Certaines traditions ont la vie dure. En plein hiver, quand le vin mature dans les chais, les vignerons en profitent pour tailler la vigne, arracher les pieds malades… Et y mettre le feu pour s'en débarrasser… Quand les niveaux de particules fines dans l'air sont déjà au plus haut, ce brûlage à l'air libre ne fait qu'affoler un peu plus les capteurs de mesure de la qualité de l'air. Alors que la circulaire interministérielle du 18 novembre 2011 rappelle que la pratique est interdite, des arrêtés préfectoraux accordent des dérogations dans la plupart des régions viticoles. Ce passe-droit devrait disparaître avec le temps. Et plutôt que d'attendre d'être au pied du mur, une partie de la profession s'organise pour valoriser son bois.
Dans la vallée de l'Arve, en Haute-Savoie, la communauté de communes de Faucigny-Glières n'a pas eu le choix. En 2011, Bruxelles a assigné la France devant la Cour de justice européenne pour non-respect de la directive européenne sur la qualité de l'air. Quinze territoires, dont celui-ci, dépassent les seuils de concentration de particules de moins de 10 micromètres (PM10) plus de trente-cinq jours par an et font donc l'objet d'un plan de protection de l'atmosphère (PPA). Pour les vignerons, interdiction formelle de brûler quoi que ce soit. Un broyeur est mis à leur disposition pour déchiqueter le bois. À chacun ensuite de s'organiser pour lui trouver un débouché. Président de la collectivité et du Conseil national de l'air, Martial Saddier a bien conscience des limites de la proposition. « Nous avons dû travailler dans l'urgence, explique-t-il. Mais un PPA débarque toujours ainsi. » Un projet de valorisation énergétique devrait permettre d'aller plus loin. « Nous allons construire une déchèterie à proximité de la zone viticole pour récupérer le gisement et produire des plaquettes, poursuit l'élu. La vente pourra générer des revenus pour le syndicat de viticulteurs. »
La valorisation énergétique est à l'étude dans d'autres régions. En Poitou-Charentes, le gisement de sarments mobilisables a été estimé à 90 000 tonnes par an. De quoi économiser 23 700 tep (tonnes équivalent pétrole). En Paca, la chambre d'agriculture a évalué la production à 145 000 tonnes. Mais dans un rapport publié en 2009, elle reste dubitative sur les perspectives de développement à grande échelle d'une filière de récolte du bois de taille dans des conditions technico-économiques acceptables.
Pour convaincre les professionnels de jouer le jeu, le Bourguignon Stéphane Bidault estime nécessaire de les intégrer dans la chaîne de valeur. « En allant travailler, je traverse les vignes tous les jours. Je me suis souvent demandé ce qu'on pouvait faire de cette matière que l'on détruit. J'ai pensé à des bûches reconstituées, mais finalement, on décale le problème », confie-t-il. Son idée : créer du matériel dont ont besoin les vignerons : piquets, tuteurs, présentoirs. Puis leur proposer des réductions en guise de rémunération du bois collecté. De la vigne à la vigne. Stéphane Bidault a fondé l'entreprise Vitis Valorem. Depuis deux ans, il travaille à l'obtention d'une résine composée de sarments et de matières d'origine naturelle ou pétrolière. Ses premiers produits sortiront l'année prochaine.
C'est aussi dans cet esprit d'économie circulaire que le Comité interprofessionnel du vin de Champagne (CIVC) s'est rapproché de son fabricant de bouteilles Verallia. Sur le territoire, 80 % des sarments sont broyés et valorisés pour fertiliser le sol, voire participer à la lutte contre le ravinement.
Le reste, auquel s'ajoutent les charpentes, c'est-à-dire les bois de taille de plus de deux ans, et les souches, sont brûlés. « Il s'agit d'un conseil agronomique donné en vertu du principe de précaution », énonce Arnaud Despotes, responsable environnement du CIVC. Cette solution est aujourd'hui la seule pour éradiquer le risque de propagation de maladies et de champignons comme l'excoriose. Estimé à 70 000 tonnes, ce gisement de sous-produits ligneux pourrait d'ici quelques années contribuer à améliorer le bilan carbone de la profession et boucler la boucle champenoise. Car, en 2003, les producteurs de Champagne ont calculé que la seule fabrication des bouteilles représentait 15 % de leurs émissions de gaz à effet de serre. Après avoir allégé leur poids (de 900 à 835 grammes), elle a lancé le projet Biovive pour créer un gaz de synthèse à partir des déchets de la vigne pour alimenter les fours verriers. Après une caractérisation de la biomasse et une optimisation du gaz en laboratoire, une unité de gazéification est aujourd'hui à l'essai. Le déploiement du pilote industriel sur le site de Verallia à Oiry a pris, quant à lui, un peu de retard. Si la technologie tient ses promesses, plus de 75 % de l'énergie contenue dans la biomasse devrait être injectée dans le four. De quoi remplacer entre 25 et 50 % du gaz utilisé. l