L'avenir paraît à peu près tracé en ce qui concerne l'évolution du droit à l'eau et sa mise en application. Il est admis que proclamer un droit à l'eau n'a de sens que si l'on identifie des débiteurs, qu'il s'agisse de consommateurs ou de contribuables, nationaux ou internationaux. Il a fallu dissiper l'illusion que l'eau tombe du ciel gratuitement : quelqu'un doit payer pour que l'eau soit pompée, potabilisée, distribuée, puis dans une deuxième phase, assainie. Les craintes sur les risques d'une marchandisation de l'eau me semblent un peu vaines : nul ne discute que les aliments soient des marchandises et, pourtant, l'alimentation est aussi indispensable à la vie que l'eau. Je ne comprends pas pourquoi la marchandisation serait légitime pour le solide mais pas pour le liquide.
Il ne s'agit pas pour autant de tout livrer aux lois du marché : au contraire, eau et assainissement doivent être régulés et contrôlés par les autorités publiques. Mais s'accrocher à l'idée que l'on peut offrir gratuitement à tous un accès à l'eau, en s'appuyant sur une conception de l'eau comme un bien commun sans aucun caractère économique, est une dangereuse illusion. On peut à ce titre rappeler que, au-delà d'une exigence morale et sanitaire, les progrès dans l'accès à l'eau et l'assainissement sont économiquement pertinents : ils ouvrent la possibilité de développer des activités, ils améliorent la capacité de travail de la population, etc. Ils ont donc aussi une « vertu » économique.
Heureusement, ces débats me semblent dépassés et les vingt ans à venir seront sans aucun doute consacrés à la solvabilisation du droit à l'eau. Il y aura probablement trois catégories de pays : ceux qui parviendront par eux-mêmes à cette solvabilisation, ceux qui ne pourront compter que sur l'aide internationale et une catégorie intermédiaire qui évoluera entre ces deux situations. Rappelons que l'enjeu majeur n'est pas d'apporter l'eau et l'assainissement à chacun, à domicile, immédiatement : il est dans une amélioration de la situation, aussi rapide et tangible que possible. À ce titre, on commence à découvrir que faire progresser l'assainissement est sans doute encore plus primordial que de fournir l'accès à l'eau. En effet, des progrès, même modestes, dans le domaine de l'assainissement ont des effets extrêmement forts dans des secteurs qui ne sont pas pourvus en eau : dans des bidonvilles à Bombay, on a pu constater une nette réduction des problèmes sanitaires avec une amélioration de l'assainissement qui reste quand même assez rustique (passer des latrines à des sanitaires collectifs). Il faut donc poursuivre avec réalisme et opiniâtreté l'effort engagé et, même si les objectifs du Millénaire ne sont pas forcément réalisables pour 2015, l'important est d'aller dans la bonne direction.