Depuis cinquante ans, l'urbanisation connaît une expansion sans précédent, accompagnée d'un drainage massif des zones humides et d'une imperméabilisation croissante des sols, qui accélère le ruissellement des eaux de pluie en surface. Les rejets urbains par temps de pluie, notamment après un orage, sont souvent responsables du déclassement des cours d'eau et des plages. Sans compter les inondations par débordement des réseaux et des exutoires naturels, de plus en plus fréquentes en zone urbaine.
Pour les gestionnaires des services en charge des eaux pluviales, des outils existent. Certains ne sont pas réglementaires, mais se révèlent cependant précieux pour orchestrer la prise de décision. C'est le cas notamment des schémas directeurs de gestion des eaux pluviales qui poussent les collectivités à mener une réflexion approfondie à l'échelle du bassin versant en planifiant des actions sur leur réseau et sur le milieu naturel. Cette démarche opérationnelle est un préalable à la mise en place de nouveaux outils, comme la taxe sur les eaux pluviales.
Car le traitement des eaux pluviales coûte cher : près de 30 % du coût de l'assainissement, qui lui-même représente 55 % de la facture d'eau. Le service des eaux pluviales est actuellement financé par le budget général, c'est-à-dire la fiscalité locale. Pour assurer son financement spécifique, il est possible depuis cet été de mettre en oeuvre la taxe eaux pluviales. Une opportunité à saisir pour repenser l'ensemble du système de gestion.
Les techniques alternatives, qui ont fait leur apparition depuis une dizaine d'années pour promouvoir l'infiltration à la parcelle des eaux pluviales, peuvent limiter la taxe des propriétaires visés. Elles devraient en sortir gagnantes dans l'avenir et favoriser une gestion plus durable des eaux pluviales.
1. PROGRAMMER À L'ÉCHELLE DU BASSIN VERSANT
Zonage pluvial, schéma de gestion des eaux pluviales, étude d'opportunité, plusieurs documents existent pour cerner la gestion des eaux pluviales. Mais il est encore difficile aujourd'hui d'y voir clair réglementairement tant ceux-ci sont intégrés à l'assainissement.
Depuis la loi sur l'eau de 1992, les communes ou leurs établissements publics doivent normalement délimiter après enquête publique un zonage pluvial. Mais si celui-ci est obligatoire, aucun délai n'est précisé. Hormis pour les communautés d'agglomération pour lesquelles l'échéance a été fixée au 1er janvier 2015 par la loi Grenelle 2. Et aucun chiffre n'existe sur le pourcentage de zonage établi à ce jour.
Traité seul, le document de zonage n'a aucune valeur réglementaire. Il doit être intégré au plan local d'urbanisme (PLU) et passer par les étapes de l'enquête publique et de l'approbation pour être opposable lors de l'instruction des permis de construire.
Souvent citée en exemple, la ville de Rennes a ainsi inscrit son zonage pluvial dans son PLU depuis 1998. De même, le zonage ruissellement pluvial du Grand Lyon réalisé en 1998 est intégré au PLU depuis 2005, donc opposable au tiers.
UNE AIDE À LA DÉCISION
Le zonage pluvial peut être réalisé dans le cadre d'une démarche plus opérationnelle, visant à élaborer un outil d'aide à la décision généralement appelé schéma directeur de gestion des eaux pluviales (SGEP ou SDGEP). « Cet outil méthodologique n'a pas d'existence réglementaire. Il n'existe donc pas de terminologie propre, ni d'uniformité. Chaque acteur lui donne le nom qu'il souhaite. Il peut même parfois être juste intégré au schéma d'assainissement ou au PLU sous la forme d'un volet pluvial. Il n'est pas obligatoire et n'a aucune valeur réglementaire », précise Nathalie Le Nouveau, directrice de projet eau au Centre d'études sur les réseaux, les transports, l'urbanisme et les constructions publiques ( Certu). Pour être opposable, comme le zonage pluvial, le SGEP doit être intégré dans le règlement d'assainissement ou dans les documents d'urbanisme.
Le Groupe de recherche Rhône-Alpes sur les infrastructures et l'eau ( Graie) a tenté de clarifier la méthode dans un guide paru en février 2011 sur le sujet. Il divise le schéma en quatre phases : le diagnostic du fonctionnement actuel du système étudié, l'identification des pressions à venir ou envisagées, l'élaboration du zonage et des prescriptions techniques, et le programme d'actions pour remédier aux problèmes actuels ou anticiper un futur proche. Le système étudié inclut le bassin versant, le système d'assainissement (réseau unitaire, pluvial et ouvrages spéciaux) et le milieu récepteur. « Le syndicat de bassin ou l'établissement public de coopération intercommunal va souvent travailler à l'échelle du bassin versant et la commune va affiner le schéma et le zonage sur son territoire », précise Nathalie Le Nouveau.
Le programme d'actions peut comprendre des travaux sur le domaine public (ouvrages existants ou à construire), l'autosurveillance du système de gestion des eaux pluviales, et éventuellement des milieux récepteurs, des études ou de la communication.
DES EXEMPLES À SUIVRE
Les collectivités ont la responsabilité du zonage pluvial et réalisent un schéma, soit lorsque le Sdage les y oblige, soit lorsqu'elles sont confrontées à des problèmes d'inondation ou de pollution. Ainsi, le Sdage Rhône-Méditerranée et Corse prévoit l'élaboration d'un schéma pour les collectivités de plus de 10 000 habitants et celles de plus de 2 000 dont les masses d'eau rencontrent des problèmes de pollution domestique. « Mais à ce jour, nous n'avons aucun retour d'expérience au niveau national sur la mise en place de ces outils », regrette Nathalie Le Nouveau.
Quelques collectivités, en revanche, sont connues pour leurs SGEP : syndicat mixte des affluents du Sud-Ouest lémanique (Haute-Savoie) en milieu rural, Chambéry métropole (Savoie) en péri-urbain et Antibes-Juan-les-Pins (Alpes-Maritimes) en milieu urbain. D'autres travaillent actuellement sur le sujet. C'est le cas, par exemple, du syndicat mixte d'aménagement et de gestion du bassin versant du Garon (SMAGGA) - 27 communes et 64 000 habitants dans le Rhône - qui a lancé un schéma directeur à l'échelle de son bassin versant en avril 2011. La durée totale de l'étude est de deux ans pour un budget d'environ 400 000 euros.
S'ils ne sont pas obligatoires, le schéma et le zonage pluvial sont des éléments essentiels pour rédiger l'étude d'opportunité, document préalable à la mise en place de la taxe eaux pluviales.
2. ADOPTER LA TAXE EAUX PLUVIALES
Pris en application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (Lema) de décembre 2006 et de la loi Grenelle 2 de juillet 2010, le récent décret du 6 juillet 2011 institue une taxe annuelle pour la gestion des eaux pluviales urbaines.
« L'objectif de la taxe est de pouvoir, d'une part collecter un budget spécifique pour traiter les eaux pluviales et éviter les inondations, d'autre part gérer ces eaux à la parcelle pour diminuer le ruissellement et donc les pollutions et les dépenses de traitement qui en découlent », explique Bénédicte Tardivo, chargée de mission eau et assainissement au ministère de l'Écologie. Les redevables sont aussi bien les propriétaires publics que privés, dont les terrains et voiries se situent sur le périmètre urbain (U) ou à urbaniser (AU) des PLU.
Le seuil minimal de recouvrement est fixé par la loi à 600 mètres carrés imperméabilisés. « Cela signifie que tous les propriétaires qui ont des surfaces imperméabilisées supérieures à 600 m² sont redevables de la taxe. Entre 0 et 600 m², c'est au choix de la collectivité. Si elle fixe un seuil à 200 m², seuls les propriétaires ayant une surface imperméable supérieure à 200 m² seront redevables », précise Bénédicte Tardivo.
La taxe ne peut excéder un euro par mètre carré imperméabilisé. De plus, trois taux d'abattement sont définis selon les mesures mises en place par les propriétaires pour limiter leurs rejets : de 90 à 100 % pour un rejet « zéro », de 40 % à 90 % si le débit est inférieur ou égal à la valeur fixée par délibération de la collectivité, de 20 % à 40 % pour les autres dispositifs. Ces taux peuvent être majorés de 10 % lorsque le dispositif influe sur la qualité de l'eau et limite la pollution et donc les besoins de traitement. En ce qui concerne la récupération de l'eau de pluie, « la loi n'est pas faite pour la favoriser, mais elle peut entrer en compte dans les petits abattements », souligne Bénédicte Tardivo.
UNE NOUVELLE COMPÉTENCE
Une commune a compétence pour mettre en place la taxe eaux pluviales, sauf s'il existe un établissement public de coopération intercommunal (EPCI) qui a pris cette compétence. Un EPCI peut également faire évoluer son statut pour prendre cette nouvelle compétence ; c'est le cas par exemple du syndicat mixte pour l'assainissement et la gestion des eaux du bassin versant de l'Yerres (Syage, ex-Siarv) depuis le 1er octobre 2011. « Souvent, l'EPCI a la compétence assainissement, mais pas eaux pluviales. Par ailleurs, si l'EPCI ne souhaite pas mettre la taxe en oeuvre, la commune peut le faire à sa place » précise Bénédicte Tardivo.
Tout d'abord, pour mettre en place la taxe, il est obligatoire d'avoir un plan d'urbanisme et recommandé de réaliser une étude d'opportunité et de faisabilité. Plusieurs collectivités en ont déjà réalisé, comme Lyon, Bordeaux, Colmar, La Rochelle, Lille ou le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne ( Siaap). Situé sur trois départements (Seine-et-Marne, Essonne et Val-de-Marne), le Syage se compose de 67 communes, soit plus de 400 000 habitants. Il a calculé que la gestion des eaux pluviales représente une charge de plus de 5,3 millions d'euros par an, entre l'entretien et les travaux. « Nos élus devront choisir entre l'augmentation de la contribution des communes ou la mise en place de la taxe eaux pluviales », explique Éric Chalaux, directeur général des services du Syage. La délibération est prévue en décembre 2011 lors du débat d'orientation budgétaire ; si elle est votée, la taxe sera instaurée en janvier 2013. « Pour les collectivités qui ont déjà une excellente gestion des eaux pluviales, comme Bordeaux ou Lyon, le service public fonctionne déjà très bien sur le budget global. La taxe eaux pluviales est donc peut-être moins intéressante. Ces deux villes ont réalisé des études d'opportunité, mais pour l'instant ne se sont pas engagées dans la démarche », analyse Bénédicte Tardivo.
PAS DE TAXE SANS SERVICE
Ensuite, avant le 1er octobre de l'année précédant la mise en oeuvre de la taxe, une délibération qui comprend le seuil de recouvrement, le coût au mètre carré et les taux des abattements doit être votée. Cette délibération crée le service de gestion des eaux pluviales. « Un service indépendant est nécessaire pour pouvoir créer la taxe. Pas de taxe sans service. À l'inverse, un service peut très bien exister sans la taxe. Soisy-sur-École (Essonne, 1 300 habitants) a par exemple créé ce service le 15 septembre 2011, mais n'a pas instauré de taxe », note Bénédicte Tardivo. Pour l'instant, ce service est un service public administratif, mais il pourrait évoluer vers un service public industriel et commercial. Son financement provient, à la fois, de la taxe et du budget général. Ses missions sont d'ordre technique, administratif et de contrôle, mais toutes ses compétences ne sont pas encore clairement définies. « Il n'existe pas de lien formel entre le service de gestion des eaux pluviales et l'élaboration du zonage pluvial ou du schéma directeur, par exemple, mais il faut bien sûr rechercher la cohérence », déclare Nathalie Le Nouveau, directrice de projet eau au Certu.
Enfin, la phase de gestion de la taxe comprend, outre l'information des habitants, la création d'un formulaire de déclaration spécifique et d'un fichier de redevables, avant le 31 décembre de l'année précédente. Ce sont en effet les potentiels redevables qui, dans un premier temps, vont remplir des fiches déclaratives concernant les surfaces imperméabilisées et les dispositifs alternatifs. Cette fiche, envoyée avant le 1er mars de l'année de mise en recouvrement, doit être remplie dans les deux mois. Par la suite, le contrôle s'effectue par un agent nommé par la commune ou l'EPCI.
Mais, à ce jour, très peu de collectivités ont décidé de mettre en place ce dispositif. Car l'annonce d'une nouvelle taxe est toujours un choix difficile pour les élus et un risque politique.
3. DÉVELOPPER LES TECHNIQUES ALTERNATIVES
Les techniques alternatives se substituent au concept de tout au réseau avec pour objectif d'infiltrer les eaux pluviales à la parcelle. En prévoyant des abattements selon les rejets au réseau, la taxe eaux pluviales incite à leur développement.
Ces techniques peuvent se classer en deux familles : les ouvrages superficiels et ceux enterrés. La première catégorie inclut les noues (fossés enherbés en pente douce), les espaces verts creux (profonds de moins de 50 cm) et les toitures stockantes (toiture-terrasse ou toiture végétalisée). Dans la seconde, on trouve les tranchées drainantes, intégrées le long des bâtiments, des voiries ou des parkings. Elles se composent de matériaux granulaires (galets, graviers, matériaux alvéolaires). Tout comme pour les fossés, l'eau est amenée par des drains ou par ruissellement direct, puis évacuée par infiltration et/ou de manière régulée vers un exutoire. Dans la même catégorie, la chaussée-réservoir permet le stockage provisoire de l'eau dans le corps même de la chaussée.
EFFICACES ET ADAPTABLES
Pionnier, le Douaisis compte à ce jour 20 % de son territoire géré par des techniques alternatives. « En six ans, nous avons constaté une diminution par trois de l'ensemble des volumes d'eaux pluviales au droit des déversoirs d'orage, souligne Jean-Jacques Hérin, directeur de l'aménagement, des réseaux et des constructions de l'agglomération et président de l'Association douaisienne pour la promotion des techniques alternatives (Adopta). Il note cependant une tendance à la complexification des techniques : « Or, il faut les simplifier au maximum et utiliser le plus possible les surfaces de la ville, comme les espaces verts. D'un point de vue financier, elles sont toujours moins chères en urbanisation nouvelle. »
En cas de contrainte urbaine forte, et lorsque l'infiltration des sols est trop lente, on peut également recourir aux cuves de rétention/infiltration. Graf propose des cuves de rétention (de 2 700 à 13 000 litres) à débit régulé d'évacuation (de 0,05 à 2 litres/seconde) pour la récupération d'eau de pluie des particuliers. Pour l'infiltration, les cuves sont percées et posées sur un lit filtrant ou du grave. Les Rausikko-Box de Réhau peuvent être utilisées pour les deux usages par les collectivités. « Notre système est constitué de blocs modulaires autofixants, structures alvéolaires ultralégères en polypropylène, qui peuvent s'empiler. S'il repose sur une géomembrane, l'eau est retenue. Sinon, elle s'infiltre soit totalement soit partiellement s'il existe une surverse. Le débit de fuite est fonction de la perméabilité du terrain. Le calcul est effectué pour que la cuve se vide en 24 heures pour un orage décennal », explique Dominique Anceaux, directeur de département génie civil et infrastructures de Réhau. Certains fabricants, comme Nepteo (filiale de Primagaz), proposent une cuve deux en un, permettant aussi les deux usages.
DU FLOU SUR LES ABATTEMENTS
Dans quelle mesure ces techniques alternatives permettront-elles de réduire la taxe eaux pluviales ? Quelle corrélation avec les abattements prévus ? « Cela dépend plus du contexte du projet d'aménagement que de la technique employée. Notre objectif est d'atteindre le zéro rejet au réseau, mais c'est sous réserve de la perméabilité des sols. C'est pourquoi nous conseillons de maximiser les surfaces d'infiltration au tout début du plan de masse », explique Guillaume Peruisset ingénieur hydraulique au bureau d'études Infra Services. Chaque projet doit donc être géré au cas par cas. Non seulement en fonction du lieu (urbanisation nouvelle ou en centre-ville), mais également de la nature du sol. « Qu'est-ce qui est imperméable ou pas ? Que faire pour les personnes vivant en appartement où les abattements sont impossibles ? Le système est à perfectionner », reconnaît Bénédicte Tardivo. En attendant un arrêté, le ministère travaille à la réalisation d'un guide d'application. « Il y a encore pas mal de flou réglementaire, mais la taxe applique le principe pollueur-payeur et elle est incitative. Le but est de déconnecter l'eau pluviale des réseaux et d'éviter de construire toujours plus de tuyaux et des bassins de stockage plus volumineux », résume Élodie Brelot, directrice du Graie.