Voulant sauver le Marais poitevin, comme récemment la Camargue, le ministre du MEEDDAT, Jean-Louis Borloo, vient de rejeter la nouvelle charte de parc naturel régional (PNR) de la deuxième plus grande zone humide de France. Cette décision intervient alors que la cour de justice de la Communauté européenne (CJCE) menace la France d'un contentieux pour mauvaise gestion du Marais. Un mois après le rappel à l'ordre aux trois départements concernés par le Marais (Charente-Maritime, Deux-Sèvres et Vendée) pour non-respect de la directive sur les eaux de consommation humaine par rapport aux concentrations en nitrates.
Le projet de charte arrivait pourtant en fin d'instruction après études, concertation et enquête publique, validation du préfet de Région et approbation de la majorité des collectivités locales concernées. À l'exception notable du conseil général de Vendée, dont le territoire occupe 50 % du Marais. « Jean-Louis Borloo ne sait-il pas que ses services se sont fortement impliqués tout au long du processus, veillant à que la charte rédigée soit conforme au cahier des charges des PNR ? », regrette Yves Le Quellec, vice-président de la Coordination pour
la défense du Marais poitevin.
De son côté, l'agriculture céréalière intensive a investi les terres du marais. Dans les années 1980-1990, des dizaines de milliers d'hectares de prairies naturelles y ont été retournés et asséchés au profit de vastes cultures. Le drainage enterré a été systématisé dans le marais desséché pour augmenter les surfaces cultivables. En périphérie, l'extension des périmètres irrigués a entraîné le pompage excessif des nappes du bassin versant de la Sèvre Niortaise chargées d'alimenter les marais mouillés (zone d'expansion des crues). « En période estivale, ces prélèvements représentent presque partout 80 à 90 % des prélèvements nets », souligne l'ingénieur géologue François-Marie Pellerin. En période estivale, le marais mouillé se vide dans les nappes périphériques et s'assèche précocement, tandis que le cours des rivières s'inverse.
sémantique
Aujourd'hui, le Syndicat mixte du parc interrégional du Marais poitevin (SMPIMP) peine à y mettre en oeuvre le programme Natura 2000 qui préconise l'élevage extensif, incompatible avec la culture intensive. Ce manquement menace là aussi la France d'un contentieux européen. « Dans les années 1993-1994, avec le président du parc, Dominique de La Martinière, nous avons tout fait pour convaincre qu'y compris financièrement, il était aberrant de continuer de mettre en culture ce marais », se souvient Geneviève Rousseau, directrice adjointe de l'Agence des aires marines protégées, alors directrice du parc régional du Marais poitevin. En 1995, le Marais a perdu son label de PNR et les collectivités l'ont appelé « parc interrégional du Marais poitevin ». « Ce changement sémantique ne changeait pas le fond du dossier et il était devenu illusoire de penser pouvoir réorienter les politiques locales, toujours très ambiguës », conclut-elle.
vive tension
Ce réservoir majeur de biodiversité aiguise les intérêts de la profession agricole intensive soutenue par la FNSEA. Opposition des trois chambres d'agriculture départementales au projet de charte, blocage du projet de Sage Vendée suite à des manifestations d'agriculteurs vendéens, opposition à la révision du Sdage Loire-Bretagne, défenseurs des intérêts de la profession agricole au sein des collèges d'élus... La tension est vive. Moins quand il s'agit de bâtir (sur fonds publics) des bassines destinées à l'irrigation alors que les zones humides devraient être submergées, les rivières à gros débit et le système littoral alimenté en eau douce.
Les locaux se mobilisent pour demander le retour du label, avec une pétition de 7 500 signatures. Mais que se passera-t-il si cette volonté n'aboutit pas ? La Charente-Maritime se concentrera sur les marais de la Gironde et du Rochefortais. Les Deux-Sèvres se replieront sur la Venise verte. La Vendée délimitera son propre Marais poitevin-vendéen, où agissent déjà deux syndicats mixtes d'hydraulique agricole, avec quelques endroits servant de vitrine environnementale.