L'évolution des milieux aquatiques va dépendre de quatre enjeux principaux : le changement global - qui est à la fois climatique et anthropique -,
les tensions entre les usages de l'eau, la qualité de la ressource et des milieux, et enfin les enjeux économiques. Pour chacun d'eux, quatre types d'actions sont à mener : comprendre, connaître, surveiller et agir. Quatre enjeux et quatre actions, telle est la matrice de travail de l'Onema.
Le changement climatique affecte directement les ressources en eau. Il se manifeste par un manque ou une surabondance d'eau, avec une variabilité grandissante dans le temps, l'espace et l'intensité, ainsi que par des modifications de la température de l'eau. Ce dernier point est encore peu étudié par rapport à
la température de l'air. Les quelque 1 500 sites de mesures en continu de la température que nous sommes en train d'installer permettront de mieux comprendre ce phénomène, et surtout ses effets à l'aide de modèles alimentés par les données recueillies. L'enjeu sera d'arriver à développer des modèles simplifiés et pertinents. En intégrant ces mécanismes à ceux liés aux changements des régimes hydrologiques et physico-chimiques, nous adapterons les programmes de restauration d'espèces qui sont très sensibles à ces évolutions climatiques. En parallèle, il est également nécessaire de travailler sur les indicateurs biologiques qui servent à évaluer le bon état car la directive-cadre sur l'eau (DCE) n'a pas été conçue en tenant compte du facteur changement climatique. Il sera aussi primordial d'arriver à faire la part du changement climatique et du changement anthropique.
À l'échelle mondiale, les tensions entre les usages vont être exacerbées par les effets du changement global. En France, l'abondance relative des ressources rend cette question moins
cruciale et ces conflits se limitent à des contextes locaux ou à des périodes limitées dans le temps. Si la gestion de l'eau a longtemps été pilotée par l'offre, le débat actuel sur les agrocarburants montre que la situation est en train de changer et que l'on cherche à mieux maîtriser la demande (irrigation, centrales énergétiques
et utilisation domestique).
L'usage hydroélectrique se trouve quant à lui dans un contexte très particulier. L'Europe demande d'atteindre en 2020 une part de 20 % d'énergies renouvelables dans la production énergétique. Or l'hydroélectricité, la principale énergie renouvelable, dispose d'une marge de progression très limitée avec la DCE, qui demande un bon état hydromorphologique des cours d'eau. Pour permettre la libre circulation des espèces et des sédiments, il faudra améliorer la connaissance des 40 000 ouvrages présents sur les cours d'eau français, déterminer les plus perturbateurs et réduire les effets en utilisant des modèles écohydrauliques. Les exigences du règlement européen sur la protection et la restauration des populations d'anguilles renforcent la nécessité de rétablir la continuité écologique, pour que cette espèce présente dans les rivières puisse aller se reproduire dans la mer des Sargasses et que les jeunes anguilles remontent ensuite dans les cours d'eau.
La gestion de l'eau s'inscrit aussi dans une logique de négociation pour une meilleure utilisation de l'eau au sein des territoires à l'échelle du bassin versant. Il s'agit de repenser la logique ville-campagne au regard de l'eau, sur les plans qualitatif et quantitatif. Par exemple, en privilégiant un stockage de l'eau en amont pour éviter des inondations dans les villes à l'aval.
En ce qui concerne la qualité de la ressource et des milieux, il faut distinguer les pollutions concentrées et diffuses. Pour les pollutions concentrées (industrielles et domestiques), c'est avant tout une question de coûts et de volonté. Pour les pollutions diffuses, qui sont notamment d'origine agricole (nitrates, pesticides), la multitude d'acteurs concernés et leur dissémination sur tout le territoire complexifient le problème. Une bonne surveillance est un préalable à toute action. Il faut se focaliser sur les produits à forte toxicité et qui polluent à faible dose, et comprendre leurs effets (par une démarche écotoxicologique in situ). Les enjeux de santé humaine sont réels via la chaîne trophique. C'est le cas des perturbateurs endocriniens, produits concentrés et toxiques, ou de pollutions parfois historiques comme les PCB ou le mercure.
La difficulté est de connaître l'effet sur la santé humaine des cocktails de molécules et de déterminer des seuils de dangerosité. Il faut aussi comprendre les mécanismes de transferts.
Pour améliorer la qualité écologique des milieux aquatiques, il faut d'abord établir une liaison entre la pression et l'impact, notamment en utilisant des bio-indicateurs. L'état écologique se mesure par rapport aux conditions de cours d'eau de référence dans chaque hydroécorégion.
Alors que pour les pays peu peuplés, comme en Scandinavie, l'état de référence est parfois proche de l'état primitif de la nature, dans un pays comme le nôtre, déterminer ce que peut être un cours d'eau en bon état doit prendre en compte l'action humaine, et nous mesurons l'écart à cet état. L'état chimique est jugé bon ou pas, alors que l'état écologique se traduit en cinq classes. Nous concevons actuellement un outil d'évaluation de cet état qui sera disponible en 2009. Enfin, un autre enjeu consiste à remonter la chaîne d'action en établissant des relations entre les différentes pressions et leur impact, ce qui permet de choisir les actions à inscrire dans le cadre des programmes de mesures, en s'appuyant sur des évaluations coût-efficacité et coût-bénéfice. Dans ce raisonnement, il ne faut pas se limiter aux effets directs. Il faut aussi prendre en compte les externalités.
Les outils de modélisation doivent évoluer pour pouvoir intégrer progressivement les diverses externalités (le tourisme, la biodiversité, etc.). L'économie de l'environnement est en effet en grande partie une économie des externalités qui s'inscrit dans le long terme. Mais cela reste encore difficile à faire partager par les acteurs économiques qui souhaiteraient percevoir l'effet rapide d'une mesure.