La croissance conjuguée de la population mondiale et de la concentration urbaine fait-elle peser des risques sur la gestion de l'eau dans les villes ?
D'ici à 2050, le nombre d'êtres humains vivant dans les villes aura en effet plus que doublé. Près de 75 % de la population mondiale sera concentrée dans des zones urbaines, accentuant fortement les pressions locales sur des ressources en eau déjà sous tension. Cette évolution impose de relever, dès aujourd'hui, le défi d'une gestion durable en commençant par protéger et gérer au mieux les ressources existantes.
L'assainissement des eaux usées demeure la priorité des priorités pour des mégapoles qui, dépassées par leur démographie, engendrent des niveaux de pollution insoutenables. Dans les pays en développement, 90 % des eaux usées sont ainsi rejetées sans traitement. Et parmi les villes qui collectent les eaux usées, nombreuses sont celles qui ont encore des efforts à faire en matière de dépollution.
Rendre l'eau durable, c'est aussi développer les ressources alternatives pour soulager la ressource naturelle dans ce contexte d'urbanisation. L'eau est une ressource trop précieuse pour n'être utilisée qu'une seule fois. Parmi les solutions, le recyclage des eaux usées est une solution éprouvée pour produire de l'eau à des fins notamment industrielles et agricoles.
Là où il ne pleut pas, là où il n'y a pas de ressource en eau douce disponible à proximité, l'eau de mer constitue l'autre grande solution alternative. C'est la ressource d'eau la plus abondante de la planète. De fait, si aujourd'hui seulement 1 % de l'eau potable est produite par dessalement, le pourcentage de la population mondiale vivant à moins de 70 kilomètres des côtes ne cesse de s'accroître, préfigurant le fort potentiel de développement de cette technologie. Nos efforts de R et D tendent à rendre cette technologie moins consommatrice d'énergie, à la coupler avec des énergies renouvelables et à traiter les rejets de saumures pour préserver le milieu marin.
La présence de l'eau dans la ville était autrefois vue négativement, et non comme un aspect
à valoriser. Pensez-vous que cela va changer à l'horizon 2028 ?
Il est acquis aujourd'hui que les avancées en matière d'hygiène ont conduit à une canalisation des eaux pour des raisons de santé publique. Dans les villes, beaucoup de petits canaux, de ruisseaux existant jadis, ont été piégés, ont disparu. Nous avons perdu la sensation physique de vivre avec cette eau et sommes surpris quand elle apparaît.
L'eau a perdu sa place dans les villes, non seulement comme moyen de circulation et d'agrément, mais également comme vecteur de régulation des pluies. L'imperméabilisation progressive des villes - trottoirs et rues bétonnés, suppression de la terre apparente - est la grande responsable des inondations.
Dans un contexte déjà bien réel d'urbanisation croissante, allié aux effets attendus sur un pas de temps plus long de la variabilité du climat, la réintroduction de l'eau comme élément de restructuration des villes a un rôle important à jouer. C'est l'opportunité d'une réflexion globale sur une nouvelle urbanisation, incluant une meilleure organisation de l'eau, par la cohabitation des usages utiles et des usages d'agrément. Par exemple, en favorisant le retour en grâce des surfaces perméables, en réinventant des lieux polyvalents de stockage... sans oublier les bassins, canaux et fontaines qui ont un rôle tant d'humidification de l'air que d'agrément.
Tout en restant vigilant sur la maîtrise des risques sanitaires, on peut limiter les impacts environnementaux en milieu urbain, en favorisant des solutions locales. À ce titre, les exemples de réhabilitation de quartiers anciens ou de développement de zones nouvelles, tels les « écoquartiers », montrent la voie : récupération des eaux de pluie des toitures et des façades et, après traitement spécifique des eaux de ruissellement, infiltration naturelle dans des espaces verts aménagés ou encore rafraîchissement urbain et climatisation de bâtiments, par les techniques de murs d'eau ou d'aérosols... L'expérience montre toutefois que l'architecture des réseaux d'eau dans ces quartiers doit être imaginée dès la conception des plans-masses par l'urbaniste, le paysagiste et le gestionnaire des services d'eau. Si l'on veut des solutions durables, la gestion des services d'eau et des flux qui en découlent doit se faire dans une cohérence d'ensemble avec le service public de l'eau de la ville