EME : Quels dysfonction nements connaissent les marchés de l'électricité ?
Un ensemble de facteurs conduit à une perte d'efficience. Il y a d'abord un élément structurel. Les marchés actuels ont été conçus pour donner des signaux d'arbitrage entre combus tibles à court terme. Or, le mix électrique intègre des centrales qui demandent de lourds investissements fixes. C'est vrai de l'éolien comme du nucléaire, pour lequel le coût du combustible est marginal. Des doutes existent quant à la capacité d'un marché où ne sont échangés que des kilowattheures à envoyer les bons signaux d'investissements. En rémunérant la disponibilité des centrales, le futur mécanisme de capacité est censé résoudre en partie ce problème. Mais jusqu'où ? Deuxième élément, en France, les échanges sur le marché représentent moins du tiers de la demande, l'essentiel se faisant de gré à gré sans passer par une bourse de l'électricité. Sortir d'une situation de monopole prend du temps et la production est encore très concentrée. Un tel marché, qui représente de faibles volumes et où la concurrence est insuffisante, peine à envoyer des signaux économiques. On assiste par ailleurs à une situation de surcapacité. Depuis 2012, les prix de l'électricité chutent et des centrales sont en grande difficulté, en particulier les cycles combinés à gaz récents.
EME : L'éolien est accusé de perturber les marchés. Son développement peut-il expliquer cette surcapacité ?
Il existe plusieurs causes. D'abord, la diminution ou la stagnation de la consommation intérieure, due à la crise économique. Les exportations sont aussi réduites à cause de la baisse de la demande dans les pays voisins. Ensuite, le prix du carbone est quasi-nul et celui du charbon chute à cause de la concurrence des gaz de schiste aux États-Unis. Dans ce contexte, les centrales à charbon deviennent en Europe plus compétitives que celles à gaz. Enfin, il y a l'essor des renouvelables, en particulier de l'éolien. Cet état de surcapacité est lié à l'incertitude qui pesait sur ces facteurs. S'il n'y en avait pas, les producteurs investiraient simplement dans les capacités nécessaires pour satisfaire la demande. D'après notre étude, entre 2007 et 2012, l'écart entre les parcs éoliens initialement prévus et fi na lement construits explique moins de 10 % de la surcapacité, loin derrière les autres facteurs. Pour l'avenir, à l'horizon 2020-2025, la principale incertitude est liée à la politique nucléaire : la France va-t-elle descendre à 50 % du mix ?
EME : D'aucuns jugent aussi l'éolien responsable des prix négatifs de l'électricité…
En France, ils ne représentent qu'une dizaine d'heures sur l'année. D'ailleurs, ils sont surtout dus aux prix négatifs allemands qui s'exportent en France. Il faut donc relativiser la situation. À l'horizon 2020, on estime que cela restera inférieur à la centaine d'heures par an. Fondamentalement, un prix négatif ne constitue pas un dysfonctionnement. Il matérialise plutôt un besoin de flexibilité. C'est un signal économique. Le problème, c'est qu'un mécanisme de tarif d'achat comme aujourd'hui en France n'encourage pas l'éolien à y répondre. Pour y remédier, l'étude propose d'instaurer un dispositif de modulation à la baisse de la production éolienne en période de prix négatifs.
EME : Les détracteurs de l'éolien défendent l'idée d'une convergence marché. De quoi s'agit-il ?
Leur idée est d'indexer, au moins en partie, les revenus tirés des renouvelables sur la réalité du marché. L'actuel tarif d'achat ne le fait pas. Nous nous sommes placés à volume de développement égal de l'éolien pour comparer le mécanisme existant à trois autres. D'abord à la prime « ex-post », comme en Allemagne et en Angleterre. Son principe est de fixer un prix cible, de laisser le producteur éolien vendre son électricité sur le marché et de lui payer la différence. Il n'y a pas d'exposition aux risques conjoncturels, mais à ceux de commercialisation oui. Cela peut pénaliser les petits acteurs qui ne disposent pas d'équipe propre à cette activité. Ensuite, à la prime « ex-ante » : il s'agit d'attribuer une prime aux kilowattheures vendus sur le marché, ce qui rend les revenus très vulnérables aux risques conjoncturels et peut faire exploser les coûts de financement. Enfin, à un système de quotas. Nous avons pris une série de critères : objectifs de développement de l'éolien, construction d'une filière, limitation des distorsions et optimisation par rapport au marché, coût de financement, maîtrise des dépenses publiques et des rentes. Au final, le tarif d'achat n'est pas le meilleur sur chacun des critères, mais c'est le plus équilibré. Nous avons néanmoins identifié une autre solution, qui consiste à faire évoluer le tarif d'achat grâce à trois mesures. Inciter l'éolien à baisser sa production en périodes de prix négatifs. L'encourager à contribuer à l'équilibre du système, c'est-à-dire lui faire porter la responsabilité de ses prévisions de production. Enfin, le faire participer, à la baisse, aux réserves dites tertiaires dont RTE peut avoir besoin en cas de soucis techniques sur le réseau. l