Partout existe un grand besoin de méthodes donnant rapidement des informations pertinentes sur la qualité des eaux. Pour cela, les stations de mesure en ligne se partagent entre stations d'alerte et stations de surveillance. Quelles différences ? « La station d'alerte est un terme surtout utilisé lorsque l'on parle d'eau potable, alors que celui de station de surveillance est plutôt employé pour l'étude du milieu », explique Cédric Fagot, responsable de marché eau et environnement d'Endress+Hauser. « Les deux contiennent le même matériel, mais la station d'alerte déclenche une alarme en cas de pollution et de dépassement de seuils. La différence réside dans ce qui découle comme action. Par exemple, pour la station d'alerte, cela peut être l'arrêt de la prise d'eau et l'envoi en parallèle d'un SMS ou la réalisation d'un prélèvement destiné à analyse. Il s'agit d'une réaction en temps réel. La surveillance ne nécessite pas cette réaction immédiate. » Une vision que partage Jean-Luc Cecile, responsable technique du Centre technique de la mesure dans l'eau (CTME) et président de la commission de normalisation T90-L « Mesure en continu pour l'eau » de l'Afnor : « Concernant l'eau potable, la station d'alerte vise à déclencher une procédure de protection de l'installation de production. La station de surveillance a quant à elle un rôle d'information sur la qualité du milieu. Le temps de réaction peut être beaucoup plus long. » Pour les eaux usées, la station d'alerte vise à prévenir l'exploitant que des substances non-admises peuvent arriver à l'installation et nuire au procédé. En complément de ces stations fixes, les sondes multiparamètres sont utilisées pour les mesures de terrain. « Les analyseurs multiparamètres en ligne sont différents des stations de mesure. Il s'agit de matériel portable. Une station de mesure nécessite de la robustesse, ce n'est pas le cas du multiparamètre », précise Cédric Fagot.
« Les arrêtés préfectoraux qui régissent les rejets industriels selon l'activité pratiquée demandent de plus en plus de mesures en continu », ajoute Clément Schambel, gérant de Mesureo. « Concernant le milieu naturel et l'eau potable, la responsabilité de la qualité de l'eau incombe aux collectivités, aux communautés d'agglomération, aux syndicats, aux villes, etc., souligne Dorothée Muñoz, ingénieur commercial chez Hocer.
Il n'y a rien d'obligatoire en matière de surveillance. Cependant, « la qualité de l'eau potable fait notamment référence à la directive européenne 98/83/CE du 3 novembre 1998 et à son décret d'application du 17 septembre 2003 ».
Une station de mesure est un tout qui intègre un préleveur d'échantillon, un capteur, une chaîne d'acquisition et de traitement, de l'électronique de transmission des informations et des alertes.
L'ensemble constituant la station est la plupart du temps situé dans des endroits isolés et doit répondre à des contraintes d'autosurveillance et d'alimentation électrique, tout en étant robuste et fiable.
Aujourd'hui, il existe presque autant d'analyseurs, d'électrodes, de sondes in situ qu'il existe de paramètres à mesurer. Ces derniers vont des données physico-chimiques les plus classiques comme le pH, la température, la conductivité, l'oxygène dissous, le potentiel redox et la turbidité, aux éléments globaux tels que le carbone organique total, la matière en suspension, ou la matière organique dissoute, en passant par les composés chimiques (ammonium, HAP, nitrates, phosphates, fluorure, cyanure).
intégration
de biocapteurs
Complémentaires, les biocapteurs utilisent des organismes vivants (algues, bactéries, poissons) afin de détecter l'impact d'une pollution sur le milieu naturel. Dans ce dernier domaine, les industriels proposent désormais des équipements performants, qui se révèlent très intéressants pour déceler la toxicité de l'eau de consommation humaine. Afin d'être pleinement opérationnels sur site et pouvoir donner l'alerte, ils doivent être intégrés dans une chaîne de mesures. « Il est tout à fait possible d'intégrer des biocapteurs à des stations de mesure en ligne, confirme Cédric Fagot. Certains projets en demandent, mais cela reste aujourd'hui à l'appréciation locale du bureau d'études et de la collectivité. » Pour Daniel Vasseur, directeur de la société AquaMS, spécialisée dans les analyseurs d'eau et les biocapteurs, « l'administration impose souvent des biodétecteurs dans les stations d'alerte. Par exemple, s'il y a du cyanure dans l'eau, ces systèmes le décèlent, mais si elle n'a pas le capteur physico-chimique spécifique, la station ne signalera rien » (voir encadré p.33).
Exploitées par un industriel, par une collectivité locale dans le cas d'une régie, ou par un fermier dans le cadre d'une délégation de service public, les stations d'alerte en ligne constituent un outil complémentaire à l'analyse en laboratoire. Leurs applications sont aujourd'hui nombreuses et variées. Ces équipements intéressent la gestion des ressources en eaux destinées à la consommation humaine, la surveillance de la distribution de l'eau potable (y compris le risque de bioterrorisme) ou des déversements autres que domestiques dans les réseaux de collecte des eaux résiduaires. Pour répondre à ces problématiques, aucune solution n'est universelle, d'où l'importance de réaliser une étude de risques sur le bassin-versant en amont du choix de la station. Il est en effet impossible d'analyser en ligne toutes les molécules. En complément de la mesure de paramètres globaux, chaque projet de station doit donc reposer sur une étude de risque afin de déterminer les principaux polluants susceptibles d'affecter la qualité de la ressource. Ses résultats détermineront les capteurs physico-chimiques et les analyseurs spécifiques à mettre en place.
« Les applications des stations de mesure concernent également le suivi de la qualité des masses d'eau superficielles afin de comprendre le fonctionnement des cours d'eau et évaluer l'impact des investissements réalisés pour la reconquête de la qualité du milieu comme le préconise la directive-cadre européenne sur l'eau, ajoute Cédric Fagot. Sous réserve de communiquer sur sa présence, une station de mesure peut aussi jouer un rôle dissuasif sur les déversements illégaux. »
La spectrométrie
UV et visible s'impose
Aujourd'hui, des analyseurs conçus sur la spectrométrie UV-visible permettent de surveiller automatiquement divers paramètres représentatifs de la qualité d'une eau, comme la teneur en matières organiques, les matières en suspension, les nitrates, les pesticides, les hydrocarbures aromatiques, etc. « Ces appareils se développent car ils sont plus simples d'utilisation et surtout moins chers », souligne Cédric Fagot. La technique repose sur le fait que la plupart de ces micropolluants absorbent la lumière de façon caractéristique dans la plage ultraviolet du spectre de 200 à 350 nm. En mesurant l'absorbance de l'échantillon dans cette zone, il est possible d'établir une « photographie » représentative de la qualité de l'eau. L'intérêt de la méthode est son temps de réaction très court, auquel s'ajoute la mise à disposition d'informations qualitatives et quantitatives sur les polluants détectés. Il faut ainsi environ cinq minutes entre le prélèvement de l'échantillon et la mise à disposition des résultats d'analyse.
Hocer propose par exemple une gamme de stations d'alerte, baptisée AquaPod, pour le suivi en continu de la qualité de l'eau brute de rivière, souterraine ou de source, et de l'eau traitée. Sa technologie repose sur le couplage entre une procédure de séparation et de concentration des polluants sur une phase solide (SPE) associée à une analyse par spectrométrie UV de la solution concentrée. La technique permet d'obtenir des sensibilités inférieures à 1 µg/l sur des polluants organiques dissous, notamment les pesticides (triazines, urées substituées, organophosphorés, amides, etc.), les hydrocarbures (gazole, kérosène, essences SP 95 et SP 98), les produits industriels (HAP, phénols, BTX), les microcystines, ces algues toxiques présentes dans les retenues d'eau, et certains produits complexes comme les lisiers ou les rejets de STEP.
Une fois la mesure réalisée, il s'agit de la transmettre. « Il est important de bien réfléchir, en amont, à la nature de la transmission selon le type application. Ce sera, soit une ligne téléphonique avec câble (RTC), qui est plus fiable, soit un modem GSM. Il est préférable d'utiliser le RTC quand il s'agit d'une station d'alerte », explique Cédric Fagot. « La récupération de la mesure varie selon l'endroit où se trouve la station. Si elle est proche du point de réception, la transmission des données se fait par liaison filaire, très fiable. Pour les installations éloignées, une connexion sans fil peut être réalisée par GSM ou GPRS. Dans ce cas, le problème est qu'il n'y a pas de délai garanti et que le système est moins fiable », confirme Clémesnt Schambel.
L'évolution technologique de la transmission automatique des informations permet désormais d'instrumenter des sites, auparavant inexploités, très en amont. Il est possible de créer des stations d'alerte de prolifération de cyanobactéries toxiques sur les zones de baignade, de pêche, ou des réservoirs d'eau naturelle. De quoi améliorer la maîtrise du risque lié aux microcystines en optimisant les traitements préventifs et/ou correctifs sur les plans d'eau ou les usines de potabilisation concernées.
mise en dérivation
de capteurs
L'alimentation électrique de ces stations autonomes en site isolé se fait souvent grâce à des panneaux solaires. Toutefois, « la tendance actuelle est de mettre des capteurs en dérivation dans une chambre de passage. L'eau est alors pompée et amenée vers cette chambre pour analyse. Mais, dans ce cas, la pompe engendre une demande en électricité plus importante, ce qui nécessite une grande superficie de panneaux solaires. L'alimentation électrique se fera alors plutôt par câblage classique avec creusement de tranchée, si le site n'est toutefois pas trop isolé », tempère Cédric Fagot.
Quant à l'équipement qui compose ces stations, « le plus simple est le meilleur », résume Jean-Luc Cecile. L'offre se révèle assez similaire entre les fabricants en termes de paramètres pris en compte. Elle varie toutefois à propos des analyseurs spécifiques qui ne mesurent pas forcément les mêmes paramètres. En fonction des données analysées, le coût de possession d'une station de mesure peut être important. Il doit toutefois être comparé au coût des conséquences d'une pollution non détectée. « Les coûts sont très variables selon la complexité de la station et son équipement. Cela va de 1 000 à 200 000 euros. Il peut aussi y avoir des travaux de génie civil à réaliser. Tout est lié à l'étude de risque et des paramètres dont on a besoin, ainsi qu'à l'état du site », indique Cédric Fagot. Néanmoins, le prix moyen est généralement compris entre 30 000 et 50 000 euros.
Bien choisir l'emplacement
D'une manière générale, il est nécessaire de mettre la prise d'eau dans un endroit représentatif de la masse d'eau à suivre et accessible pour les opérations de maintenance. Aussi, « un positionnement stratégique de la station doit être fonction du type de nappe phréatique utilisé pour l'approvisionnement et des paramètres recherchés afin de s'assurer d'une bonne représentativité de l'échantillonnage
tout en conservant un temps de réaction adéquat à la prise de décision », explique Clément Schambel, qui ajoute : « Selon les paramètres mesurés, la maintenance de nos stations se fait au rythme d'environ une intervention par mois. »
Cette maintenance constitue souvent la principale difficulté de la mesure en ligne. Par exemple, dans le cadre du projet PISYS financé par l'Europe, Haganis, la régie en charge de l'exploitation du système d'assainissement de la communauté d'agglomération de Metz, en Lorraine, a mis en place un programme de surveillance et de gestion en temps réel de son réseau d'assainissement via quatorze stations de mesure. « Le problème majeur que l'on rencontre est la difficulté de maintenance des appareils de mesure qui se révèlent fragiles au vu de la rudesse des conditions présentes dans les eaux usées. Du coup, c'est plus complexe, moins efficace et plus coûteux que prévu. Nous sommes aujourd'hui très circonspects », témoigne Claude Wanlin, d'Haganis.
Dans la pratique, la relation entre utilisateur et fournisseur peut s'appuyer sur la norme NF T 90-552. Il est aussi conseillé à l'utilisateur potentiel de se former auprès d'organismes compétents. À Alès, le Centre technique de la mesure pour l'eau (CTME) dispose d'une structure opérationnelle pour assurer ses missions de formation et de tests d'équipements avec l'Institut de régulation et d'automatique d'Arles (IRA). L'IRA peut accompagner un projet de mise en place d'une station d'alerte de sa conception jusqu'à son exploitation. Aussi, les fournisseurs présentent désormais une offre diversifiée de services. « Positionnés à la fois sur les eaux naturelles et les eaux industrielles, nous proposons des prestations de formation, de maintenance et de réparation avec des contrats d'intervention en J+1, ainsi qu'une hotline technique », indique ainsi Clément Schambel pour Mesureo. Hocer propose, quant à lui, l'installation, la formation et la mise en service de ses stations d'alerte ainsi que différents types de contrats de maintenance. « L'une de nos formules est la télémaintenance qui nous permet de s'assurer "à distance" que l'appareil fonctionne correctement », explique Dorothée Muñoz. Une formule qu'offre également Hach Lange. « Nous intégrons des prestations de maintenance à de la télémétrie, ce qui signifie que nos systèmes s'autosurveillent et envoient un SMS en cas de dérive de la mesure. Il y a alors intervention ciblée. Il s'agit d'une nouvelle façon de considérer la maintenance », précise Jean-Pierre Molinier, responsable produit mesure en continu chez Hach Lange. Et chez Endress+Hauser France, plus de quatre-vingts personnes sont exclusivement dédiées aux services, comme la mise en route, l'installation, l'assistance téléphonique, la fourniture de pièces de rechange, la maintenance et la métrologie.
Aujourd'hui, moins de la moitié des captages d'eau potable bénéficient d'un périmètre de protection. Le Plan national santé environnement (PNSE) prévoit que l'ensemble de ces captages soit protégé en 2010. Un objectif qui peut être réalisé grâce à la mise en place de stations d'alerte. Le marché repose ainsi actuellement sur la mise en place des périmètres de protection des captages pour la production d'eau potable.
Un marché en pleine croissance
Le marché des stations de mesure n'est pas nouveau. Dans les années 1990, de nombreuses stations ont été réalisées. « Trop complexes et coûteuses, ces usines à gaz ont été abandonnées par la plupart des collectivités, explique Cédric Fagot. Aujourd'hui, ces outils sont plus simples de fonctionnement, l'investissement nécessaire est bien inférieur et les coûts de maintenance ont fortement diminué. » Le marché est en pleine croissance, « mais les technologies nouvelles ont encore besoin de se faire connaître », pointe Dorothée Muñoz. Pour Clément Schambel, « il y a peu de développement du marché de l'autosurveillance, qui se limite principalement au renouvellement de l'existant ». En revanche, concernant les stations d'alerte, beaucoup de signes montrent que le développement du marché est à venir. « Le marché de l'eau potable va progresser. La démarche de certification et de normalisation des équipements menée au CTME/IRA à Arles va apporter une sérénité aux utilisateurs et conduire à une reconnaissance officielle par les pouvoirs publics de ces mesures », prévoit Jean-Luc Cécile, qui considère que « l'avenir est dans le vivant. C'est une approche qui utilise des organismes de l'ensemble de la chaîne trophique pour les alertes concernant un très large spectre de substances ». Selon Cédric Fagot, « il y a toujours eu une demande pour les stations de mesure en ligne, mais aujourd'hui on constate une phase d'accélération. Dans les trois ans qui viennent, on en fera autant que ce que l'on a fait dans les dix dernières années ».