La mise en place des profils de baignade est l'un des apports de la directive de 2006. Ces profils se veulent un outil au service des gestionnaires des plages : l'objectif est de poser un diagnostic de la vulnérabilité du site et des sources de pollution qui pourraient en dégrader la qualité, afin de renforcer les outils de prévention. Ces profils doivent être établis d'ici à décembre, et être rendus aux préfets en février 2011. Ils devront être mis à jour tous les trois ou quatre ans en fonction de la classe de qualité de l'eau. Dans le cas d'une eau de qualité excellente, la mise à jour ne sera nécessaire qu'en cas de dégradation constatée ou de forte modification de l'environnement du site.
MISE AU POINT
Compte tenu des délais serrés et de la durée des études (3 à 12 mois), il est fort probable que l'objectif ne sera pas entièrement tenu. Une poignée de collectivités seulement sont déjà prêtes. « La démarche mise en oeuvre l'année dernière pour les premiers profils, sur les plages de quelques collectivités engagées dans le processus de la certification eaux de baignade, correspond à posteriori assez bien à la méthodologie nationale, actée entre-temps. On a simplement repris les profils existants en s'assurant de leur parfaite cohérence avec les exigences définies par les nouveaux textes, et en ajoutant des argumentations plus complètes sur certains aspects. Nous avons ainsi été les premiers, sur les Pyrénées-Atlantiques, à transmettre, dès février, des profils à l'ARS [ agence régionale de santé, regroupement administratif intégrant notamment les ex-Ddass, NDLR]», souligne Séverine Jacquet, ingénieur à Rivages Protech ( Lyonnaise des eaux).
La méthodologie nationale a été progressivement mise au point : les premiers cahiers des charges types (CCTP) pour les appels d'offres ont été sortis il y a quelques années par les agences de l'eau (par exemple en 2004 pour Seine-Normandie), tandis que le ministère de la Santé a publié en décembre 2009 une circulaire et un guide national d'élaboration des profils. Les premiers appels d'offres des collectivités ont commencé à apparaître il y a deux ou trois ans ; ils seraient plus nombreux depuis le printemps dernier.
La collectivité peut choisir de faire elle-même son profil, mais du fait de la complexité et de la spécificité de ce travail, il est recommandé de faire appel à un prestataire spécialisé. Le choix se fait alors par appel d'offres entre un bureau d'études indépendant ( Sogreah, Safege, IRH, Ginger Environnement, Egis...) ou une des entreprises de l'eau ( Veolia Eau, Lyonnaise des eaux, Saur), ces dernières s'adossant parfois à des bureaux d'études spécialisés lorsque la réalisation des profils demande une expertise pointue sur l'influence de cours d'eau, la courantologie, etc.
Il est même possible de demander à son délégataire en assainissement de réaliser le profil dans le cadre d'un avenant au contrat, mais, dans ce cas, la collectivité se prive d'avoir un regard extérieur et indépendant.
Le risque, en cas de profils mal faits ou bâclés, est que les ARS exigent qu'ils soient refaits, et que les agences de l'eau qui les subventionnent coupent les cordons de la bourse. « Si l'on juge que la qualité de l'étude n'est pas au rendez-vous, il est clair que l'agence ne paiera pas », prévient Jean-Louis Rivoal, directeur Ouest-Atlantique de l'agence de l'eau Loire-Bretagne.
« Notre préoccupation principale est de faire en sorte que les collectivités saisissent cette opportunité de faire le point sur les pollutions pouvant être amenées sur les plages. Pour cela, il faut qu'elles réalisent de vrais profils, avec un travail conséquent sur l'historique des pollutions, surtout par temps de pluie, sur la quantification des sources de pollution et sur l'évaluation des transferts. La qualité d'une étude de profil peut conduire à une économie substantielle de travaux préventifs, de dix à cent fois plus coûteux que les études. Alors il ne faut pas passer à côté des problèmes », estime Jean Duchemin, chargé de mission eau et santé à la direction du développement durable de l'agence de l'eau Seine-Normandie.
RÔLE INCITATIF DES AGENCES
Pour faire pencher la balance du côté de la qualité, les agences de l'eau ont fait des efforts pour sensibiliser les élus. Elles ont aussi plaidé pour que les études soient menées dans le cadre de regroupements de collectivités : cela mutualise les moyens (plus les phénomènes sont étudiés à l'échelle de zones littorales cohérentes, moins le coût unitaire par plage est élevé) et permet d'espérer que les études seront menées de manière professionnelle. Cela a surtout fonctionné sur le bassin Artois-Picardie, où seulement deux maîtres d'ouvrage se chargent de porter l'ensemble des profils : le conseil général de la Somme pour le littoral picard (8 sites) et le Syndicat mixte de la Côte d'Opale (SMCO) pour les baignades du Nord (9 sites) et du Pas-de-Calais (25 sites). « La qualité des eaux de baignade est globalement plutôt bonne sur nos trente-quatre sites, mais il y a quelques risques de déclassement en qualité "suffisante" sur des plages emblématiques, sur lesquelles il est important de ne pas reculer, ainsi que deux plages qui pourraient passer en qualité "insuffisante" », détaille Anne Lecoeuche, chargée de coordonner l'étude des profils au SMCO. Avantage de cette maîtrise d'ouvrage unique : une ambition forte, en termes de qualité de la réalisation. L'inconvénient, sans doute, sera qu'il faudra faire un effort d'appropriation des enjeux par les communes, car il leur reviendra naturellement de mettre en oeuvre les plans d'action et, par la suite, elles auront aussi probablement à s'occuper elles-mêmes de la réactualisation. L'encouragement au regroupement a nettement moins bien fonctionné sur le bassin Rhône-Méditerranée, où, à l'exception notable de quelques grandes agglomérations comme Toulon ou Marseille, les communes engagent généralement seules cette démarche.
DÉBATS MÉTHODOLOGIQUES
La méthodologie nationale, inspirée de celle prônée par l'agence de l'eau Loire-Bretagne, se décline en fonction de la vulnérabilité de la plage (lire encadré p. 25). « On a voulu adopter une position pragmatique et fournir des outils facilement utilisables, avec ce classement en P1, P2, P3 et les cahiers des charges types qui l'accompagnent », indique Jean-Louis Rivoal. Mais un certain nombre de sujets continuent à faire débat au plan méthodologique. Ils sont notamment liés à la difficulté de trouver un équilibre entre volonté de ne pas trop en faire, si cela n'est pas nécessaire, et la crainte de passer à côté des problèmes à cause d'une approche trop simpliste.
Le premier de ces sujets concerne la délimitation de la zone d'étude. Le guide national de réalisation des profils préconise d'établir le périmètre d'étude en prenant en compte tous les rejets dont le temps de transfert jusqu'à la zone de baignade est inférieur à dix heures. Cette valeur peut être modulée en fonction des conditions météorologiques (effet germicide des UV solaires), de la salinité et des caractéristiques de l'eau. Ainsi, en Méditerranée, du fait de la clarté de l'eau et de l'ensoleillement, les bactéries survivent, selon la bibliographie, environ cinq heures. Inversement, en eaux douces, particulièrement en lac et lorsqu'il y a de la turbidité, le temps de survie des bactéries peut être considérablement plus long. En fonction des valeurs retenues, et de la configuration territoriale de la zone (petites communes collées les unes aux autres sur le littoral par exemple), la zone d'étude peut rapidement s'étendre au-delà des limites du territoire du maître d'ouvrage. La directive européenne demande (dans son annexe III) que le profil évalue toutes les sources de pollution qui pourraient affecter les eaux de baignade : identification, quantification, évaluation de l'effet du transfert de la source au point d'usage... « Au moins, cela donne à la collectivité des arguments de poids pour discuter avec ses voisines, lorsque leurs rejets la touchent, et des priorités d'action aux services chargés de la police des eaux ou de la gestion des milieux aquatiques », estime Jean Duchemin.
DIMENSION RÉDUCTRICE
Un autre sujet de débat est la dimension réductrice de la typologie de profil P1, dès lors que l'eau est classée en qualité « suffisante » : un simple état des lieux, sur la base de données existantes, avec quelques points d'alerte à surveiller pour éviter des dégradations. Le problème est que souvent, surtout dans le sud de la France, ces plages bien classées n'ont aucun historique d'analyses par temps de pluie. Des épisodes de pollution passent alors complètement inaperçus, sauf si la Ddass, par hasard, fait un prélèvement à ce moment-là ou si la collectivité a mis en place un programme d'autosurveillance. C'est le cas à Biarritz où le système de gestion active, en place depuis quelques années (dès qu'il y a un risque, le maire ferme préventivement les plages), a conduit la Ddass a ne prélever que lorsque les plages sont ouvertes : la plupart des plages sont donc classées en excellente qualité, même si elles subissent des phénomènes entraînant plusieurs jours de fermeture les étés pluvieux. « Une campagne de mesures de terrain par temps de pluie est indispensable à une bonne identification et quantification des problèmes, estime Jean Duchemin. S'il ne pleut pas l'été, il convient d'effectuer ces mesures hors saison : la mesure ne sera alors pas parfaitement représentative, car il n'y aura pas, en même temps, tous les autres rejets caractéristiques de la période estivale (mouillage de bateaux, rejets des ANC des maisons secondaires...). Mais cela donnera une idée de la situation. »
De telles mesures sont d'autant plus importantes que, sur une zone donnée, toutes les pluies n'altèrent pas la qualité des eaux de baignade de la même manière : il faut un certain seuil d'intensité pluviométrique pour faire déborder un réseau, tout dépend aussi du moment où il pleut (la nuit, les réseaux sont vides, la sensibilité est moindre) et de l'historique des pluies (la première pluie joue le plus grand rôle, elle lessive notamment la pollution accumulée dans les réseaux pluviaux). Tous ces éléments méritent d'être examinés. « Le classement P1, P2, P3 ne doit pas être appliqué bêtement : il faut réfléchir en fonction du contexte, reconnaît Jean-Louis Rivoal. L'agence a ainsi étudié au cas par cas chaque plage de son littoral pour préconiser le type de profil à réaliser : certaines plages, classées en qualité "suffisante" mais connaissant de temps en temps des "bouffées bactériologiques" par temps de pluie, ont par exemple été désignées en P2 voire P3. »
Toutes les agences n'ont pas ainsi désigné le type de profil approprié pour chaque plage, mais certaines collectivités ont choisi d'elles-mêmes de s'orienter sur des profils plus ambitieux que ce que leur demandaient les textes. C'est le cas à Biarritz, où des investissements conséquents ont déjà été faits pour maîtriser ces phénomènes de temps de pluie et qui a jugé nécessaire d'évaluer les risques de pollution résiduels pour bien orienter les prochains travaux. On peut aussi citer le cas de Sainte-Maxime, dont les plages, comme celles de la grande majorité de la Côte d'Azur, relèvent du P1 : aucun mauvais résultat d'analyses sanitaires sur les cinq dernières saisons. En même temps, il n'a que rarement plu pendant ces périodes, et la Ddass n'a jamais fait de prélèvements pendant ou juste après des pluies. « Dans le cadre des profils, des campagnes de mesure étaient prévues par temps de pluie, y compris des prélèvements sur le Préconil, petit fleuve côtier qui traverse la commune et se jette sur une plage, détaille Nassif Jahjah, ingénieur à la direction technique de Veolia Eau Sud-Est. Elles ont été réalisées lors des fortes pluies de juin : on a constaté une concentration importante en E. Coli dans le Préconil après trois ou quatre heures de précipitations et, le lendemain, il y avait plusieurs milliers d' E. Coli sur la plage. Cela montre bien que même des plages bien classées peuvent connaître des épisodes insoupçonnés de pollution. » On notera que, dans ces régions, si les pluies sont rares en été, elles sont en revanche fréquentes en juin et en septembre, alors même que les plages sont encore largement fréquentées, surtout par des locaux. Il est donc important de ne pas négliger ces épisodes de précipitations, qui sont généralement sans incidence pour le classement, mais qui sont susceptibles d'exposer les baigneurs, surtout en début et fin de saison, à des risques sanitaires.
On s'aperçoit aussi que, faute de résultats d'analyses par temps de pluie, l'influence de certains cours d'eau est parfois très largement sous-estimée. Veolia Eau a ainsi mis en évidence, dans le cadre du travail mené sur la modélisation à Antibes, que le Var peut être une source de pollution importante, selon les conditions courantologiques. « Cette constatation a des implications fortes pour toutes les autres plages bien classées de la zone, comme celles de Cagnes-sur-Mer ou Villeneuve-Loubet, encore plus exposées à l'influence du Var : un profil P1 qui ne chercherait pas à évaluer les impacts du fleuve conduirait à passer à côté d'un risque important de pollution par temps de pluie », décrypte Nassif Jahjah.
LA MODÉLISATION EN QUESTION
Dans la méthodologie nationale, le choix a été fait de ne réserver la modélisation qu'aux cas les plus complexes. Le but était d'éviter que des collectivités ayant peu de problèmes se lancent dans des profils complexes, considérés comme trop coûteux par rapport aux enjeux. Sur ce point, la position de l'agence Seine-Normandie diffère. « La configuration très linéaire des plages du bassin, le fait qu'elles soient sous l'influence de rejets multiples, et qu'il existe déjà des modèles à disposition, nous ont conduits à recommander la modélisation. L'outil donne de bonnes idées sur la responsabilité de chaque rejet dans les pollutions constatées, sur les situations à risque et sur la durée probable des alertes. Lorsque l'on sait qu'en fonction de telle ou telle condition, un panache de pollution va être déporté en mer et que la plage sera à l'abri, ou à l'inverse, qu'elle sera exposée, cela donne aux élus des indications pour prendre les bonnes décisions en matière de gestion active des plages », plaide Jean Duchemin. « À contexte différent, outils différents : sur une bonne partie du littoral breton, la configuration des plages est telle que la modélisation n'apporterait pas grand-chose », estime de son côté Jean-Louis Rivoal. L'agence Loire Bretagne a ainsi estimé qu'une modélisation courantologique et/ou hydrologique n'était nécessaire que pour 4 % des plages de son littoral.
ANALYSE DES ENJEUX
La question se pose donc, au cas par cas, en fonction d'une analyse précise des enjeux locaux, au plan technique, mais aussi au plan financier. Sur la côte méditerranéenne, plusieurs communes qui s'étaient inspirées du cahier des charges de Seine-Normandie et avaient inscrit une exigence de modèle courantologique dans le cahier des charges de leur appel d'offres pour les profils ont fait machine arrière quand elles ont mesuré les enjeux financiers (un profil P1 coûte autour de 3 000 à 5 000 euros par plage, un P2 de 6 000 à 10 000 euros, un P3 dans les 15 000 euros et au-delà). « Sur les façades Manche et Atlantique, on peut faire facilement de la modélisation car il y a une base existante de modèles, développés notamment par l'Ifremer. Sur la façade méditerranéenne, le modèle Paca Ifremer a une maille de 400 mètres, beaucoup trop large pour évaluer l'impact de la courantologie sur de petites plages, explique Nassif Jahjah. Dans les cas où la modélisation est nécessaire sur la côte méditerranéenne, il faut décliner le modèle à une échelle beaucoup plus fine. C'est un travail long et coûteux, qui ne peut pas être effectué pour toutes les plages. Veolia Eau, dans le Sud-Est, travaille sur deux zones de modélisation : la petite rade de Toulon, et Antibes dans le cadre du projet Girac (presque achevé après quatre ans de travail, il ne reste plus qu'à caler le modèle maritime). » De son côté, Lyonnaise des eaux travaille sur celle de la rade de Marseille et, côté Atlantique, sur Saint-Jean-de-Luz.