Industriels du transport et géants du BTP se frottent les mains ! Le chantier du Grand Paris, dont les premiers coups de pioche approchent (2015), s'annonce pharaonique. Quelques chiffres en donnent la mesure : quatre nouvelles lignes de métro dont une en rocade à creuser (la future ligne 15), d'autres à prolonger (ligne 14, RER E), soit en tout 200 kilomètres de rails à poser, 72 gares à créer et, au plus près de celles-ci, 70 000 nouveaux logements par an à construire. « C'est quinze ans de travail garanti pour les entreprises du secteur », résumait en mars le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, lors du coup d'envoi donné à ce projet mobilisant l'État, la région Ile-de-France et toutes les collectivités traversées. « Vu son ampleur, il y aura forcément des impacts sur l'environnement », prévient Bernard Doroszczuk, à la tête de la Direction régionale et interdépartementale de l'environnement et de l'énergie (Driee). Selon lui, pour les réduire, il faut déjà les comprendre, les anticiper, mais aussi « faire assaut d'imagination et retrouver sur le territoire une capacité un peu perdue à innover, en regardant ce qui se fait ailleurs et en misant sur plus de solidarité interrégionale ». Exemple : la boulimie de construction risque de se traduire par une tension accrue sur les ressources en granulats d'alluvions. « Donc deux solutions alternatives : explorer d'autres res­ sources mobilisables comme les granulats marins en provenance de Normandie et les calcaires d'Ile-de-France, qu'il faudrait alors concasser, ou bien incorporer plus de matériaux recyclés dans les bétons de construction », cite Philippe Dress, chef du service nature à la Driee. Même souci d'approvision­ nement pour l'énergie électrique. La région produit moins de 10 % de l'électricité qu'elle consomme. Or, le Grand Paris et les milliers de bâtiments et d'installations induits – les data centers étant parmi les plus énergivores – devrait engendrer une demande nouvelle de puissance de 3 300 mégawatts d'ici à 2030. « Jusqu'en 2020, les projets de développement de RTE et ERDF couvriront cette hausse, rassure Vincent Le Biez, chef du service énergie à la Driee. L'impact se fera ensuite davantage sentir. Il nécessite d'agir en amont sur l'efficacité énergétique et de trou­ ver dès maintenant des synergies pour accroître la soutenabilité électrique du Grand Paris. » Mais, pour cela, encore faut-il que ses principaux acteurs se parlent. Pour nourrir le dialogue (entre élus) et sceller des engagements (avec l'État), la loi du Grand Paris a prévu un outil, les contrats de développement territorial (CDT). Une dizaine d'entre eux sont signés. Clé de voûte de la mise en œuvre du Grand Paris, ils listent pôle par pôle les priorités et font l'objet d'une évaluation environnementale. Un exercice réputé compliqué et dont l'Autorité environnementale (AE), une instance qui surveille tout cela à la loupe, met régulièrement à jour les contradictions. Car entre la nécessité de bétonner d'un côté, certes pour mieux densifier, et celle de préserver l'en vi ron nement de l'autre, il y a parfois un gouffre qui confine au paradoxe. « L'empreinte envi­ ronnementale de l'urbanisation est un véritable enjeu. Or, nous avons l'impression d'être les seuls à pouvoir en parler », déplore Michel Badré, président de l'AE. Du moins pour l'instant, car les langues se délient et le sujet commence à mobiliser. À la Société du Grand Paris (SGP), maître d'ouvrage du futur métro automatique, on promet qu'il n'est pas tabou : « Les enjeux et contraintes environnementales sont intégrés le plus en amont pos­ sible, au-delà de ce qu'impose la réglementation, et ce en vue de concevoir le réseau avec les meil­ leures techniques disponibles », assure Florence Castel, directrice de l'ingénierie environnementale à la SGP. Ainsi, le bilan énergétique du futur métro est modélisé et travaillé en amont avec les constructeurs de trains. Une approche systémique est privilégiée : « Nous ne nous contentons pas d'étudier les dis­ positifs de récupération de l'éner­ gie de freinage, mais tenons aussi compte des particules émises par les trains et de la qualité de l'air sur les quais ». Avec la Driee et l'Atelier parisien d'urbanisme, une réflexion s'entame pour que des gares de surface tirent parti de l'énergie photovoltaïque. En proche couronne, d'autres pourraient profiter de la géothermie. Autre sujet d'attention, les déblais de chantier. Pour construire le Grand Paris Express, de 15 à 20 millions de mètres cubes de déchets inertes et de terres polluées seront extirpées des entrailles de la région. Soit l'équivalent d'un grand lac. Pour aider les villes à anticiper les nuisances que leur évacuation va provoquer, mais aussi permettre aux filières de traitement de s'organiser et faire que le chantier de construction se déroule en flux tendu, la SGP a préparé un schéma de gestion transmis à la Région. Elle l'inclura dans le plan régional d'élimination des déchets de chantier (Predec) attendu en septembre prochain. Pour la première fois également, grâce à un calculateur carbone fait maison baptisé CarbOptimum, les émissions directes et indirectes du futur métro sont prises en compte en amont. Gratuit et d'un usage accessible, il permet d'évaluer ces émissions depuis les phases d'étude jusqu'à la construction, en incluant la maintenance des équipements et les projets d'aménagement liés. Utilisé par d'autres maîtres d'ouvrage (SNCF, RFF), il a aussi aidé une collectivité à élaborer son CDT. Et même séduit jusqu'au Grand Moscou, car il est entièrement paramétrable. Preuve que l'environnement fédère quels que soient les cieux. l