Qu'est-ce qu'une route à grande circulation ?
En France, une route à grande circulation (Rgc) est une voie, quelle que soit sa domanialité, qui assure la continuité d'un itinéraire à fort trafic et permet notamment le délestage du trafic, la circulation des transports exceptionnels, des convois et des transports militaires ainsi que la desserte économique du territoire. Elle fait l'objet à ce titre de règles particulières en matière de police de la circulation. La création de ces voies date de 1932, époque qui voit l'essor du trafic automobile.
Le 1er réseau des routes à grande circulation (de 1932 à 2009)
La naissance de ces itinéraires est plus précisément liée aux règles de base de la circulation en France. Dès 1807, Napoléon Ier impose de circuler du côté droit de la chaussée, notamment sur le nouveau réseau des routes dites impériales, à l'instar des jeunes États-Unis d'Amérique qui ont pris le contre-pied des anciens colons anglais. En 1910, le Lyonnais Louis Lépine, inventeur de la brigade criminelle et du concours qui porte son nom, instaure la priorité à droite à Paris et cette disposition est généralisée à la France entière le 31 décembre 1922 : « En dehors des agglomérations, à la croisée des chemins de même catégorie au point de vue de la priorité, le conducteur est tenu de céder le passage au conducteur qui vient à sa droite. Dans les agglomérations, les règles ci-dessus sont applicables, sauf prescriptions spéciales édictées par l'autorité compétente. » (1) Cette disposition est cependant rapidement amendée puisqu'en 1925 une priorité de passage est accordée aux véhicules circulant sur les routes nationales (alors les itinéraires les plus importants) afin de faciliter les grands trajets. Mais l'expérience démontre que cette règle entraîne des accidents, du fait qu'un conducteur d'automobile suivant une voie secondaire ne connaît pas toujours à quelle catégorie appartient la route qu'il va couper.
C'est le décret du 12 avril 1927 qui va résoudre ce problème, en consacrant la règle de la priorité à droite en des termes plus formels : le conducteur est désormais tenu, aux bifurcations et croisées des chemins, de céder le passage au conducteur qui vient à sa droite.
L'extension considérable du réseau des routes nationales dans les années 1930 (2) est l'occasion de créer une classe spéciale de voies, les routes dites à grande circulation, car elles supportent, comme cette dénomination l'indique clairement, un trafic important. Elles ont la priorité absolue sur les autres axes en rase campagne. Les décrets du 25 septembre 1932 complétés par le décret du 27 janvier 1933 définissent à la fois le statut de ces axes, la signalisation associée et dressent une première nomenclature.
La première définition de ces routes est la suivante : « En dehors des agglomérations et par dérogation à la règle prévue au précédent article, tout conducteur abordant une route à grande circulation et ne se trouvant pas lui-même sur une route de cette catégorie est tenu de céder le passage aux véhicules qui circulent sur la route à grande circulation. »
Sans surprise, la première nomenclature inclut presque intégralement les routes nationales et la Voie Sacrée, de Bar-le-Duc à Verdun. Plus surprenant, la liste inclut également quelques chemins départementaux (3). Ce réseau initial est progressivement étoffé au fil des années, puisqu'à partir de 1950 il inclut la nouvelle autoroute ouest de Paris. Ce sera le début d'une interrogation sur la qualification (ou non) des autoroutes en route à grande circulation. Nous y reviendrons.
Avec l'évolution des caractéristiques du réseau routier, une nouvelle catégorie de routes est créée en France en 1970 (4) : les voies rapides, déclinées en voies express (5) et en déviations. Notons que ces voies express sont considérées dès leur création comme des routes à grande circulation. Les notions se multiplient donc à la grande joie du spécialiste et… au désespoir du conducteur ! Heureusement cette notion de « voie rapide » sera supprimée avec la codification des textes relatifs à la voirie routière (6).
Ni la construction du réseau autoroutier dense et moderne que l'on connaît, ni les déclassements de routes nationales successifs n'affectent la consistance du réseau des voies à grande circulation (7). Le réseau atteint ainsi 65 000 kilomètres à l'aube du deuxième millénaire.
Le deuxième réseau des routes à grande circulation (de 2009 à nos jours)
Cette notion de routes à grande circulation va subsister jusqu'en 2004. Il apparaît alors nécessaire de réécrire la définition même de ces voies pour qu'elle soit en adéquation avec la réalité. Les différents transferts de routes nationales d'intérêt local aux collectivités locales (essentiellement les départements) dans le cadre de la décentralisation, la création de nombreuses autoroutes ou de routes nouvelles ont en effet impacté certaines routes à grande circulation et rendu cette définition obsolète.
Afin de pouvoir assurer certaines fonctions interdépartementales comme la circulation des transports exceptionnels ou de celle des convois militaires, il devient indispensable d'établir une notion de grands itinéraires qui soit indépendante de toute domanialité (une route à grande circulation pouvant être indistinctement une route nationale, une route départementale voire une voie communale) et dont les caractéristiques (ou les modalités d'exploitation) ne puissent pas être modifiées localement sans préavis. Ainsi l'article 22 de la loi 2004-809 du 13 août 2004 « relative aux libertés et responsabilités locales » et l'article L. 110-3 du Code de la route propose la définition suivante : « Les routes à grande circulation, quelle que soit leur appartenance domaniale, sont les routes qui permettent d'assurer la continuité des itinéraires principaux et, notamment, le délestage du trafic, la circulation des transports exceptionnels, des convois et des transports militaires et la desserte économique du territoire, et justifient, à ce titre, des règles particulières en matière de police de la circulation. La liste des routes à grande circulation est fixée par décret, après avis des collectivités et des groupements propriétaires des voies. »
Le 8 juin 2009, le réseau des routes à grande circulation est donc modifié : la liste des routes à grande circulation répondant à la nouvelle définition est publiée par le décret 2009-635 du 3 juin 2009 modifié. Le nouveau réseau s'étend ainsi sur environ 44 000 km (8) :
- 9 000 km de routes nationales (27 %)
- 34 000 km de routes départementales (71 %)
- 1 000 km de voies communales (2 %).
La qualification de route à grande circulation entraîne l'application d'un régime juridique particulier en matière de circulation où le représentant de l'État dans le département (le préfet) exerce les compétences normalement dévolues au maire en agglomération afin de préserver les avantages et spécificités de ces voies. Le second alinéa de l'article L. 110-3 institue en effet, à la charge des collectivités territoriales, une obligation de transmission au représentant de l'État dans le département de «tout projet de modification des caractéristiques techniques » ou de mesure susceptible de rendre les routes à grande circulation « impropres à leur destination».
Peut-on considérer que les autoroutes sont des voies à grande circulation ?
Peut-on qualifier les autoroutes de routes à grande circulation ? On se souvient que cela a été le cas après la libération, la nouvelle autoroute ouest de Paris étant classée ainsi.
C'est pourtant une erreur car si les autoroutes font bien partie de la catégorie des routes nationales (9), elles ne comportent cependant pas de croisements mais seulement des accès en des points spécialement aménagés, les échangeurs. On pourrait certes envisager de qualifier de routes à grande circulation les bretelles de raccordement de ces échangeurs puisque l'usager doit céder le passage, du moins en entrée, aux automobilistes de la section courante. Mais cela voudrait dire que ces bretelles n'ont pas le statut autoroutier, ce qui est faux. Précisons également qu'en sortie, elles gardent ce statut jusqu'au premier carrefour rencontré (10).
De plus, la lecture du décret n° 2009-615 du 3 juin 2009 fixant la liste des routes à grande circulation dissipe tout malentendu à propos desdites bretelles (11), n'envisageant que le cas des raccordements d'autoroute à des routes à grande circulation : « Article 1
Les routes à grande circulation définies à l'article L. 110-3 du Code de la route sont :
a) Les routes nationales définies à l'article L. 123-1 du Code de la voirie routière et mentionnées par le décret du 5 décembre 2005 susvisé ;
b) Les routes dont la liste est annexée au présent décret ;
c) Les bretelles reliant entre elles soit deux sections de routes à grande circulation, soit une section de route à grande circulation et une autoroute. On entend par “bretelle” une voie assurant la liaison entre deux routes qui se croisent à des niveaux différents. » (12).
Par ailleurs le législateur a repris cette distinction entre autoroute et route à grande circulation dans le Code de l'urbanisme (13) : « En dehors des espaces urbanisés des communes, les constructions ou installations sont interdites dans une bande de cent mètres de part et d'autre de l'axe des autoroutes, des routes express et des déviations au sens du Code de la voirie routière et de soixante-quinze mètres de part et d'autre de l'axe des autres routes classées à grande circulation.»
Si la lecture de cet article pouvait éventuellement conduire à l'interprétation opposée (autoroutes et voies express sont toutes deux des routes à grande circulation), observons que Marie-Odile Avril dans son ouvrage, Le Droit et la Route (14), dissipe tout soupçon en soulignant que les voies express et les autoroutes sont bien deux entités distinctes.
En fait, les textes mentionnés tout au long de cet article ont créé un statut particulier pour les routes ordinaires et les routes express. Mais ce statut ne s'applique pas aux autoroutes qui bénéficient déjà d'un statut particulier (15) depuis 1955 (16) : elles appartiennent exclusivement à l'État (qu'elles soient concédées ou non) et ne peuvent bénéficier de ce statut qu'après décret en Conseil d'État (17).
Enfin, le Code de la voirie routière, dont la teneur est plus domaniale et juridique que le Code de la route, plus centré quant à lui sur tout ce qui est relatif à la circulation, ne donne pas de définition de la route à grande circulation, à l'inverse des autoroutes. On trouve seulement un renvoi au Code de la route dans les articles relatifs au statut de la déviation (L. 152-1 et R. 152-1) (18). Cela montre bien que la qualification de route à grande circulation est de caractère mineur, car elle ne concerne que la priorité de circulation, alors que la notion d'autoroute est d'un niveau juridique supérieur tant au niveau de la définition que des interdictions qui en découlent.