Le serpent de mer refait surface. Les pouvoirs publics souhaitent inciter au développement des biocarburants qui provoquent le moins d'émissions de gaz à effet de serre. Et qui ne sont pas suspectés d'empiéter sur les terres agricoles destinées à la production alimentaire. La députée européenne Corinne Lepage a ainsi formulé une proposition sur ce sujet sensible. Elle vise à modifier les deux directives qui restreignent l'incorporation des biocarburants dits de première génération.
Ces productions sont très largement subventionnées par les pays européens qui, à grands coups de déductions fiscales, distribueraient près de 10 milliards d'euros par an aux producteurs. « Il s'agit de consolider le plafonnement de la production d'agrocarburants de première génération, mais pas de manière indiscriminée », soutient la députée, et ce « en modifiant les critères de la comptabilité utilisés à ce jour ».
Ainsi, dans le calcul des émissions, le rapport propose d'intégrer celles liées au changement d'affectation des sols indirect (Casi). « L'étude de l'Ifpri (International Food Policy Research Institute), sur laquelle est fondé ce calcul, admet déjà des hypothèses plutôt optimistes, notamment en matière de productivité agricole, par rapport à d'autres études beaucoup plus réalistes », remarque Corinne Lepage. Notamment celles de l'Ademe et de l'Inra, note-t-elle, qui donnent des valeurs de Casi plus « dures ». Pour autant, la députée européenne ne souhaite pas la mort – en tout cas, pas immédia tement – des filières incriminées : « il convient de préserver les investissements déjà effectués et les emplois afférents, autour de 120 000 », recommande-t-elle. Elle suggère donc que « l'élimination des matières premières » sans bénéfice pour le climat soit « progressive ». Et propose qu'un volume d'agrocarburants équivalent à la production de 2010 bénéficie d'une exemption jusqu'en 2017. Et jusqu'en 2020 pour ceux n'apportant qu'un bénéfice « limité » – tout en supprimant les subventions et exemptions fiscales. Ce compromis éviterait de rater l'objectif européen d'intégration de 10 % d'énergie renouvelable dans le domaine des transports d'ici à 2020.
Les industriels français restent sourds à ces arguments. Ainsi, selon Sylvain Demours, l'un des responsables du Syndicat national des producteurs d'alcool agricole (SNPAA), qui regroupe les producteurs d'alcool et de bioéthanol : « On ne peut pas fonder un tel plafonnement sur un modèle mathématique – c'est le cas du Casi – qui n'a aucune robustesse scientifique. Ce serait prendre le risque de compromettre l'activité d'une filière qui, en France, a réalisé récemment un milliard d'euros d'investissement, exploite cinq sites de production ultramodernes et compte 8 900 emplois directs et indirects ». Concernant les agrocarburants de seconde génération, fréquemment parés de toutes les vertus, Corinne Lepage estime qu'il s'agit de ne pas répéter les mêmes erreurs. « Nous disposons de trop peu de données sur la disponibilité, la durabilité et l'impact économique liés à l'utilisation des matières premières servant de base à la production de biocarburants avancés. » Elle estime donc « nécessaire » de mener une étude « à court terme » avant d'envisager de fixer un objectif à cette génération. l