Il y a deux façons de classer les réalisations géothermiques, cha cune en trois catégories : selon le type d'énergie qu'elles restituent (chaleur, rafraîchissement, élec tricité), ou selon la technique de forage (capteurs horizontaux, sondes verticales, doublets en aquifère). En pratique, ce second choix revient à parler respecti vement de géothermie très basse énergie (ressource inférieure à 30 °C), basse et moyenne énergie (entre 30 et 150 °C) et haute éner gie (entre 150 et 350 °C). Seule cette dernière catégorie permet de produire de l'électricité : l'eau surchauffée est transformée en vapeur, laquelle est détendue dans une turbine raccordée au réseau électrique. C'est le cas en Guadeloupe, dans la centrale de Bouillante (15 MWe), et en Alsace, sur le pilote de Soultz-sous-Forêts (2,1 MWe). L'ins tallation alsacienne présente la particularité de fonctionner sur roches sèches (« hot dry rocks ») : l'eau mise en contact avec la cha leur du sous-sol fracturé n'est pas présente naturellement en pro fondeur, elle vient de la surface, avant d'être remontée.
Les installations géothermiques se classent par types de bâtiment raccordé : maison individuelle (le plus souvent par l'intermédiaire d'une pompe à chaleur), bâtiment tertiaire (maison de la Radio à Paris, campus Capgemini dans l'Oise, École nationale supérieure des techniques avancées à Palaiseau), site industriel (serre, papeterie, aéroport d'Orly), quartier d'im meubles urbains. C'est ce dernier cas qui incarne le mieux le déve loppement de la géothermie en France. En effet, dans les années 1980, après les chocs pétroliers, des quartiers entiers de banlieue, à l'est et au sud de Paris, se sont mis à puiser dans la nappe du Dogger, important aquifère du bassin parisien, à 1 800 mètres de profondeur, pour chauffer les immeubles en réseau. L'eau est remontée au moyen d'un puits d'extraction, passe dans un échangeur à plaques qui trans fère les calories vers un circuit en surface desservant des sous-sta tions et retourne au sous-sol par un puits d'injection dévié, suffi samment distant du point d'ex traction pour ne pas en abaisser la température. « En Île-de-France, la géothermie peut être considérée comme la première énergie renouvelable exploitée : la région compte à ce jour 36 doublets en fonctionnement, dont 16 dans le seul département du Val-de-Marne », indique le Syndicat des énergies renouve lables. Les 65 installations dont dispose la France alimentent 200 000 équivalents logements, dont 150 000 en région pari sienne. Production constatée : 132 000 tep pour la géothermie profonde et 70 400 tep pour la géothermie intermédiaire. Le Grenelle de l'environnement veut quadrupler ces chiffres en 2020 : 500 000 tep et 250 000 tep. Le tout, bien sûr, hors pompes à chaleur individuelles, segment de marché qui reste majoritaire dans l'Hexagone (218 000 tep en 2010 et 600 000 tep souhaitées en 2020). Au regard de ces objectifs, le besoin de financement du sec teur s'élève à un milliard d'euros par an, selon le groupe Banque populaire-Caisses d'épargne.
Grigny, dans l'Essonne, est nou velle à s'y mettre. Le 7 septem bre, elle a déposé sa demande de permis de recherche et d'exploitation dans l'optique de déployer un réseau de cha leur géothermique desser vant 8 000 logements en 2017. À cette date, deux puits de forage enverront l'eau du Dogger chauf fer les bâtiments des quartiers de la Grande Borne et de Grigny 2 et produire l'eau chaude sani taire. Dans un deuxième temps, le réseau pourrait être étendu au centre-ville et aux équipements publics. Au-delà des économies de CO 2 (70 %), « la plus-value est surtout économique et sociale : le mix géothermie-gaz représente, pour les Grignois, la solution la plus avantageuse », explique le cabinet du maire. Le coût de la géothermie couvre uniquement les dépenses d'investissement, d'amortissement et d'exploitation du réseau. De plus, en fournis sant une chaleur dont plus de la moitié est d'origine renouvelable, les réseaux de chauffage peuvent appliquer une TVA à 5,5 %.
Autre argument séduisant les porteurs de projets : la géothermie n'est pas soumise aux évolutions du prix du pétrole, dont tout porte à croire qu'il continuera d'augmenter. « La géothermie présente trois atouts : la gratuité de la ressource, et par conséquent une parfaite stabilité des prix, un bon rendement énergétique du fait de consommations électriques faibles (seules les pompes remontant et réinjectant l'eau de nappe pénalisent ce rendement) et une excellente disponibilité qui minimise le recours aux appoints de gaz (15 % maximum) », résume Nicolas Bentz, du cabinet BCFE (Bureau conseil du financement de l'énergie). À cela s'ajoute, pour les investisseurs, la garantie d'un risque financier assez faible, en raison d'un environnement régle mentaire stable et de l'alignement des financements sur la durée de la délégation de service public consentie au bénéfice de l'exploi tant de la centrale et du réseau de chaleur (vingt à trente ans).
Néanmoins, l'essentiel du marché de la géothermie basse et moyenne énergie ne concerne pas les installations neuves. « Le marché de la géothermie est devenu un marché de rénovation, ou “revamping”. Les exploitants de centrales dirigent leurs investissements vers de nouveaux matériels mis au point à la faveur de ruptures technologiques, comme la technique des forages doubles ou des tubes anticorrosion », observe Nicolas Bentz. La corrosion a, en effet, perturbé de nombreuses installations datant des années 1980 et celles-ci doivent renouve ler leur matériel, en augmentant le rendement au passage. En très basse température, le marché des pompes à chaleur géothermiques (sol-eau et eau-eau, c'est-à-dire hors pompes à chaleur aérother miques) s'est un peu tassé depuis le boum des années 2006-2008 suscité par l'octroi d'un crédit d'impôt : en 2011, le Syndicat des énergies renouvelables a recensé 7 850 installations, un chiffre que la filière n'avait plus connu depuis 2002. Celle-ci « souffre des conditions économiques peu favorables et du marché restreint de la construction neuve », expli que le syndicat. En cause aussi : les déboires du numéro deux du secteur, France Géothermie.
Mais un frémissement s'amorce sur le segment des pompes à cha leur sur aquifère (calories de la nappe) et sur champ de sondes (calories du sol) pour le tertiaire et le résidentiel collectif. D'autant que ces usages sont demandeurs de froid l'été, besoin auquel cette technologie peut parfaitement répondre. l