Ce n'est plus une lubie de pionniers. Désormais, entreprises et collectivités publiques vont devoir évaluer avec précision leur politique de développement durable. Plus question de se contenter de déclarations de principes, les dirigeants ont l'obligation de mesurer et certifier l'impact de leur activité sur l'environnement à travers leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), leurs consommations d'énergie et d'eau... voire la qualité de vie de leurs salariés et des riverains.
Pas question de bricoler ! Ces données extra-financières doivent pouvoir être utilisées lorsqu'il s'agira de rendre des comptes aux pouvoirs publics, aux représentants du personnel ou à d'autres parties prenantes. « Le défi est redoutable », prévient Jacques de Saint Front, dirigeant du cabinet d'expertise comptable éponyme et principal coanimateur, avec Michel Veillard, du club développement durable du Conseil de l'ordre des experts-comptables. « Il s'agit tout bonnement de se doter d'outils et de référentiels comptables susceptibles de valoriser et d'internaliser les externalités. » Un véritable casse-tête dont ne peuvent plus s'affranchir les directeurs du développement durable. « Tout simplement parce que la loi l'exige », indique Michel Vital-Aet, directeur des missions d'Arcet Cotation, une entreprise du groupe Ginger spécialisée dans la notation extra-financière. Ainsi, l'article 255 de la loi Grenelle 2 contraint les collectivités publiques de plus de 50 000 habitants de produire un rapport annuel permettant d'évaluer et de certifier leur politique de développement durable. « Cette disposition est en vigueur depuis cette année », stipule Michel Vital-Aet. De même, l'article 225 qui prévoit que les entreprises privées de plus de 5 000 salariés, puis en 2015, de plus de 500, produisent annuellement un document du même type. Confronté à un véritable tir de barrage des représentants patronaux, ce fameux article 225 n'avait toujours pas, fin 2011, de décret d'application.
Certains se frottent déjà aux arcanes de la comptabilité « verte » et de la notation extra-financière. « Nous avons engagé cette démarche en 2009, avant qu'elle ne devienne une obligation légale », affirme Delphine Smagghe, vice-présidente des relations extérieures et du développement durable de McDonald's France. L'objectif du chef de file de la restauration rapide était « de construire un dispositif global et simple fondé sur la constitution de quatre comptes de résultats environnementaux, sociétaux, sociaux et de gouvernance », poursuit-elle. Afin de valoriser l'activité de McDonald's dans des domaines non monétaires, le parti pris « a été d'identifier et de valoriser des indicateurs négociés avec les parties prenantes de l'entreprise ». Les référentiels classiques de la gouvernance mondiale en matière de développement durable ont été mis à contribution. Mais le chantier le plus innovant a bien été la constitution d'une véritable comptabilité universelle fondée sur la création d'une trentaine d'indicateurs présentés sous la forme d'une balance actif-passif. « Nous sommes maintenant en mesure de présenter un vrai compte de résultat au sens comptable du terme de nos politiques de réduction de GES, comme de celle de la consommation d'eau dans nos restaurants », se félicite Delphine Smagghe, qui juge que la démarche « permet avant tout de se doter d'outils de pilotage ».
Et tant pis si la comptabilité universelle n'apparaît pas aussi « scientifique » ou exhaustive que d'aucuns le souhaiteraient. Les estimations financières du coût de la tonne carbone ou des « dettes en destruction de la biodiversité transmises aux générations futures », chères à Jacques de Saint Front, peuvent certes paraître avoir été composées « au doigt mouillé ». Qu'importe ! La mesure extra-financière, parfois rudimentaire, de ces données frappe les esprits et constitue, pour Delphine Smagghe, « un formidable levier pour l'action et la réalisation de nos objectifs comme celui de la réduction de 20 % de nos émissions de GES d'ici à 2020 ». Elle reconnaît toutefois « qu'il n'est pas envisageable, ni souhaitable, d'agréger ces comptes environnementaux dans une balance unique. Et encore moins de prétendre pouvoir les intégrer dans le compte de résultat classique ».
Le même pragmatisme prévaut chez les responsables des collectivités locales qui font appel aux spécialistes de la notation extra-financière. Les actions publiques engagées par la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur ont ainsi été examinées tout récemment à travers le prisme du développement durable (environnement, cohésion sociale, développement économique et territorial et gouvernance) par l'agence BMJ Ratings, qui lui a accordé un A + (72/100). « Cette évaluation, qui a duré six mois pour une dépense budgétaire de 29 500 euros, a permis de nous situer, de mesurer le chemin à parcourir, notamment dans le domaine de la gouvernance. Elle nous dote également d'une crédibilité forte dans le domaine du développement soutenable qui va nous autoriser à mettre en place des opérations de financement originales », explique Jean-Louis Joseph, vice-président de la Région Paca, en charge des finances, de l'agriculture et de la forêt. Forte de ce précieux sésame, elle s'apprête en effet à solliciter l'épargne populaire dans le cadre d'une émission obligataire « socialement responsable » d'environ 50 millions d'euros.
« La notation extra-financière intégrant toute la palette des critères du développement durable correspond à une demande des donneurs d'ordres publics, notamment lorsqu'il s'agit d'attribuer des délégations de service public dans le domaine de l'énergie, de l'eau, de l'assainissement ou de la gestion du stationnement », affirme Michel Vital-Aet, qui souhaite au passage clarifier certains malentendus... et défendre sa chapelle. « La notation extra-financière s'appuie sur une batterie d'indicateurs extrêmement pointus et variés (203 pour le référentiel Civitrans utilisé par Arcet Cotation) qui doivent être compatibles avec les grands standards internationaux définis, par exemple, par le référentiel Global Report Impact (GRI) de l'OCDE. » Les commissaires aux comptes qui souhaiteraient certifier des comptes « verts » - et piétiner au passage le pré carré des agences de notation - sont donc conviés « à respecter leurs prérogatives... et celles des autres ! ». Les directeurs du développement durable - et peut-être les pouvoirs publics - devront arbitrer cette passe d'armes qui semble déjà se profiler entre professionnels de l'évaluation extra-financière...