Le bac est-il à moitié vide ou à moitié plein ? La filière REP consacrée aux déchets diffus spécifiques (DDS) produits par les ménages et collectés essentiellement via les déchetteries publiques souffle le chaud et le froid. EcoDDS, l'éco-organisme agréé en 2013, qui regroupe plus de 600 entreprises adhérentes (contre 400 estimées au lancement de la filière), peut se réjouir d'afficher des chiffres de collecte encourageants, avec une prévision de 25 000 tonnes à la fin de l'année 2014, et d'être en route vers ses objectifs de fin 2015 : environ 33 000 tonnes, soit 0,5 kg par habitant. Il affiche également un taux de couverture au-delà de son objectif de 40 millions d'habitants pour la fin 2014, avec 490 collectivités sous contrat et plus de 2 400 déchetteries. Mais il risque vite de souffrir d'un taux de collecte hors filière très élevé, de l'ordre de 25 à 30 %, avec de fortes disparités selon les flux : de 16 % pour les pâteux (peintures, enduits) à 60 % pour les bases (soude, ammoniaque). « On ne parle même pas d'un apport professionnel ou de déchets assimilés, les produits que nous avons identifiés comme hors filière sont hors du périmètre de la REP, ce qui menace la pérennité de la filière », s'agace Pierre Charlemagne, directeur général d'EcoDDS. Il s'agit d'aérosols de laque à cheveux ou de déodorants, d'huiles végétales, de bidons de lessive et de détergents, voire des phytosanitaires agricoles ou des produits vétérinaires. D'autres filières opérationnelles, comme les DEEE et les piles, n'ont jamais connu de tels niveaux sur la prise en charge de déchets hors filière, qui n'ont jamais dépassé les 3 à 4 % lors du lancement pour s'établir à moins de 1 ou 2 % aujourd'hui.
80 lignes de produits
Le tonnage contribuant des produits chimiques concernés par la REP atteint plus de 1,05 million de tonnes, englobant contenants et contenus (voir encadré). Un chiffre à rapprocher des 65 000 à 70 000 tonnes de DDS (tous producteurs confondus) qui sont apportés chaque année en déchetterie. Les instigateurs de la filière DDS des ménages, collectivités locales, ministère de l'Environnement et Ademe, ont imaginé une filière exhaustive ; l'arrêté ministériel du 16 août 2012 détaille 80 lignes de produits répartis dans neuf grands flux : acides, bases, pâteux, comburants, produits phytosanitaires, aérosols, DDS liquides (solvants), filtres à huile de véhicules et emballages souillés.
En dehors de ce périmètre de produits, EcoDDS s'appuie essentiellement sur une filière existante, les déchets dangereux des ménages étant collectés depuis plusieurs années par les déchetteries publiques. « La difficulté majeure du début de ce nouveau dispositif est de trier les apports non ménagers et d'expliquer aux collectivités qu'elles doivent conserver des bacs pour tout ce qui n'entre pas dans la REP, les produits non identifiés, non étiquetés, les jerricanes d'essence, les mélanges deux-temps pour tondeuses… », reconnaît Pierre Charlemagne. EcoDDS verse un soutien annuel de 812 euros par déchetterie aux collectivités sous contrat, censé couvrir la moitié des investissements en armoires et bacs de DDS des collectivités, et 3 centimes par habitant pour les dépenses de communication locale. La filière s'appuie sur une cinquantaine d'opérateurs agréés qui collectent les DDS en déchetterie. On retrouve parmi eux plusieurs acteurs indépendants du réseau Praxy, comme Péna, dans le Sud-Ouest, et Baudelet, pour l'ouest du département du Nord. « Il est certain qu'intégrer Praxy nous a permis de développer plus facilement des flux d'affaires sur le territoire où Baudelet environnement propose son offre et de répondre lo calement à des appels d'offres nationaux », précise Caroline Szajek, chargée de communication du groupe Baudelet. L'opérateur nordiste a collecté 900 tonnes de DDS en déchetterie depuis janvier dernier, à destination d'un centre de traitement de Sarp Industries. Les DDS sont ensuite acheminés vers les plateformes de regroupement où, selon le cahier des charges d'EcoDDS, 15 à 20 % des bacs doivent être contrôlés. « On demande à nos collecteurs de remonter les non-conformités avec des photos et des fiches anomalies », précise Pierre Charlemagne.
Équilibres fragiles
Les flux recouvrent 75 % de pâteux (peintures, enduits, mastic, colles), selon des caractérisations effectuées au printemps et à l'été 2014 sur 40 tonnes de DDS. DDS liquides (8 %), emballages vides souillés (6 %), phytosanitaires (5 %) arrivent loin derrière les acides, bases, comburants et aérosols.
Hors déchetterie, EcoDDS a lancé plusieurs opérations de collecte d'une journée avec Leroy Merlin, trois au printemps et cinq en automne, en Seine-et-Marne et dans le Nord. Des opérations que l'éco-organisme souhaiterait multiplier en 2015 en s'appuyant au maximum sur ses collecteurs agréés. Ces dernières se déroulent en deux temps, le distributeur, la collectivité et EcoDDS engagent une communication locale avant l'événement, qui se déroule ensuite sur une journée, généralement un samedi, durant laquelle un collecteur mobilise un camion devant le magasin pour collecter les DDS. « Tout le monde y trouve son compte, du distributeur au consommateur, qui trouve logique de ramener ses produits en magasin, en passant par le collecteur et la filière, qui captent en une journée ce que collecte en moyenne une déchetterie en un mois », avance Pierre Charlemagne. Partenaire de deux de ces opérations, Baudelet y a collecté 4 tonnes de DDS. « Le ressenti des clients est très positif, ils sont demandeurs d'opérations similaires dans l'avenir », estime Caroline Szajek.
L'incinération avec valorisation énergétique demeure la voie presque exclusive pour le traitement des DDS, avec des acteurs historiques comme Sarp Industries et Séché. Les avantages pour la filière, qui se bat déjà avec les DDS assimilés et les erreurs de tri des particuliers, sont qu'elle s'évite une logistique plus contraignante en termes de surtri, nécessaire pour bâtir des filières de recyclage, et qu'elle ne contrarie pas les grands opérateurs du trai tement thermique en réorientant des flux vers de nouveaux exutoires. Reste que le recyclage des déchets dangereux repose sur des équilibres fragiles, l'arrêt de l'activité de régénération de solvants industriels par Chimirec PPM fin 2013, confrontée à une baisse des volumes réceptionnés, en est un bon exemple. Et la composition comme la qualité des flux issus des ménages rendent la mise en place de filières de recyclage performantes assez aléatoire.
EcoDDS met cependant en avant deux exemples de déchets qui ne vont pas directement dans les fours à 1 200 °C. Les filtres à huile usagés des véhicules sont regroupés et traités par Chimirec sur son site de Javené, près de Rennes. Les huiles noires extraites des filtres par centrifugation sont traitées sur place. Quant aux déchets des filtres (papiers, plastiques), ils sont déchiquetés et envoyés en cimenterie. De son côté, Sarp Industries met à disposition son unité de cryogénisation de La Talaudière, près de Saint-Étienne, pour séparer les parties minérales des parties métalliques sur le flux de pots de peinture, afin d'obtenir un métal de meilleure qualité (non oxydé). « Il y a beaucoup d'emballages souillés dans nos flux, mais ils sont très difficiles à déclasser en DIB, comme peut le faire Adivalor avec des bidons de phytosanitaires sur des circuits plus fermés avec des agriculteurs et des opérateurs qui connaissent les produits », note Pierre Charlemagne.
Réduire le taux de non-conformité
En 2015, la filière a pour ambition de réduire de manière significative le taux de non-conformité constaté dans les flux de déchetteries. L'année sera surtout marquée par le nouvel appel d'offres pour les opérateurs de déchets, dont les contours ne sont pas encore arrêtés. Il est donc possible que le découpage en trois lots (collecte, regroupement, traitement) évolue. Autre sujet d'actualité, la prise en charge des extincteurs de moins de 2 litres et de moins de 2 kg fait l'objet d'une étude dont les conclusions seront présentées au conseil d'administration d'EcoDDS pour évaluer la possibilité d'ajouter un flux. Sur la partie recyclage, la récupération de l'aluminium des aérosols après extraction des matières dangereuses est à classer au rayon des projets, tout comme le soutien à la performance des déchetteries, une piste qui pourrait être explorée à partir de 2016.