Rappelons que la disparition du juge, souvent considéré comme trop indépendant, est depuis belle lurette souhaitée par de nombreux acteurs du monde judiciaire et en particulier par le Syndicat des Commissaires et Hauts Fonctionnaires de la Police nationale (SCHFPN) qui, dès 2001 réclamait la suppression pure et simple d'un juge « dont l'activité devient superfétatoire et pose le problème de l'isolement de ce magistrat. ». Entre les lignes, on comprend que le rôle de ce juge, proche des officiers de police judiciaire qu'il dirige dans le cadre des commissions rogatoires, posait un problème hiérarchique aux commissaires de police qui supportaient difficilement de voir leurs subordonnés entretenir des liens privilégiés avec le magistrat.
Avant d'en finir avec « le petit juge » rappelons que s'il ne s'occupe que d'à peine 5% des affaires judiciaires, il s'agit toujours des affaires les plus complexes, les plus longues et de celles qui mettent le plus en cause les personnalités et hommes politiques. Enfin, se posera inévitablement la question du report de l'immense charge de travail assumé jusqu'alors par le juge d'instruction qui réceptionne et remet en forme pour la justice les centaines, voire les milliers, de procès-verbaux expédiés par les policiers une fois leurs investigations terminées dans le volet de l'enquête concernée... Nul doute que l'on ne se battra pas entre la police et le parquet pour récupérer ce travail de titan jusque là effectué par le magistrat instructeur avant la transmission de la procédure vers une juridiction de jugement.
Vers un système à l'américaine
Au-delà des questions matérielles, qui sont pourtant l'une des préoccupations principales de l'officier de police judiciaire dans le cadre de son enquête et qui sont bien souvent des causes de nullité de procédure, ce que les défenseurs de la réforme du côté policier n'avaient certainement pas envisagés c'est que la réforme qui allait emporter la disparition du juge remettrait les pouvoirs d'instruction entre les mains d'un procureur qui resterait aux ordres du pouvoir politique...
Car, ce qui se met actuellement en place c'est un transfert, non seulement des pouvoirs du juge d'instruction vers des magistrats qui restent aux ordres du pouvoir politique, mais aussi de la remise entre les mains de ce même magistrat de la capacité d'initiative dont disposaient jusqu'alors les services de police en charge des enquêtes judiciaires. Une réforme qui annonce ainsi la création d'un bloc accusatoire dans lequel les policiers perdraient toute possibilité d'agir de leur propre chef et ne pourraient intervenir que sur les instructions d'un parquet qui dirigera directement les enquêtes. Un véritable système à l'américaine, sans les contreparties matérielles pour la justice et la police, qui conduira selon l'ancien juge d'instruction Eric Halphen à « la destruction des principes fondamentaux de notre procédure » en précisant que « la question n'est plus tellement de la suppression des juges d'instruction, mais de l'indépendance du parquet. »
La réforme annoncée par le chef de l'Etat n'envisageant à aucun moment l'indépendance du parquet, ce n'est donc en réalité pas la suppression du juge d'instruction qui pose désormais le plus problème, mais la mise en place d'un système judiciaire dans lequel le parquet dirigeant les enquêtes de police, resterait soumis à l'autorité politique et verrait, avec le création d'un « juge de l'instruction » un juge du siège chargé, en autorisant ou pas la mise en détention, en quelque sorte de contrôler l'activité du parquet, ce qui est une première dans le système juridique français ! Ce n'est pas, d'après les spécialistes de la procédure pénale, l'unique difficulté de la réforme envisagée, puisque, dénonçant la mise en examen comme « attentatoire à la présomption d'innocence » le chef de l'Etat souhaite que celle-ci soit décidée lors d'une audience collégiale, tenue en publique, ce qui évidemment donnera encore plus de poids et de force à la décision prise en renforçant du coup encore plus l'atteinte dénoncée à la présomption d'innocence...
Autant d'écueils qu'il faudra éviter dans cette réforme qui s'annonce particulièrement difficile et qui fait une fois de plus l'impasse sur la simplification de la procédure pénale policière, principale revendication des forces de l'ordre depuis plusieurs années face à un système qu'ils dénoncent comme chronophage et dominé par les contraintes de forme.