Des producteurs qui, au lieu d'être rémunérés, payent pour écouler leur électricité… Étonnant, non ? Depuis le 1er janvier 2012, des prix négatifs sont pourtant bel et bien observés sur le marché de gros à 24h, qui sert de variable d'ajustement entre les consommations et productions d'électricité. Début novembre 2013, ce sont ainsi 25 heures cumulées de prix négatifs qui avaient été enregistrées. Concrètement, des acheteurs ont reçu de l'argent de la part des producteurs. Comment s'explique cette situation contre-intuitive ? Pour le comprendre, il faut revenir à la logique de préséance économique, qui consiste à faire appel aux unités de production en fonction de leur coût marginal de fonctionnement. Selon l'analyse du cabinet Sia Partners, l'ordre du moins cher au plus cher est le suivant : hydraulique, nucléaire, charbon, puis gaz. Seulement, l'intégration des sources renouvelables, qui bénéficient d'une priorité d'injection dans le réseau, a changé la donne en décalant cet ordre de priorité.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE), dans son rapport d'activité 2012, en décrit la conséquence directe : ce décalage crée des contraintes pour les équipements, comme les centrales à charbon, qui possèdent des coûts bas mais sont peu flexibles. « Cette rigidité influe sur le mode de formation des prix horaires de l'électricité, avec l'apparition de plus en plus fréquente dans l'année d'épisodes de prix nuls, voire négatifs », pointe la CRE. Il arrive en effet qu'un producteur préfère maintenir un niveau de production minimal lorsque la demande devient très faible (ou plus faible qu'anticipée), plutôt que de supporter les coûts d'arrêt et de redémarrage. « Cette décision crée un excédent d'offre qui ne peut être résorbé qu'en payant des acteurs pour écouler la production », détaille Sia Partners. Ce phénomène s'est par exemple produit la nuit du 2 janvier 2012. Le climat français était particulièrement doux avec une activité économique limitée, d'où une très faible demande d'électricité. Dans le même temps, l'Allemagne enregistrait aussi une faible consommation… mais
une production éolienne et photovoltaïque relativement importante. Elle a alors exporté de l'électricité vers la France et des prix négatifs ont été enregistrés entre 3 et 5 heures du matin. La CRE est formelle : « Les systèmes de soutien aux énergies renouvelables entraînent l'apparition de prix négatifs ». Mais est-ce la cause prépondérante ? Non, selon le rapport « Éolien et intégration marché, étude comparée des schémas de financement », commandée par l'association France Énergie Éolienne (FEE) au cabinet E-Cube (voir aussi EMC n° 198). D'après cette étude, l'éolien, principale source renouvelable déployée en Europe, n'est responsable que de façon « secondaire ». Il y est même rappelé que l'apparition des prix négatifs est aujourd'hui limitée à une dizaine d'heures par an en France et devrait rester inférieure à la centaine d'heures avant 2020. Les prix négatifs ont représenté un volume total de 0,13 TWh depuis 2012, à comparer aux 489,5 TWh de consommation d'électricité en France cette année-là. « Le coût de l'arrêt et du redémarrage des éoliennes étant marginal, l'étude d'E-Cube propose de réduire encore ce phénomène, en instaurant une baisse de la production lorsque les prix descendent sous un certain seuil. Cette modulation doit cependant être compensée financièrement », glisse Anne Lapierre, administratrice de France Énergie Éolienne.
Davantage que le développement des renouvelables, l'adaptation rapide de l'offre à la demande est rendue délicate par l'absence de flexibilité du nucléaire, qui représente 75 % de la production électrique française. « S'il est construit, le nouveau réacteur nucléaire EPR aura un impact sur le marché bien plus important que les renouvelables », signale Raphaël Claustre, directeur du Comité de liaison des énergies renouvelables. À moins que les prix négatifs n'incitent les producteurs à développer des moyens de production plus flexibles pour les éviter.