Les fluctuations réglementaires freinent le développement éolien, le bilan environnemental des agrocarburants de première génération les décrédibilise… Le bois, lui, avance contre vents et marées. Malgré les questions légitimes qui se posent sur la durabilité de la ressource ou sur les émissions de particules fines liées à sa combustion, le développement de la filière bat son plein. Le combustible semble la principale ENR capable d'atteindre les objectifs qui lui ont été assignés pour 2020. Et pour cause : loin de tourner le dos au mode de chauffage le plus ancien, les Français sont de plus en plus nombreux à acquérir des appareils de combustion (lire page suivante). Surtout, bien aidés par le Fonds chaleur, les réseaux de chauffage urbain et les chaufferies industrielles à biomasse se multiplient.
Entre 2009 et 2012, 453 installations ont été aidées. Depuis 2000, la production moyenne de chaleur collective issue de la biomasse a été multipliée par trois pour atteindre 1,4 million de tonnes équivalent pétrole (TEP) par an. Et d'ici à 2020, ce chiffre devrait tripler à nouveau. Pour les pouvoirs publics, l'investissement est rentable. « Sur la base du bilan 2009-2012 et d'une durée de vie de vingt ans des équipements financés, le montant d'aide est d'environ 40 euros par TEP annuelle renouvelable produite, soit 3,40 euros le mégawatt-heure », calcule l'Ademe. L'effet levier est réel, avec un « montant des investissements dans les projets soutenus trois fois plus élevé que les aides apportées ».
Le bois génère un chiffre d'affaires annuel de 500 millions d'euros et la création de 5 000 emplois pérennes supplémentaires liés à l'exploitation et l'approvisionnement des installations. Paradoxalement, c'est « une énergie assez jeune d'un point de vue industriel, disons six à sept ans », rappelait, début octobre, Bruno de Monclin, le président du Comité interprofessionnel du bois énergie (Cibe) en ouverture du dernier colloque national de l'association. Avec les chaufferies est né un nouveau combustible : la plaquette forestière fabriquée à partir de bois broyé, généralement des rémanents qui ne sont pas exploités par ailleurs.
Lors du lancement du Fonds chaleur, l'Ademe exigeait au moins 25 % de plaquettes dans les plans d'approvisionnement des porteurs de projets. Aujourd'hui, ce seuil oscille en moyenne entre 35 et 50 % selon le contexte régional. Certaines délégations régionales de l'établissement observent jusqu'à 80 % quand l'offre est abondante. « L'objectif est de ne pas créer de tensions sur le marché des connexes de scierie, qui ont des débouchés historiques dans les secteurs du papier ou du panneau de bois », justifie Michel Cairey-Remonnay, coordinateur du Fonds chaleur.
Avec la prolifération des projets, le principal casse-tête de la filière est de trouver des équilibres locaux. Promettant il y a quelques années de « créer de l'électricité et de la chaleur » en « nettoyant la forêt » (dixit une publicité de Dalkia), la profession a changé de discours. Elle a compris qu'elle devait optimiser les prélèvements de rémanents en respectant les besoins de régénération naturelle des forêts et en protégeant la biodiversité. Pas si simple. À l'ONF, on reconnaît qu'on tâtonne encore pour trouver le bon modèle.
Au-delà des optimisations locales, la filière bois va devoir apprendre à mobiliser les forêts inexploitées. Elles ne manquent pas en France, comme l'a relevé le rapport du député de l'Yonne Jean-Yves Caullet, publié en juin. « La dispersion des propriétaires est une difficulté pour mobiliser la ressource disponible », rappelle-t-il. La forêt privée française couvre 10,6 millions d'hectares et se répartit entre 3,5 millions de propriétaires, dont 2,36 millions qui possèdent chacun moins d'un hectare.
Reste que, si la ressource est plutôt bien répartie sur le territoire, il doit en être de même des équipements. Dans son évaluation de « la politique de développement des énergies renouvelables », publiée en juillet dernier, la Cour des comptes s'inquiète de la prolifération des gros projets de cogénération qui « déséquilibrent les marchés locaux et se traduisent par des importations de biomasse ». Lors du quatrième appel d'offres lancé en 2010 par la Commission de régulation de l'énergie, « trois sur seize ont prévu de recourir aux importations dans des proportions allant de 48 à 77 % de leurs approvisionnements », souligne la Cour. Les ONG dénoncent, elles aussi, les risques liés à l'industrialisation massive de la forêt. À Sardy-lès-Epiry, dans la Nièvre, elles sont sur le point d'obtenir gain de cause contre le projet d'Erscia. À Gardanne, dans les Bouches-du-Rhône, E.ON a tenté mi-janvier de rassurer tout le monde en signant un protocole de travail avec le Parc national des Cévennes. Sur le point de convertir une centrale électrique au charbon à la biomasse, l'énergéticien promet un approvisionnement préservant les enjeux de territoire rappelés dans la charte du parc.