local.
Pour une assurabilité durable : mutualiser, prévenir, moderniser
Le danger, comme l’a souligné le Premier ministre, c’est une "démutualisation de fait". Or, l’équilibre est fragile. Les réassureurs internationaux se retirent de certains marchés, la Caisse Centrale de Réassurance ne peut pas tout compenser, et les assureurs n’ont aucune obligation de couvrir un bien à n’importe quel prix. Pour les inciter à rester dans le jeu, la prévention au niveau local et l’innovation technologique doivent devenir des piliers de l’assurabilité.
Aujourd’hui, l’assurabilité ne peut plus reposer uniquement sur le principe de mutualisation. Elle doit s’appuyer sur une meilleure prévention et une technologie adaptée aux risques contemporains. Les données historiques ne suffisent plus, car les tempêtes d’aujourd’hui n’ont plus rien à voir avec celles des années 1980. Il faut désormais modéliser, anticiper, monitorer.
Pour cela, des outils existent : capteurs de crue ou de mouvement de sol, stations météo locales, assurance paramétrique... Le défi, pour les assureurs, est de réussir à les intégrer efficacement à leurs systèmes d’information vieillissants, ce que nombre d’entre eux peinent encore à faire aujourd’hui. Les données existent, les outils aussi, mais leur exploitation reste pour l’instant incomplète.
Le plan Bayrou marque une avancée notable, reconnaissant la problématique de l’assurabilité comme une question désormais d’intérêt général, et non plus un simple enjeu sectoriel. Mais cette ambition doit s’accompagner d’un changement de paradigme chez les acteurs du secteur. L’assurabilité de demain se construira à la croisée de trois piliers : la solidarité nationale, l’engagement local et l’agilité technologique. Cela suppose des systèmes modernisés, des données mieux exploitées, et une coopération renforcée entre les différents acteurs du secteur.
Reste à savoir si les systèmes informatiques en place chez les assureurs, parfois âgés de plusieurs décennies, sauront faire preuve de la souplesse nécessaire pour intégrer et exploiter ces nouvelles technologies au cœur des processus.