C'est un peu une guerre de position. Les procédés de production de combustibles solides de récupération (CSR) se mettent timidement en place en France. En cause, un certain désintérêt des pouvoirs publics, la concurrence de l'enfouissement à bas prix, le flou qui entoure encore la définition d'un CSR et la réglementation qui ne l'autorise pas à passer de la case déchet au statut de produit. Pourtant, les initiatives existent et un nombre croissant d'industriels se positionnent depuis deux à trois ans sur cette filière en devenir, en ouvrant des sites de production : Veolia à Ludres, près de Nancy, en 2009 ; Paprec, près de Toulouse (Bruguières), fin 2011 ; le groupe Séché sur ses sites de Calais et Changé, en Mayenne ; Semardel à Vert-le-Grand (Essonne), fin 2012 ; NPC à Alizay (Eure) ; Baudelet Environnement, à Blaringhem (Nord), au printemps 2013. Sans oublier Pena Environnement, qui exploite, depuis 2005, son unité de production de CSR (procédé Coris), dans le Sud-Ouest, et fait figure de précurseur.
« Le monde du déchet surveille la mise en place d'une filière CSR, se félicite Marc Pena, président de Federec-Valor-dec, y compris les broyeurs VHU, car les RBA ont leur place sur des débouchés en cimenteries. De nouvelles lignes se mettent en place, c'est positif, mais nous sommes encore pénalisés en France par la concurrence de l'enfouissement, dont les prix ont baissé, et une TGAP insuffisante sur l'élimination. » Valordec plaide pour une augmentation significative de la TGAP afin d'améliorer les marges de manœuvre des industriels ayant opté pour la production de CSR. « Car la philosophie de Federec est que le CSR n'est pas du déchet broyé, il nécessite une préparation des matières entrantes, qui a un coût pour l'opérateur, et doit donc être reconnue », explique Marc Pena. « Le problème aujourd'hui est que la qualité du CSR est peu valorisable car elle n'est pas reconnue, regrette Aline Magne, responsable de la production de CSR sur le site de Paprec, à Bruguières (31). On appelle parfois CSR un peu n'importe quoi, car les normes n'avancent pas. »
En Europe, certains ont pris les devants. L'Italie a établi des grilles de normes qualitatives, l'Allemagne (35 %), la Suisse (50 %) et les Pays-Bas (83 %) ont des taux de substitution en cimenterie incomparables aux nôtres (2 à 3 %) et des chaufferies urbaines du nord de l'Europe ou d'Allemagne utilisent massivement du combustible de substitution. « Dans certains pays, la tonne de déchets entrant dans une unité de recyclage n'est pas payée 70 euros mais 120, voire 150 euros. À partir de là on peut aller plus loin dans le tri en finançant des personnels », rappelle Marc Pena, qui plaide pour une TGAP sur l'élimination « à 50 ou 60 euros la tonne comme dans d'autres pays européens, ce qui stimulera le recyclage et créera des emplois. »
Préparer pour valoriser
Selon leurs débouchés, les industriels du déchet ont mis en place des installations de préparation des matières valorisables dans un CSR. Le groupe Séché atteint une capacité totale de production de 60 000 tonnes sur ses deux sites, implantés à proximité des centres de stockage de déchets ultimes. L'objectif affiché est de détourner de l'enfouissement des déchets valorisables qui, de plus, offrent un mauvais ratio sur la production de biogaz (plastiques, mousses). Les unités proposent un combustible à partir de DIB et d'encombrants de déchetteries, renforcés par le flux professionnel de la filière REP des déchets d'éléments d'ameublement (DEA), Séché ayant été retenu par Valdelia. « On passe par des systèmes de broyage, séparation densimétrique et granulométrique pour extraire les matériaux lourds impropres à la combustion, comme certains plastiques et métaux, et isoler les fractions légères à fort potentiel énergétique, mousses, bois, papiers-cartons, plastiques légers », détaille Juliette Aubert, directrice des relations institutionnelles de Séché Environnement. Des ajustements ont été effectués sur l'unité pour obtenir un PCI constant et respecter les prescriptions techniques du client. « La valeur du produit final est dans le choix du mix de départ, ce qui nous oblige à maîtriser les apports et sélectionner les intrants », ajoute Juliette Aubert. Un troisième site de production de CSR attend ses autorisations d'exploitation dans le Sud-Ouest, mais ne devrait pas être opérationnel avant 2014.
De son côté, Paprec exploite depuis novembre 2011 une ligne complète de production de CSR sur le site de Bruguières, où des DIB, déchets de chantiers et refus de tri de collecte sélective sont épurés et préparés afin de livrer l'industrie cimentière en combustible de substitution. La chaîne de tri offre une capacité annuelle de production de 30 000 tonnes : prébroyage, extraction de la fraction métallique, criblage, séparation lourds/légers, puis broyage secondaire pour la partie PVC. « Nous obtenons un produit final avec une très basse teneur en chlore, nous broyons très fin, de l'ordre de 25 à 30 mm, pour avoir une qualité de filière, ce qui permet d'introduire le combustible directement en four de cimenterie et non en précalcination où les granulométries peuvent être plus importantes », explique Aline Magne. Paprec vient d'achever la première année d'exploitation de la ligne et fait fonctionner son outil à plein régime. Côté qualité, les résultats sont satisfaisants : « Quand on observe les grilles de normes établies en Italie, on peut s'apercevoir que notre CSR entre dans la catégorie des excellentes qualités », pointe Aline Magne. De plus, « il n'est pas difficile à transporter, avec des densités supérieures à 0,3 on charge sans problème des camions de 25 tonnes ».
Quant à Pena Environnement, les aménagements apportés depuis un an sur son site de production de CSR ont permis de doubler la production annuelle qui atteint désormais 25 000 tonnes. Un système de dépoussiérage a été installé sur le procédé Coris, qui offre toujours des granulométries comprises entre 15 et 60 mm pour des débouchés en cimenterie. Une nouvelle qualité de combustible à haut pouvoir calorifique, issu des ordures ménagères, via le procédé Arom, est venue s'ajouter. « Sur les OM, le produit que l'on fabrique est beaucoup plus sec et plus énergétique, car il est passé par une étape de compostage », indique Marc Pena. Le procédé Arom produit à la fois un compost normalisé à partir de déchets ménagers en mélange et un CSR à haut PCI destiné à la filière cimentière.
Exploiter d'autres voies de valorisation
Opérationnel depuis septembre 2012, le site de production de CSR exploité dans l'Essonne par Semardel s'appuie sur le centre de tri des déchets d'activités économiques (DAE) et un apport d'encombrants, dont la filière des déchets d'ameublement professionnels pour laquelle Semardel a été retenue par l'éco-organisme Valdelia. 20 000 tonnes de combustibles devraient être produites en 2013, à destination de cimenteries en France et de chaudières industrielles à l'export. Si l'accès au réseau des cimenteries nécessite une granulométrie adaptée, c'est moins le cas des chaufferies urbaines du nord de l'Europe, qui constitue pour l'heure l'objectif commercial numéro un de Semardel. « Le marché français n'est pas très ouvert à ce type de combustible de substitution pour les chaufferies urbaines, nous visons donc les pays scandinaves ou l'Allemagne, qui ont de gros besoins en la matière », explique Denis Chrétien, chef de projet à la direction technique et développement du groupe Semardel. Les clients avec lesquels l'entreprise travaille souhaitent assurer eux-mêmes la granulation. Semardel livre par conséquent les chaufferies en balles composées de matériaux de moins de 400 mm, un produit brut exempt de chlore et de métaux lourds. Le CSR est composé essentiellement de mousses de rembourrage et de plastiques, hors PE extrait vers une filière de valorisation matière, mais également de déchets résiduels issus des DAE et des encombrants comme des tissus, papiers-cartons et bois de cagettes (l'essentiel du bois étant valorisé vers l'industrie du panneau de particules). « Notre objectif est de valoriser énergétiquement des déchets à haut pouvoir calorifique et les détourner de l'enfouissement où leur potentiel biogaz de valorisation est nul », précise Denis Chrétien. Le CSR produit par Semardel offre un taux d'humidité de 10 % pour un PCI compris entre 4 300 et 4 800 kilocalories/kg.
La ligne assure le tri des déchets entrants selon trois granulométries, via des trommels : moins de 150 mm (presque les deux tiers du flux), 150/400 mm (un tiers) et plus de 400 mm en sortie. Puis une séparation aérolite permet d'extraire les plastiques, cartons, tissus secs, mousses et bois fins, avant qu'un trieur optique isole les PE et les fibreux du reste du flux composant le CSR. De leur côté, polyéthylène et fibreux repassent par une étape de tri optique pour être séparés.
Lever les derniers freins
Pour que la filière CSR se développe, il est impératif d'adapter le combustible à l'usine consommatrice. Si les cimenteries présentent l'avantage de pouvoir consommer une large palette de matériaux – le temps de séjour assez long dans le four et la haute température permettent de brûler beaucoup de matières – le développement d'autres débouchés est cependant indispensable. « Cette année, Valordec lance une étude sur les différents combustibles produits en France », annonce Marc Pena. « Nous changeons un peu de métier, nous entrons dans une logique de production industrielle avec un travail sur le cahier des charges des clients, souligne Eric Chevaillier, directeur commercial du groupe Semardel, plus on va aller vers une préparation adaptée et une qualité de produit à haut PCI, plus nous pouvons espérer rentabiliser nos investissements. » Les producteurs de CSR tablent sur des besoins croissants en combustibles de substitution. Mais en France le développement des CSR est cependant freiné par les faibles coûts de l'élimination, les discussions non abouties sur la sortie du statut de déchet de certains CSR de bonne qualité et la caractérisation des produits finaux, indispensables pour espérer trouver de nouveaux débouchés. Autre problème, « les refus de tri de collecte sélective ont par exemple des caractéristiques et des comportements idéaux pour du CSR, mais les collectivités préfèrent les envoyer à l'incinération pour avoir le soutien d'Eco-Emballages, car les CSR ne bénéficient pas encore de soutien comme valorisation énergétique », regrette Aline Magne. Quant à l'enfouissement, la faiblesse des coûts de stockage pénalise le recyclage et la valorisation. Car, « il ne faut pas se leurrer, c'est la filière qui fait payer le moins cher les déchets qui ramasse la mise », tranche Marc Pena.