Prédire ce que seront les enjeux de la politique de l'eau en France dans une vingtaine d'années incite à faire le bilan des politiques passées en examinant les résultats obtenus. En extrapolant ce bilan, on pourra alors se lancer dans l'exercice périlleux d'une prédiction pour 2030.
Dans les « états des lieux », réalisés en 2004 par les agences de l'eau pour satisfaire aux exigences de la DCE, les grandes causes de la dégradation des eaux sont identifiées et classifiées : pollution diffuse agricole, modification morphologique des cours d'eau, et pollutions ponctuelles par les eaux usées et les eaux pluviales.
La réduction des pollutions ponctuelles est une réalité. Du fait de la généralisation de traitements efficaces, les pollutions ponctuelles, des eaux usées urbaines et industrielles, souvent spectaculaires, ont aujourd'hui fortement régressé, elles ne sont plus la première cause de dégradation de la qualité de l'eau.
Plus difficile sera la reconquête de la morphologie des cours d'eau. La reconquête de la morphologie des cours d'eau (1) est une action difficile à faire aboutir du fait de la résistance des riverains et de l'absence de maîtres d'oeuvre clairement identifiés. Toutefois, le défi de la reconquête de la morphologie des cours d'eaux n'est pas insurmontable car les premières réalisations ont des effets biologiques spectaculaires. (2)
La réduction des pollutions diffuses est-elle une mission impossible ? La surface agricole utile du pays représente environ 60 % du territoire national sur lequel les pratiques agricoles intensives se généralisent, même dans les zones montagneuses où elles affectent la qualité d'eaux qui sont pourtant réputées pures. Alors que
les pollutions urbaines et industrielles se réduisent, sur une telle surface,
l'impact des pratiques agricoles sur l'eau devient prépondérant : nitrates, phosphates, phytosanitaires, lisiers deviennent les polluants les plus abondants, ce que confirme l'augmentation de
la surface des zones vulnérables. (3)
En définitive, les enjeux politiques sur l'eau en France à l'horizon 2030 se réduisent à un enjeu de modèle agricole, donc de politique européenne. Si l'on entend poursuivre et amplifier les choix actuels, et très fortes sont les pressions allant en ce sens, une nouvelle régression de la qualité de l'eau et de la biodiversité aquatique s'installera et ce, en contradiction avec les objectifs de la DCE. Mais ce scénario catastrophe, extrapolé des décennies passées, ne tient pas compte de l'augmentation des prix de l'énergie : bientôt la fin des myriades de camions de céréales de la Beauce vers la Bretagne et de lisier breton vers l'ailleurs ! Cette organisation de l'agriculture, comme du reste de l'activité économique, peut-elle être conservée dans sa forme actuelle dans le contexte de la pénurie énergétique qui s'annonce ? Ne faut-il pas dès maintenant travailler à faire évoluer l'agriculture vers une agriculture à bas intrants (peu d'engrais et de phyto), compatible avec la préservation des ressources en eau et avec la biodiversité dans les eaux superficielles et ailleurs ?