I. expropriation
Conseil constitutionnel, 6 avril 2012, Consorts T., n° 2012-226 Qpc
Si cette décision ne concerne pas directement les autoroutes, elle apporte des précisions intéressantes au sujet de la procédure d'expropriation prévue à l'article L15-2, qui peut être mise en œuvre pour des travaux de construction d'autoroutes. La possibilité de consignation des sommes indemnitaires, censurée dans cette décision, avait été jugée constitutionnelle, en 1989 (1), dans le cadre de la procédure d'extrême urgence prévue à l'article L. 15-9 - qui a notamment vocation à s'appliquer lorsque l'exécution de travaux de construction d'autoroutes déclarés d'utilité publique risque d'être retardée.
En 2012, le Conseil constitutionnel a apporté d'autres précisions sur le thème des consignation des sommes indemnitaires – cette fois-ci sans que l'affaire ne possède de caractère d'urgence – à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité (Qpc).
Depuis la mise en place de la question prioritaire de constitutionnalité en 2008, les recours, on le sait, se sont multipliés. Cette nouvelle liberté n'a pas échappé aux citoyens. Elle permet, entre autres, de mettre en cohérence le droit avec l'évolution de la société. Le Parlement a donc institué une espèce de “cercle vertueux”, contrôlant systématiquement la constitutionnalité des nouvelles lois. Il n'empêche que l'on peut mettre en cause de vieux textes. C'est le cas ici.
Les Consorts T. ont été expropriés d'un lot de copropriété dépendant de l'immeuble sis à Paris XVIIIe par ordonnance du juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Paris en date du 1er avril 2009 rendue dans le cadre d'une opération déclarée d'utilité publique le 23 juin 2007.
L'utilité publique de l'opération n'a pas été contestée, pas plus que la légalité de l'ordonnance d'expropriation.
Le juge de l'expropriation du tribunal de grande instance de Paris est saisi par les Consorts T. en vue de fixer le préjudice subi à la fois au titre de leur expropriation et de l'éviction partielle du fonds de commerce de boucherie (lot constitué d'une chambre froide) qu'ils exploitent à cette adresse. Il rend le 4 octobre 2010 un jugement fixant l'indemnité revenant aux Consorts T. La Semavip, bénéficiaire de la Dup, interjette appel de cette décision.
Parallèlement, en vue de prendre possession de l'immeuble exproprié, la Semavip propose aux Consorts T. de leur verser une partie l'indemnité correspondant à l'offre et de consigner le surplus à la Caisse des dépôts et consignations, en s'appuyant sur les articles L. 15-1 et 15-2 du Code de l'expropriation. Ces derniers refusent tout versement, demandant que leur soit réglée la totalité de l'indemnité fixée par le premier juge. Le juge de l'expropriation est donc saisi à nouveau par assignation les 17 et 20 juin 2011 en vue de prononcer l'expulsion des Consorts T. Ces derniers soulèvent alors une question prioritaire de constitutionnalité, contestant la conformité des articles L. 15-1 et 15-2 du Code l'expropriation à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel est saisi le 16 janvier 2012 par la Cour de cassation (troisième chambre civile, n° 11-40085), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution (2), de cette Qpc. Il s'agit d'analyser la procédure dite de prise de possession anticipée et de sa conformité aux droits et libertés que garantit la Constitution.
Voici ses conclusions :
« Considérant qu'aux termes de l'article L. 15-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : “Dans le délai d'un mois, soit du paiement ou de la consignation de l'indemnité, soit de l'acceptation ou de la validation de l'offre d'un local de remplacement, les détenteurs sont tenus d'abandonner les lieux. Passé ce délai qui ne peut, en aucun cas, être modifié, même par autorité de justice, il peut être procédé à l'expulsion des occupants” ; qu'aux termes de l'article L. 15-2 du même code : “L'expropriant peut prendre possession, moyennant versement d'une indemnité au moins égale aux propositions faites par lui et consignation du surplus de l'indemnité fixée par le juge” ; Considérant que, selon les requérants, en permettant à l'autorité expropriante de prendre possession des lieux en ayant versé la somme qu'elle a elle-même proposée à titre d'indemnisation, la différence avec l'indemnité fixée par le juge de l'expropriation devant être simplement consignée, ces dispositions méconnaissent l'article 17 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 ; qu'en avantageant, en cas d'appel, la collectivité expropriante, elles méconnaîtraient également ses articles 6 et 16 impliquant qu'une procédure doit être juste et équitable et garantir l'équilibre des droits des parties ;
Considérant qu'aux termes de l'article 17 de la Déclaration de 1789 : “La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité” ; qu'afin de se conformer à ces exigences constitutionnelles, la loi ne peut autoriser l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'une opération dont l'utilité publique est légalement constatée ; que la prise de possession par l'expropriant doit être subordonnée au versement préalable d'une indemnité ; que, pour être juste, l'indemnisation doit couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain, causé par l'expropriation ; qu'en cas de désaccord sur la fixation du montant de l'indemnité, l'exproprié doit disposer d'une voie de recours appropriée ;
Considérant que les dispositions contestées déterminent les règles de droit commun relatives à la prise de possession à la suite d'une expropriation pour cause d'utilité publique ; que l'article L. 15-1 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique permet à l'autorité expropriante de prendre possession des biens qui ont fait l'objet de l'expropriation dans le délai d'un mois soit du paiement ou de la consignation de l'indemnité, soit de l'acceptation ou de la validation de l'offre d'un local de remplacement ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 15-2 du même code que, lorsque le jugement fixant les indemnités d'expropriation est frappé d'appel, l'expropriant peut prendre possession des biens moyennant versement d'une indemnité au moins égale aux propositions qu'il a faites et consignation du surplus de celle fixée par le juge ;
Considérant que, si le législateur peut déterminer les circonstances particulières dans lesquelles la consignation vaut paiement au regard des exigences de l'article 17 de la Déclaration de 1789, ces exigences doivent en principe conduire au versement de l'indemnité au jour de la dépossession ; qu'en cas d'appel de l'ordonnance du juge fixant l'indemnité d'expropriation, les dispositions contestées autorisent l'expropriant à prendre possession des biens expropriés, quelles que soient les circonstances, moyennant le versement d'une indemnité égale aux propositions qu'il a faites et inférieure à celle fixée par le juge de première instance et consignation du surplus ; que, par suite, les dispositions contestées des articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique méconnaissent l'exigence selon laquelle nul ne peut être privé de sa propriété que sous la condition d'une juste et préalable indemnité ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, les dispositions des articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique doivent être déclarées contraires à la Constitution. »
À noter que les sages, soucieux de ne pas bouleverser le paysage juridique français en annulant brutalement une procédure vieille et très utilisée, laissent du temps au législateur pour “redresser la barre” : « Considérant que l'abrogation immédiate des articles L. 15-1 et L. 15-2 du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique aurait des conséquences manifestement excessives ; que, par suite, afin de permettre au législateur de mettre fin à cette inconstitutionnalité, il y a lieu de reporter au 1er juillet 2013 la date de cette abrogation. »
On peut cependant s'interroger sur ces conclusions puisqu'historiquement cet article L. 15-2, malgré sa codification en “L”, est d'origine réglementaire : il a été en effet introduit par un décret (n° 2005-467 du 13 mai 2005). Rappelons néanmoins que les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours (article 62, § 3 de la Constitution).
II. occupation du domaine public
A. Fixation du montant de la redevance pour occupation du domaine public
Conseil d'État, 7 mai 2012, Syndicat Intercommunal du Canal des Alpines Septentrionales, n° 343697
Selon les dispositions des anciens articles L. 28 et L. 29 du Code du domaine de l'État (abrogées au 1er juillet 2006 et reprises désormais dans le Code général de la propriété des personnes publiques) (3), toute occupation privative du domaine public est subordonnée à la délivrance d'une autorisation et… au paiement d'une redevance. En effet, le principe de non-gratuité du domaine public (4) a été souligné par la cour administrative d'appel de Marseille le 6 décembre 2004 dans l'arrêt Commune de Nice (5). Il appartient à l'autorité chargée de la gestion du domaine public de fixer les conditions de délivrance des permissions d'occupation et de déterminer le tarif des redevances en tenant compte des avantages de toute nature que le permissionnaire est susceptible de retirer de l'occupation du domaine public.
C'est notamment le cas sur autoroute (6) avec les restaurants et les stations-service. Les sociétés autoroutières perçoivent en effet une redevance pour l'occupation du domaine public autoroutier par ces établissements calculée en fonction du chiffre d'affaires.
Le Conseil d'État dans un avis n° 366 305 du 16 mai 2002 a en effet rappelé que ces installations commerciales (7) concourent à la délégation de service public qu'est l'autoroute.
Afin de mener à bien ce dernier aspect de leur mission – obligation qui leur incombe nécessairement en vertu de leurs engagements contractuels – les sociétés concessionnaires d'autoroutes concluent avec diverses entreprises des contrats qui, s'ils com-prennent à titre accessoire des clauses relatives à des travaux de construction, portent essentiellement sur l'exploitation des installations commerciales susmentionnées. Aux termes de ces contrats, les entreprises, autorisées à occuper le domaine public en échange du paiement d'une redevance, sont notamment chargées d'assurer des prestations de distribution de carburant, de restauration, d'hôtellerie ou de change de devises.
« (…) Il résulte des stipulations des contrats en cause que la possibilité d'exercer une activité économique sur les aires d'autoroutes est réservée aux seules entreprises titulaires de tels contrats d'exploitation. » Les activités ainsi exercées qui peuvent être regardées comme des activités de service public sont celles qui, directement nécessaires aux besoins particuliers des usagers des autoroutes, répondent à des considérations d'intérêt général en contribuant à la sécurité et à l'efficacité du trafic autoroutier et qui, par suite, sont soumises par les sociétés concessionnaires d'autoroutes, à des contraintes et des conditions d'exploitation propres à assurer aux usagers un service continu et adapté. « Parmi les prestations offertes sur les aires de service, seules la distribution de carburant et la restauration réunissent ces conditions et peuvent en conséquence être regardées comme des activités de service public. (…)
Les contrats portant sur l'exploitation des installations annexes assurant les prestations de service public susmentionnées sont conclus par des sociétés concessionnaires de service public et, ainsi qu'il a été dit, autorisent les entreprises prestataires de service à occuper le domaine public de l'État. Ces contrats sont, en conséquence et par application de l'article L. 84 du Code du domaine de l'État, des contrats administratifs.
Les entreprises qui, en vertu de ces contrats, sont prestataires de service, tirent l'intégralité de leurs ressources des recettes d'exploitation de leur activité : elles en supportent ainsi le risque économique. C'est pourquoi, ceux de ces contrats qui ont pour objet principal de confier, dans les conditions ci-dessus rappelées, la gestion d'un service public, doivent s'analyser comme des sous-concessions de service public. » À ce titre, l'autorité concédante (l'État) agrée ces contrats administratifs, vérifiant notamment qu'il y a bien eu concurrence et que le contractant est solvable.
La détermination du montant de la redevance peut cependant faire débat. La Haute Juridiction a tranché. En l'absence de toute stipulation réservant au concédant la détermination du montant des redevances, une totale liberté s'applique. Y compris en l'absence de décision autorisant le concessionnaire à fixer ce montant. Par suite, la légalité des redevances instituées par le concessionnaire n'est pas subordonnée à la justification par celui-ci d'une décision l'autorisant à percevoir de telles redevances et à fixer ce montant.
« Considérant qu'aux termes de l'article L. 28 du Code du domaine de l'État, alors en vigueur : “Nul ne peut, sans autorisation délivrée par l'autorité compétente, occuper une dépendance du domaine public national ou l'utiliser dans des limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous” ; que l'article L. 29 du même code, également applicable, prévoit que “La délivrance des autorisations de voirie sur le domaine public national est subordonnée au paiement, outre les droits et redevances perçus au profit soit de l'État, soit des communes, d'un droit fixe correspondant aux frais exposés par la puissance publique” ; qu'il résulte de ces dispositions, d'une part, que toute occupation privative du domaine public est subordonnée à la délivrance d'une autorisation et au paiement d'une redevance ; que, d'autre part, il appartient à l'autorité chargée de la gestion du domaine public, en l'absence de dispositions contraires, de fixer les conditions de délivrance des permissions d'occupation et, à ce titre, de déterminer le tarif des redevances en tenant compte des avantages de toute nature que le permissionnaire est susceptible de retirer de l'occupation du domaine public ; qu'en l'absence de toute stipulation contractuelle réservant au concédant la détermination du montant des redevances, ces règles trouvent à s'appliquer, même en l'absence de décision autorisant le concessionnaire à fixer ce montant, au concessionnaire délivrant les autorisations d'occupation du domaine public dont l'exploitation lui est concédée ;
Considérant qu'en subordonnant la légalité des redevances en litige à la justification par le Syndicat intercommunal du canal des Alpines septentrionales, qui était concessionnaire de l'État et se prévalait des dispositions de l'article L. 29 de ce code, d'une décision l'autorisant à percevoir une telle redevance, le tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, le Syndicat intercommunal du canal des Alpines septentrionales est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué (…). »
En fait cette décision n'est pas nouvelle (8). Elle fait écho à plusieurs autres jugements. Pour le domaine autoroutier, citons l'arrêt du Conseil d'État du 10 juin 2010 (9) qui affirme la compétence d'une société concessionnaire d'autoroutes pour fixer et percevoir la redevance : « Considérant que, pour rejeter l'appel de la Société Escota, la cour, après avoir relevé que les redevances litigieuses étaient réclamées en application de dispositions du Code des postes et télécommunications issues d'un décret du 30 mai 1997 annulées par une décision du Conseil d'État du 21 mars 2003 et que cette annulation contentieuse avait privé de base légale les redevances en cause, a jugé qu'aucun principe ni aucune disposition législative ou réglementaire n'était de nature à donner un fondement légal aux prétentions de la requérante ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressort des pièces du dossier qui lui était soumis que l'État, propriétaire du domaine public autoroutier sur les tronçons d'autoroute en cause, en avait concédé la gestion à la Société Escota en vertu d'une convention, approuvée par décret du 29 novembre 1982, et dont l'article 5 autorise celle-ci à percevoir des péages sur les autoroutes et des redevances pour installations annexes et que, dès lors, la Société Escota était compétente pour fixer les modalités de la redevance due par la société France Télécom et en percevoir le produit, la cour a commis une erreur de droit ; que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la Société Escota est fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque ; »
À noter, s'il était vraiment besoin de le rappeler que les sociétés, quel que soit leur statut, exploitent bien du domaine public de l'État !
Mêmes remarques pour l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 16 décembre 2010, France-Télécom c/ Sanef, qui en sus rappelle l'existence de droits réels détenus par les occupants, remet en perspective ces demandes d'occupations (il s'agit bien de permissions de voirie) tout en soulignant, qu'en l'espèce, le montant maximum de cette redevance est fixé par décret : « Considérant qu'aux termes de l'article L. 122-4 du Code de la voirie routière : (…) peuvent être concédées par l'État soit la construction et l'exploitation d'une autoroute, soit l'exploitation d'une autoroute ainsi que la construction et l'exploitation de ses installations annexes telles qu'elles sont définies au cahier des charges (…). Qu'il résulte de l'article L. 34-1 du Code du domaine de l'État que : Le titulaire d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public de l'État a, sauf prescription contraire de son titre, un droit réel sur les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier qu'il réalise pour l'exercice d'une activité autorisée par ce titre. Ce droit confère à son titulaire, pour la durée de l'autorisation et dans les conditions et les limites précisées dans la présente section, les prérogatives et obligations du propriétaire (…). ; que l'article L. 34-5 du même code prévoit que : Les dispositions de la présente section sont également applicables aux conventions de toute nature ayant pour effet d'autoriser l'occupation du domaine public (…). ; qu'aux termes de l'article L. 47 modifié du Code des postes et communications électroniques : L'occupation du domaine routier fait l'objet d'une permission de voirie délivrée par l'autorité compétente (…). L'autorité mentionnée à l'alinéa précédent doit prendre toutes dispositions utiles pour permettre l'accomplissement de l'obligation d'assurer le service public universel des télécommunications (…). La permission de voirie (…) donne lieu à versement de redevances dues à la collectivité publique concernée pour l'occupation de son domaine public dans le respect du principe d'égalité entre tous les opérateurs (…).Un décret en Conseil d'État (10) détermine les modalités d'application du présent article et notamment le montant maximum de la redevance mentionnée à l'alinéa ci-dessus ; qu'il résulte de ces dispositions que toute occupation privative du domaine public est subordonnée à la délivrance d'une autorisation et au paiement d'une redevance. »
B. Installations commerciales sur domaine public autoroutier et renouvellement
Conseil d'État (7e et 2e sous-sections réunies), 9 octobre 2013, n° 36013, (Inédit au recueil Lebon),
Plus récemment, le CE s'est à nouveau penché sur les contrats des installations commerciales mais cette fois-ci sous l'aspect du renouvellement.
La Société des Autoroutes Paris-Normandie (Sapn) alors société d'économie mixte (on verra plus loin que le détail a son importance), concessionnaire notamment de l'autoroute de Normandie (A13), a conclu le 25 avril 1980 avec la société Sonotel SA et le 9 novembre 1987 avec la société Sonotel Lex, un contrat de sous-concession ayant pour objet la construction et l'exploitation d'un restaurant sur deux aires de service de l'autoroute. L'article 2 de chacun de ces deux contrats de sous-concession prévoyait qu'ils étaient conclus pour une durée allant « jusqu'à l'expiration de la concession de l'Autoroute » (soit le 3 août 2003), et qu'« au cas où cette concession viendrait à être prorogée, la durée du contrat le serait tout autant ». C'est ainsi qu'à trois reprises, c'est-à-dire en 1991, 1995 et 2001, la durée de la concession de la Sapn a été allongée par l'État concédant. La fin actuelle est ainsi fixée au 31 décembre 2028. Par un courrier du 26 février 2003, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (Dgccrf) a attiré l'attention du ministère de l'Environnement sur ces contrats en rappelant en particulier l'avis du Conseil d'État du 16 mai 2002 selon lequel les contrats portant sur les services de restauration et de distribution de carburant « peuvent (…) être regardés comme des activités de service public ». À ce titre, les pouvoirs adjudicateurs (voir supra), dont font partie les sociétés d'économie mixte autoroutières, doivent sélectionner les entreprises après une mise en concurrence préalable. La Sapn, s'appuyant sur la nécessité d'une remise en concurrence périodique, a donc informé les deux sociétés sous-concessionnaires que les contrats d'exploitation « n'étaient pas susceptibles d'être prorogés automatiquement » et qu'ils « prendront donc fin à la date normale d'expiration en dehors de toute prorogation, soit le 3 août 2003 ». La Sapn a ensuite lancé une nouvelle procédure de publicité et de mise en concurrence au terme de laquelle Sonotel a été déclarée… attributaire des deux contrats jusqu'au 31 décembre 2012. Saisi par la même Sonotel d'une demande indemnitaire fondée sur la résiliation anticipée des contrats, le tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande le 17 novembre 2008. La cour administrative d'appel de Paris a confirmé à son tour le 10 avril 2012, la décision de rejet du tribunal administratif.
Attardons-nous un instant sur cette décision. Elle rappelle les quatre principes suivants :
le principe de loyauté des relations contractuelles ;
l'illicéité de la clause de tacite reconduction ;
le pouvoir adjudicateur et la notion de « publicité adéquate » ;
le principe de sécurité juridique et de confiance légitime et la divisibilité des contrats.
1. Le principe de loyauté des relations contractuelles (et ses limites)
En cas de litige relatif à l'exécution d'un contrat, le juge doit faire application du contrat au nom de l'exigence de loyauté dans les relations contractuelles. Exception néanmoins : le juge écarte le contrat s'il constate une irrégularité « tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement» (11).
2. Nullité de la clause de tacite reconduction
La clause de tacite reconduction qui a pour objet, rappelons-le, de permettre la passation d'un nouveau contrat sans que soient respectées les obligations de publicité et de mise en concurrence prévues par le régime applicable, est nulle en l'espèce. (12)
3. Le pouvoir adjudicateur et la notion de « publicité adéquate »
Le contrat de sous-concession (assorti rappelons-le d'une autorisation d'occupation du domaine public) ne relève pas de la loi Sapin du 29 janvier 1993, puisque la Sapn était une personne morale de droit privé (bien que société d'économie mixte). Par ailleurs, la directive européenne dite Services n° 92/50/CE du 18 juin 1992 a exclu de son champ d'application les concessions de service public. Il ressort néanmoins de la décision de la Cour de justice de la Communauté européenne Teleaustria Verlags du 7 décembre 2000 qu'un pouvoir adjudicateur doit, avant de conclure une concession de service public, mettre en œuvre un degré de « publicité adéquat propre à assurer le respect des principes posés par le traité de la Communauté européenne », c'est-à-dire l'égalité de traitement, la transparence et la non-discrimination. La Sapn, qui au moment des faits était majoritairement financée par l'État, satisfaisait un besoin d'intérêt général autre qu'industriel et général et devait être considérée comme un « pouvoir adjudicateur » au sens de la définition donnée par l'article 9 de la loi du 3 janvier 1991 transposant en droit interne la directive européenne mentionnée plus haut (13). Les contrats litigieux étaient donc susceptibles d'intéresser des opérateurs économiques implantés sur le territoire d'autres États membres de l'Union européenne et en conséquence ne pouvaient être passés qu'après mise en œuvre d'un degré de publicité adéquat.
4. Le principe de sécurité juridique et la divisibilité des contrats
Les clauses de tacite reconduction étaient entachées de nullité ab initio sans que l'on puisse soutenir que l'application rétroactive du principe de transparence porte atteinte aux principes de sécurité juridique et de confiance légitime.
Autre argument soulevé, l'équilibre financier des sous-concessions. Pour le juge d'appel, il ne repose pas sur leur prorogation et la commune intention des parties n'était pas de lier leur sort à une telle prorogation. Par suite, les clauses de prorogation sont divisibles des contrats et n'emportent pas la nullité des contrats. Dès lors la responsabilité quasi-contractuelle ou quasi délictuelle de la Sapn ne saurait être engagée.
Enfin, la cour a estimé à juste titre que les sociétés requérantes ne pouvaient bénéficier d'un droit acquis au renouvellement des autorisations d'occupation du domaine public. Faut-il rappeler que toute occupation du domaine public est temporaire, précaire, révocable (14) et ne donne lieu à aucune indemnité en cas d'éviction (15) ?
À la suite du rejet de cette demande par la cour administrative d'appel, le liquidateur des deux sociétés se pourvoit en cassation devant le Conseil d'État. Par arrêt du 9 octobre 2013, la Haute Juridiction (16) donne raison à la cour administrative d'appel de Paris notamment en ce qui concerne les clauses de tacite reconduction : « qu'en estimant que les deux contrats de sous-concession avaient, eu égard aux conditions dans lesquelles leur équilibre financier était défini, été conclus pour une période s'achevant le 3 août 2003 et que les stipulations des articles 2 de ces contrats, qui avaient pour objet de prolonger leur durée au-delà de la durée initiale sous la seule condition que la durée de la concession de l'autoroute soit prorogée par l'État, devaient être regardées comme des clauses de tacite reconduction, susceptibles de faire naître de nouveaux contrats, la cour administrative d'appel de Paris a porté sur les contrats qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit » (17). En outre, le Conseil d'État approuve la position de la cour qui estime que les clauses de ces mêmes articles 2 « entachées de nullité ab initio », n'ont pu cependant avoir « pour effet de faire naître, à l'occasion des prolongations de la concession de l'autoroute par l'État intervenues en 1991, 1995 et 2001, de nouveaux contrats de sous-concession dont l'irrégularité aurait ouvert la possibilité, pour les sociétés sous-concessionnaires, de poursuivre la responsabilité quasi-contractuelle et la responsabilité quasi délictuelle de la Sapn ».
Tribunal administratif, cour administrative d'appel, Conseil d'État : un triple rejet clair et net qui n'équivaut pas… à une réponse de Normand !