Les XIes Rencontres nationales de printemps de la construction en bottes de paille viennent de s'achever. C'est la belle saison et les professionnels de la construction en paille ne chôment pas. La filière va récolter, cet été, les fruits de quatre ans de labeur en publiant ses premières règles professionnelles. Un socle commun qui pallie l'absence de DTU (document technique unifié) en formalisant la mise en oeuvre de ce coproduit agricole dans la construction. Pas encore en tant que structure porteuse, mais comme isolant ou support d'enduit pour des bâtiments dont le dernier plancher culmine à 8 mètres. « Cela correspond tout simplement à la hauteur de l'échelle des pompiers. Dans le bâtiment, mieux vaut procéder par étapes pour se faire accepter. Cette limitation ne doit rien à l'influence d'un quelconque groupe de pression. La question est récurrente dans le secteur de l'écoconstruction, mais les freins sont surtout dans nos têtes. Toute profession peut s'organiser pour se développer », explique Luc Floissac, enseignant-chercheur en architecture et membre actif du Réseau français de la construction paille ( RFCP). L'association qui, signe de sa volonté de professionnalisation, a abandonné son ancien nom de Compaillons en 2006, est à l'initiative de ce projet, baptisé Propaille, que les pouvoirs publics soutiennent financièrement.
Un tournant pour ce matériau local, aux qualités à la fois écologiques (bon isolant à faible énergie grise, filière sèche et renouvelable) et sociales (circuit économique court) ? « En tout cas, une indéniable montée en crédibilité. La rédaction de ces règles professionnelles, une tâche de longue haleine, va ouvrir de nombreuses portes à la filière », répond Blaise Dupré, directeur du centre de ressources sur la construction durable et les écomatériaux, le Codem Picardie. « C'est une étape importante, une reconnaissance officielle, mais pas une révolution. La construction en paille existe depuis longtemps », relativise Philippe Liboureau, délégué national du RFCP. Beaucoup l'ignorent, mais la France est le champion européen de l'utilisation de la paille dans la construction. Mais seuls les autoconstructeurs ont la fibre. Les bâtiments publics ou d'activités l'utilisant se comptent sur les doigts de la main : habitat social dans le Jura ou les Vosges (88), salle de réunion près d'Angoulême (16), pôle pédagogique en Ardèche (07), crèche à Villeneuve-d'Ascq (59), bâtiment industriel dans la Drôme (26)... Sans avis technique, DTU ou règles professionnelles, obtenir une assurance professionnelle (décennale en particulier) relève souvent du chemin de croix.
Les architectes Sonia Cortesse et Bernard Dufournet le suivent avec courage depuis qu'ils ont remporté, en 2007, le concours du projet de groupe scolaire de la société d'économie mixte de l'Arc de Seine, qui doit ouvrir ses portes à la rentrée 2013 à Issy-les-Moulineaux (92). « Les travaux doivent débuter en septembre pour un budget global de 13,5 millions d'euros. Nous avons choisi la paille pour ses qualités isolantes et son faible contenu énergétique. Nous avons aussi vérifié que le matériau était disponible en Île-de-France. Il s'agit de notre première réalisation de ce type, nous ne pensions pas que cela serait si compliqué ! » déplore Sonia Cortesse. Socotec, le bureau de contrôle a, en effet, exigé la réalisation d'un essai au feu avant d'autoriser son emploi pour isoler cet établissement recevant du public (ERP) de 3e catégorie. Un test positif réalisé par le Centre scientifique et technique du bâtiment ( CSTB) en juillet 2009 sur une façade rideau paille-bois couvrant deux niveaux.
La construction de la Maison des vergers, du paysage et de l'énergie ou Damassine, inaugurée en octobre dernier, ne fut pas si complexe. « C'est le plus grand bâtiment public isolé en paille du pays. Mais classé ERP de 5e catégorie, il n'est pas soumis à l'obligation de stabilité au feu des structures. Le bureau de contrôle Qualiconsult et les pompiers, qui ont compris le sens de notre projet de grange contemporaine, ont validé un avis technique allemand », indique Emmanuel Rho, directeur adjoint des bâtiments du Pays de Montbéliard (25).
L'arrivée des règles professionnelles devrait quelque peu rassurer contrôleurs techniques, assureurs et maîtres d'ouvrage potentiels. Encore faut-il trouver des professionnels, concepteurs et artisans, compétents. « Pas de soucis », pour Emmanuel Rho qui est allé tout de même chercher un constructeur à 700 km du Doubs, en Dordogne (MV habitation). La formation des artisans aux différentes techniques de construction en paille est le principal enjeu aujourd'hui, les majors boudant encore le produit. « C'est désormais notre cheval de bataille. Nous participons avec onze partenaires européens au projet Leonardo pour créer un référentiel de formation où chaque pays pourra puiser des modules en fonction des techniques qu'il met en oeuvre », souligne Philippe Liboureau.
Le RFCP entame surtout, cette année, le projet Propaille 2 consistant notamment à développer un référentiel sur la base des règles professionnelles. Une première formation de formateurs, organisée en coopération avec la Région Rhône-Alpes, s'est tenue fin mai. Les vaillants Compaillons n'attaqueront pas, en revanche, l'immense chantier des règles professionnelles de la paille porteuse avant l'an prochain. « Nous ne pouvons pas tout faire. L'association n'emploie que deux permanents à mi-temps. Nous avons contribué à lever de nombreux obstacles, notamment psychologiques, pour l'isolation. Il faudra faire de même pour la paille porteuse. La réalisation des essais sera plus complexe. Il faudra prouver la stabilité et la durabilité des bâtiments. Les assureurs ne seront pas faciles à convaincre », craint le délégué national du RFCP. Une piste prometteuse, si elle s'avère réalisable, a été évoquée il y a quelques jours lors des Rencontres nationales de printemps : la création d'une mutuelle d'assurance spécialisée dans l'écoconstruction.