Pour transformer un citoyen en écocitoyen, on a souvent tendance à lui rappeler les chiffres de sa consommation d'eau journalière (137 litres/jour en France), concernant l'eau qu'il boit et qu'il utilise pour se laver ou arroser son jardin. Mais ces chiffres sont trompeurs, car un individu consomme également des produits alimentaires ou manufacturiers dont la fabrication a nécessité une quantité d'eau souvent très importante. Anthony John Allan, professeur au King's College de Londres, a été l'un des premiers à évoquer cet aspect - dès 1993 - à travers le concept d'eau virtuelle. Pour un café, il faut par exemple 140 litres d'eau virtuelle pour cultiver, emballer et acheminer les grains nécessaires. Suivant les produits, ce volume peut exploser : 1 300 litres pour un kilo de blé, plus de 15 000 litres pour un kilo de boeuf. Ainsi, la consommation d'eau virtuelle d'un habitant atteint 4 000 litres/jour en Europe.
L'intérêt de ce concept vient d'être souligné par l'attribution du prestigieux Stockholm Water Prize au professeur Allan. Les connaissances qui en découlent ont « un impact majeur sur la politique commerciale mondiale ainsi que sur la recherche sur l'eau, et elles ont redéfini le discours sur la politique et la gestion de l'eau », selon la Stockholm Water Foundation. Des flux d'importation et d'exportation d'eau virtuelle ont ainsi été mis en évidence à travers le monde, créant des relations de dépendance entre les pays. Espérons que cette interdépendance soit plutôt un facteur d'apaisement et de neutralisation que de tension.
L'influence réelle du concept d'eau virtuelle reste néanmoins limitée aux pays situés dans des zones arides, comme ceux du Maghreb et du Moyen-Orient, où a principalement travaillé Anthony John Allan. Certains de ces pays reprochent à l'expert anglais et à son concept d'être trop liés au dogme du libre-échange de marchandises, et lui préfèrent celui d'empreinte sur l'eau*. C'est aussi sous cet angle et celui de la responsabilisation du citoyen que l'influence de cette idée peut se faire dans les pays développés.
Une idée à méditer par le Meeddat** qui multiplie les messages à destination du grand public pour réduire la consommation d'eau du robinet, plongeant les services d'eau dans une double difficulté de bouclage de budget et d'exploitation. Ne devrait-il pas aussi inciter les citoyens à prendre en compte l'empreinte sur l'eau des produits qu'ils consomment ?