Nommés par décrets en Conseil des ministres, ils sont neuf en métropole et trois en outre-mer. Et réussiraient presque à faire oublier les dégâts environnementaux qu'a engendrés l'artificialisation de pans entiers du littoral en prêchant depuis peu un développement durable de bon ton. De qui parle-t-on ? Des directeurs à la tête des ports autonomes de France : Paris, Bordeaux, Dunkerque, Marseille, Le Havre, La Rochelle, Strasbourg, Rouen, Nantes-Saint-Nazaire, Papeete, la Guadeloupe et la Nouvelle-Calédonie. Depuis que le gouvernement a annoncé vouloir en réformer la gouvernance, les questions fusent : pour accroître leur compétitivité, faut-il donner plus de pouvoir aux opérateurs privés ? Si oui, les collectivités auront-elles toujours leur mot à dire ? L'environnement y gagnera-t-il ? Et pour l'heure, ces ports sont-ils trop ou pas assez autonomes ?
En matière d'environnement, la question est légitime car on sait combien il est inutile de faire cavalier seul. Il y a une dizaine d'années, c'est pourtant dans leur coin que ces ports ont fait oeuvre d'écologie, en l'occurrence côté dragage et hydraulique. L'environnement y était alors affaire de technique. Aujourd'hui, c'est aussi affaire de gouvernance. Ces ports ont beau être des organismes d'État, leur modèle d'organisation s'apparente à une entreprise. Ainsi, les Ports autonomes du Havre ( PAH) et de Dunkerque ( PAD) ont annexé l'environnement au sein d'un service QSE. D'autres comme Strasbourg l'ont laissé à la charge du service technique. À Nantes et à Rouen, il est adossé aux directions développement et aménagement. Dans chaque établissement, de jeunes chargés de mission environnement ont été embauchés pour auditer le patrimoine naturel et fixer des priorités. Décrocher la certification Iso 14001 en fait souvent partie. « Mais développer une politique environnementale nécessite d'abord de bien appréhender la réalité du port et d'être cohérent avec les enjeux nationaux, européens et mondiaux », prévient Mathias Guérin, chargé de mission environnement du Port autonome de Nantes-Saint-Nazaire ( PAN).
Organigramme d'entreprise
Des groupes de travail et des commissions ad hoc se sont constitués pour donner de la voix auprès des directions. Ces groupes travaillent en réseau au niveau national et européen (lire encadré). En interne, chaque projet d'implantation industrielle ou d'extension de site passe désormais sous la loupe environnementale. « Finie l'époque où l'on validait à la hâte les études d'impact avant un aménagement, confie François Chevalier, directeur développement du PAN. On agit comme partenaire de nos clients industriels, et non comme des notaires qui se contenteraient de contractualiser et louer des terre-pleins et/ou des hangars. En tant qu'aménageur et exploitant d'infrastructures, on se doit d'inciter nos occupants à aller de l'avant en étant nous-mêmes exemplaires et en réduisant l'impact de nos activités. » « Avant, on aménageait et on s'interrogeait ensuite sur les impacts. Depuis, le renforcement réglementaire et la prise de conscience généralisée ont fait entrer dans notre culture les principes de précaution et de vigilance », renchérit Pascal Galichon, chef du service dragage du PAH et de la mission QSE.
Tant mieux, mais les meilleures intentions du monde résistent-elles aux pressions auxquelles font face ces interfaces stratégiques entre ville, fleuve ou mer ? « Il y a surtout de la pression urbaine et foncière. Mais à Nantes, on tient bon : pas question de se déresponsabiliser et de lâcher un seul hectare ! » défend Michel Quimbert, président du PAN. Par ailleurs à la tête de l'Union des ports autonomes et des chambres de commerce et d'industrie maritimes (Upaccim), il ajoute que la pression y est toutefois moindre qu'à Paris, où le positionnement du Port autonome ( PAP) fait figure de modèle d'intégrité. En effet, quitte à se mettre du monde à dos, le premier port intérieur français a tenu tête à ses détracteurs et dit dynamiser autant son trafic que ses équipements dans un respect affiché de l'environnement. Sur le port d'Austerlitz, dont il a cédé quelques parcelles à la Ville de Paris, l'établissement s'est engagé à optimiser les espaces verts et le réseau d'assainissement des eaux pluviales et usées. De même, s'il approuva en 2006 la préemption par le conseil général des Hauts-de-Seine d'une partie de ses emprises à Courbevoie, ce fut avec la promesse que la collectivité y revalorise les berges.
Concertation indispensable
Combien pèse l'environnement en euros dans le budget d'un port ? Au PAP, 15 % du budget 2007, soit 5,7 millions d'euros. Au PAD, le plan environnemental de 2004 était doté d'une enveloppe d'un million, dont un tiers à investir dans la seule gestion des déchets. Au Havre, on avance la coquette somme de 45 millions dégagée pour compenser et accompagner sur un plan environnemental le gigantesque chantier d'extension du port à conteneurs Port 2000. « Au-delà des mesures phares ayant consisté à créer un chenal pour réhabiliter les vasières et, pour les oiseaux marins, un reposoir sur dune de 45 hectares et un îlot qui a coûté 7,5 millions, c'est dans le domaine de la concertation que Port 2000 a le plus fait », soutient dans la revue Travaux François Lerat, ingénieur général des eaux et forêts. Il ajoute que la gestion de ce vaste estuaire partagé entre deux ports autonomes (Le Havre et Rouen), deux régions et trois départements « relevait de la quadrature du cercle mais, qu'heureusement, le débat public entamé en 1998 a démontré l'intérêt de se concerter entre ingénieurs portuaires et naturalistes et de créer des instances de dialogue avec les représentants de l'État et les collectivités ». Et ces instances ont perduré une fois le chantier bouclé !
Ouvrir et pérenniser le dialogue est, depuis, une volonté commune à plusieurs ports. C'est le cas de Rouen où, en amont de l'enquête publique et du lancement des travaux en 2010, le projet d'amélioration des accès maritimes nécessitant d'approfondir le chenal pour accueillir à terme de plus gros navires vient de faire l'objet d'une procédure de concertation s'inspirant des règles du débat public. Portée par un comité de suivi formé d'associations et de scientifiques, la concertation a débouché sur la décision de réhabiliter des berges de la Seine avec le conseil général de Seine-Maritime et de faire classer par l'État l'une des boucles du fleuve. Dès lors, à l'exception des collectivités avec qui les rapports restent souvent tendus, le son de cloche est plutôt positif du côté des parties prenantes. Témoins, le Conservatoire du littoral qui s'est vu confier par le Port autonome de Bordeaux ( PAB) la gestion de 40 km de rives et d'un site naturel de 1 297 ha sur le plus vaste estuaire européen. Ou ces agriculteurs que le Port autonome de Marseille ( PAM) laisse exploiter des milliers d'hectares de terrains lui appartenant dans les marais du Tonkin et la steppe du Ventillon. Ou encore la Maison de l'estuaire qui, au Havre, a porté la concertation dans le cadre de Port 2000 et s'est vu confier en retour la gestion de la réserve naturelle de l'estuaire de la Seine et de son réseau Natura 2000 s'épanouissant à deux pas des terminaux à conteneurs. « Le dialogue avec le port a été fructueux pour l'avenir écologique de ces espaces naturels. Mais en sera-t-il de même quand tout l'argent de Port 2000 aura été dépensé ? » tempère aussitôt Jérôme Dumont, directeur de la Maison de l'estuaire. D'ici là, malgré l'avis défavorable des chasseurs, le PAH aura ouvert ses observatoires à avifaune au public. Passée la phase de compensation, place à la pédagogie, donc, et à la diffusion des savoirs.
Après avoir ouvert grand ses portes aux voisins, reste à s'occuper des locataires. Un défi complexe pour un port, car ses usagers sont multiples de par leur profil (industriels, logisticiens), leur activité (pétrochimie, BTP) et la réglementation à laquelle leurs sites sont soumis (ICPE, Seveso). Du simple hangar d'importateur aux raffineries géantes de Total, de la PME à la multinationale, ils relèvent au moins du régime d'autorisation préfectorale, avec contrôle des Drire. Mais, selon Éric Brassart, ex-directeur du PAM, « il faut aussi développer avec eux des mesures de prévention des risques et recourir aux meilleures technologies envisageables dans chaque secteur d'activité ». Côté gestion de l'eau, ces ports ont tellement étiré dans tous les sens les réseaux publics qu'il devient urgent d'en cartographier l'ensemble. Pour en préciser l'état patrimonial, le PAN a signé une convention avec la Communauté d'agglomération de la région nazairienne et de l'estuaire ( Carene). Le PAB se concerte sur le sujet avec les collectivités et industriels pour optimiser l'approvisionnement en eau de la zone de Bassens.
Des sites de prédilection pour l'écologie industrielle
« Au Havre, des entreprises du port mutualisent déjà la gestion de l'eau dans leurs procédés de refroidissement, mais il reste à systématiser ce genre de pratique », poursuit Pascal Galichon. Côté eaux usées et pluviales, la question est d'autant plus à l'ordre du jour que les ports n'en sont plus à leur premier diagnostic. Le PAP mise par exemple sur des conventions de maîtrise des rejets passées avec les industriels dont les installations déversent des effluents dans les réseaux du port. À Nantes, on envisage de traiter les boues en commun avec la future station de l'agglomération qui s'implantera tout près. À deux pas de là, sur le terminal agroalimentaire, c'est quai par quai qu'on agit pour traiter les eaux de lavage. Selon leur nature, elles transitent soit par un débourbeur-déshuileur avant rejet dans la Loire, soit par un dispositif de décantation produisant des boues traitées dans une unité spécialisée.
Dans la plupart des ports, l'assainissement des eaux issues des bassins de réparation et des aires de carénage peut être amplement amélioré (lire à ce sujet notre dossier tourisme de janvier dernier). Quant aux eaux de déballastage, elles font l'objet de toutes les attentions, car plus vite elles sont collectées en fond de cale, plus les armateurs sont satisfaits et plus le port gagne en considération. Pour les eaux pluviales, les premiers projets de récupération émergent à peine. Souvent présentée comme un moyen de prévenir les risques d'inondation, la récupération de ces eaux est avancée comme une priorité par le Port autonome de Strasbourg dans le cadre de l'aménagement d'une ZAC à Lauterbourg. De son côté, celui de Paris a soutenu le projet de traitement séparé des eaux de pluie porté par le producteur de béton Holcim. Celui du Havre fait de même avec un projet développé par deux centres privés de chargement de vrac et de réparation navale. S'il revient aux occupants privés d'impulser des actions, le port peut donc les accompagner, avec plus ou moins de poigne.
Côté déchets, cette détermination se concrétise de trois façons. Soit la direction du port prend les devants et formalise un plan de gestion des déchets (La Rochelle), soit elle suit les décisions prises par des groupements d'entreprises y promouvant l'écologie industrielle. C'est le cas à Dunkerque, avec le groupement Ecopal qui favorise la collecte mutualisée de déchets et la recherche de synergies de flux. Soit elle peut également impulser elle-même un comité de pilotage visant à généraliser les meilleures solutions éprouvées ( PAH). Les déchets d'activité des ports, par exemple ces déchets de balayage des quais nantais compostés et revendus à un pépiniériste, trouvent bien preneur localement. Alors pourquoi pas ceux des industriels ? D'autant qu'entre eux, des complémentarités existent. Au Havre par exemple, les cendres volantes de la centrale thermique EDF du port sont réutilisées par la cimenterie voisine de Lafarge.
À Dunkerque, le port a inventorié d'autres échanges de flux possibles et constaté que les déchets de ferrailles, d'équipements électriques et électroniques ou de briques de fours trouvent déjà preneur en son périmètre. En renforçant ces réseaux et à condition que les ports jouent le jeu en étant eux-mêmes exemplaires dans la gestion de leurs propres déchets, de nouvelles synergies pourront voir le jour. Notamment dans d'autres secteurs comme l'énergie, parent pauvre du secteur portuaire. À Nantes et Paris, on commence à tirer parti de l'éclairage économe et de l'énergie solaire. À Marseille, on mise sur l'éolien. Autre projet ambitieux : ne plus laisser les navires restant des jours à quai tirer à foison sur les groupes électrogènes et les raccorder par un dispositif moins gourmand. Ces navires transitant d'un port à l'autre, cela nécessite une standardisation des équipements. Cet exemple montre bien qu'il est temps de passer des efforts au cas par cas à un véritable front commun en matière d'action environnementale. Outre-mer, les ports autonomes ont pris du retard par manque de moyens. Ailleurs, on prend de l'avance et on se lance même dans le suivi d'indicateurs environnementaux. Prochaine étape, le rapport développement durable... Pourquoi pas d'ici à 2010 ?