Chaque année, aux premières neiges, les déneigeuses et les saleuses reprennent du service. Leur mission : rendre la chaussée « au noir », c'est-à-dire vierge de toute neige ou verglas. Souvent à n'importe quel prix, financier et écologique. Car le sel déposé sur les routes a un impact environnemental non négligeable (voir encadré). Pour inverser cette tendance, le premier colloque sur la réduction du salage des routes a eu lieu à Annemasse, début octobre, et a réuni les représentants de plus de 60 collectivités. À son issue, plusieurs d'entre elles ont signé une déclaration d'engagement « pour une viabilité hivernale durable et une réduction des épandages de sel ».
« Il y a deux ans, nous avions décidé de ne saler que les rues en pente, ainsi que les espaces pour piétons, témoigne Yann Oremus, chargé de l'Agenda 21 à Annemasse. Après une année presque sans neige, nous avons connu l'an dernier beaucoup d'épisodes neigeux compliqués. De nombreux habitants ont protesté contre la réduction du salage. Finalement, le maire a demandé aux services techniques de reprendre le salage intégral. En voyant que d'autres collectivités avaient les mêmes difficultés et manquaient, comme nous, d'informations sur ce sujet, nous avons eu l'idée du colloque. » La première mesure à prendre concerne le stockage du sel. Une étude menée en 2006 avait montré que le quart des stocks français n'était pas abrité. La pluie, l'humidité emportent une partie du sel, avec un fort impact local... et une perte financière, puisque 5 à 8 % du stock seraient ainsi bêtement perdus chaque année. Deuxième règle d'or : ne pas saler une chaussée enneigée. « Il faut d'abord racler la neige au plus près de la chaussée », souligne Stéphanie Poissonnier. Pour faire fondre un centimètre d'épaisseur de neige, il faut 150 grammes de sel par mètre carré, contre seulement 5 à 45 g/m2 si la chaussée a été préalablement raclée. En revanche, on peut saler préventivement, pour que la neige ou le verglas n'adhèrent pas à la chaussée et soient enlevés plus facilement par raclage.
Le salage est bien sûr plus efficace avec du matériel performant. Il faut surtout pouvoir mesurer et contrôler la quantité de sel déposé sur la chaussée. Cela passe notamment par l'asservissement du salage à la vitesse du véhicule. Autrement, on se retrouve avec de petits tas de sel à chaque endroit où la saleuse s'est arrêtée. Mais la technique n'est pas tout. Il est au moins aussi important de revoir l'organisation des services de viabilité hivernale et les « niveaux de service ». Autrement dit, décider que telle route sera déneigée en priorité, mais que telle autre sera seulement raclée.
L'enjeu est écologique plus qu'économique. « Le sel coûte cher, mais le matériel performant aussi, rappelle Yann Oremus. Et ne pas saler oblige parfois à refaire une tournée de raclage, donc sollicite davantage le personnel de déneigement. » Les économies de sel se chiffrent à quelques milliers d'euros pour une commune de taille moyenne. Pour un département comme la Haute-Savoie en revanche, qui épand en moyenne 24 000 tonnes de sel chaque hiver, les sommes en jeu sont plus conséquentes. « Notre objectif est de réduire de 25 % les consommations de sel, soit 8 000 tonnes de moins, une économie de 800 000 euros », indique le conseil général de Haute-Savoie.
La ville de Megève est, elle, passée du sel à la bouillie de sel. « En dessous de -7 °C, le sel n'est plus efficace : il reste en grains et il est chassé sur le bas-côté par la première voiture qui passe, explique Jean-Pierre Cahagne, directeur général des services techniques de Megève. La bouillie de sel, qu'on forme en mélangeant sel et eau salée, est tout de suite active dans la glace. » Attention, en revanche, aux fondants « miracles ». « Il existe des fondants avec moins d'impact local que le sel, mais il faut prendre en compte l'impact environnemental global, rappelle Stéphanie Poissonnier. Quelle est la quantité d'énergie nécessaire pour fabriquer et transporter ces fondants ? D'autre part, ils nécessitent souvent de changer le matériel d'épandage. Finalement, le sel reste le meilleur compromis entre écologie et économie. » Les conducteurs, habitués aux chaussées totalement déneigées, protestent. Ils seraient peut-être plus ouverts s'ils étaient mieux informés. La communication se limite souvent à un entrefilet dans le bulletin municipal et, parfois, sur le site Internet de la mairie. Rares sont ceux qui organisent de vraies concertations. « Quand nous avons abordé ce thème en conseils de quartiers, certains habitants nous encourageaient à diminuer la quantité de sel », témoigne Yann Oremus. Le conseil général de Haute-Savoie vient de lancer une campagne d'information d'un montant de 50 000 euros. De son côté, la ville de Sceaux (92) a publié un « Guide de l'hiver » expliquant la politique municipale en matière de salage et donnant des recommandations. « Pour accepter une diminution du service, les gens doivent en comprendre la raison », rappelle Stéphanie Poissonnier.