Quel constat peut-on faire sur la place de l'eau dans la ville ?
« La gestion de l'eau dans la ville, notamment en région parisienne, a connu un tournant à la fin du xixe siècle. De grandes épidémies ont mis en évidence les risques sanitaires et la stratégie qui s'en est suivi a été de sortir l'eau de la ville en construisant de grands réseaux d'assainissement. En parallèle, le développement de l'urbanisme a souvent conduit à dévier et à enfouir, dans des canalisations, les petits cours d'eau existants. Cette gestion de l'eau a amené à créer, en des endroits ponctuels, à l'aval des villes, des points de pollution importants puisque toute la matière organique était transférée dans ces zones.
D'une problématique sanitaire au xixe siècle, on est donc passé à une problématique environnementale au milieu du xxe siècle, avec l'objectif d'améliorer la qualité des cours d'eau par la mise en place des stations d'épuration pour traiter les effluents. Aujourd'hui, on commence à sentir que l'on se situe, avec cette logique, dans une spirale sans fin. Les traitements au niveau des stations d'épuration sont de plus en plus coûteux. Les réseaux se révèlent insuffisants car la ville grandit. L'imperméabilisation des surfaces urbanisées fait, qu'en cas d'orage, il y a plus d'eau qu'avant dans les réseaux. Cela se traduit par une gestion coûteuse des réseaux, dont la taille augmente sans cesse.
Quels changements peut-on attendre ?
Deux principes émergent de façon forte dans les nouvelles conceptions de l'aménagement : gérer l'eau au plus près de la source et redonner à l'eau une vraie place dans la ville. On peut citer les exemples des aménagements de berges le long du Rhône à Lyon, de la réflexion sur la réouverture de la Bièvre en région parisienne, de la prise en compte croissante de l'eau dans l'urbanisme.
Nous allons nous engager de plus en plus dans cette voie, de façon diffuse sur le territoire urbain. Sur les nouveaux espaces, comme les ZAC, on verra se développer une gestion de l'eau intégrée, avec la reconstitution de l'accès à la rivière pour les aménagements en bord de cours d'eau, une gestion à ciel ouvert des eaux pluviales (noues, mares...) et la réutilisation des eaux dans les bâtiments. Mais cela se développera aussi dans la rénovation de bâtiments ou d'espaces existants. Avec une moyenne de 1 % du patrimoine bâti réhabilité chaque année, on peut imaginer que, dans cent ans, l'eau sera très présente, à des degrés divers et en patchwork.
D'autres difficultés apparaîtront, telle la thématique sanitaire. Les eaux pluviales ne sont pas exemptes de polluants et, dans les cours d'eau enterrés, des eaux usées ont souvent été mélangées à des eaux claires, ce qui implique un travail compliqué de séparation des flux. En outre, à long terme, le réchauffement climatique pourrait entraîner la montée dans nos régions d'espèces tropicales et il est possible de voir surgir des problèmes liées aux moustiques ou à un certain nombre de parasites.
Quelles seront les conséquences ?
Aujourd'hui, il y a une grande déconnexion entre l'habitant de la ville et l'eau. Tous les petits cours d'eau sont enfouis. Les rivières traversant les villes sont souvent confinées de façon extrêmement étroite par l'aménagement de quais. Finalement, que ce soit en matière d'eau potable et d'assainissement (petit cycle de l'eau) ou de rivières (grand cycle de l'eau), tout a été fait pour que les citadins n'aient pas à se soucier de ces questions. Il n'y a plus de conscience ni de connaissance de l'eau de la part des populations. Les gens n'y pensent généralement pas et, quand ils le font, l'eau est vécue avec appréhension ou comme une gêne (débordements, odeurs...). Réinscrire l'eau dans la ville va changer cette philosophie et permettra aux citadins de réapprendre à vivre avec les phénomènes naturels. »