Les salariés des métiers de l'eau et de l'assainissement peuvent être exposés à une grande variété de situations dangereuses. En tête de liste : le risque biologique (virus, bactéries, parasites et champignons) et le risque chimique (intoxication au chlore en usine de potabilisation, utilisation de produits chimiques en laboratoire, etc.). Citons l'exemple, datant de quelques années, d'un mélange malencontreux de deux produits chimiques de traitement des odeurs ayant entraîné l'explosion d'un poste de relèvement et la projection de soude dans les yeux d'un agent.
En assainissement, le risque d'intoxication à l'hydrogène sulfuré (H2S) est bien connu. Il est présent dans les réseaux ou en station, sous les bâches où des produits fermentent longtemps. Quelques accidents graves ont marqué les esprits, notamment celui de Poissy, en 2006, où quatre agents aguerris sont décédés, intoxiqués par du H2S lors du curage d'une chambre à sable. Plus récemment, l'accident survenu à Biarritz en décembre dernier (voir Hydroplus n° 185, p. 17), démontre la gravité du risque de noyade en réseau d'assainissement : deux salariés expérimentés d'une entreprise mandatée pour intervenir dans le réseau ont trouvé la mort, emportés par une lame d'eau. On peut aussi évoquer les risques électriques, mécaniques, ceux liés à la manutention, les chutes de hauteur (lors de la descente en réseau ou de l'installation de la télérelève), les risques d'incendie et d'explosion, etc.
Heureusement, les accidents graves sont rares, car la profession a développé des politiques de prévention passant par la sécurisation des machines, la mise en place de procédures, l'équipement en moyens collectifs et individuels de protection, la formation des salariés... « Depuis 2003, les taux de fréquence et de gravité des accidents liés aux risques spécifiques aux métiers sont en baisse, souligne Frédéric Goetz, directeur prévention, santé, sécurité chez Veolia Eau et président de la commission hygiène et sécurité de la FP2E. La typologie des accidents causant des arrêts de travail a évolué vers des problématiques industrielles plus traditionnelles : risque routier, chutes de plain-pied, mal de dos, troubles musculo-squelettiques... » Aujourd'hui, les opérateurs dans les usines ont deux fois moins d'accidents que ceux travaillant à l'extérieur. Les métiers de l'eau se caractérisent en effet par un grand nombre d'activités dispersées dans la nature, avec des agents seuls ou à deux dans un véhicule, et qui sont très autonomes. En revanche, les cas d'agression sur les agents au contact avec les clients sont en augmentation. Ils représentent 10 % des accidents du travail chez Veolia Eau. Les releveurs de compteurs, particulièrement exposés parce qu'ils doivent entrer à l'intérieur des propriétés, sont parfois confrontés à des situations extrêmes : attaque par des chiens lancés délibérément sur eux, menaces par un propriétaire armé d'un fusil ou, récemment, tabassage entraînant un séjour en réanimation et de multiples fractures.
La sécurité au travail est d'abord une obligation légale, largement réglementée. Un document en particulier est le socle de toute la démarche : le document unique, obligatoire depuis 2001, mais mis en place de manière effective aujourd'hui dans seulement 40 % des entreprises françaises, tous secteurs industriels confondus. Il consiste en une évaluation des risques auxquels peuvent être exposés les salariés et en une liste d'actions préventives correspondantes, sur les trois volets OTH (organisation, technique, humain).
L'OBSERVATION ET LE DIALOGUE AU CoeUR DE L'ÉVOLUTION
Le volet technique se traduira, par exemple, par l'automatisation des opérations dangereuses comme le dégrillage, la suppression de la manipulation de produits à risque, etc. Le principe est d'abord de faire disparaître le risque, quand c'est possible, puis de dispenser des moyens de protection dits collectifs (ventilation notamment) et enfin des équipements de protection individuels (gants, détecteur de gaz, masque à embout, etc.). Faire appel à des ergonomes apporte une importante plus-value dans l'amélioration du volet technique, car leur diagnostic repose sur une observation des hommes au travail et sur un dialogue avec eux. Cela permet de faire évoluer la configuration des ateliers, les conditions physiques d'accès aux machines, mais également des aspects plus basiques, comme le rangement des camions : où mettre les vêtements propres, sales, où ranger les outils, où placer les panneaux de signalisation pour qu'ils soient immédiatement accessibles et que la zone de travail puisse rapidement être mise en sécurité, etc.
Sur l'aspect organisationnel, les métiers sont désormais largement encadrés par des procédures de sécurité globalement bien respectées. Par exemple, pour toute descente en réseau, la procédure prévoit généralement la consignation des ouvrages automatisés pour qu'ils ne relarguent pas des flux, l'enregistrement de la visite auprès du poste de commande (PC), la vérification des conditions météorologiques, deux garde-orifices qui restent en surface, le test de présence de gaz avant la descente, un lien permanent avec le PC... En outre, une organisation de sécurité spécifique, qui ne se substitue pas à la voie hiérarchique, s'est développée dans les services d'exploitation. Elle consiste à disposer, sur le terrain, de correspondants sécurité, d'agents de terrain « préventeurs » pour distiller la bonne parole, de lieux de discussion sur la sécurité incluant bien évidemment le Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mais aussi toute une organisation décentralisée qui doit permettre de faire remonter l'information. Ces instances sont aussi le lieu où l'on peut débriefer les accidents et discuter de l'arbre des causes, l'analyse de tous les facteurs ayant causé ou favorisé un incident. « La prévention des risques est un monde où les certitudes sont malheureusement souvent battues en brèche : l'organisation peut être défaillante, la technique peut faiblir, et les hommes font des erreurs. Un accident n'est jamais unifactoriel, d'où l'importance de cette démarche analytique », note Pierre Reygrobellet, directeur de la prévention des risques chez Lyonnaise des eaux.
La certification OHSAS 18001 ou ILO-OSH peut venir fournir un appui à la démarche d'organisation. « Ce qui est important, c'est qu'une démarche d'amélioration continue soit en place, que les unités disposent de systèmes de sécurité efficaces, qui fonctionnent bien, et que se développe une culture préventive de la sécurité et de la santé au travail. La certification est un "plus", mais pas un but en soi », souligne néanmoins Frédéric Goetz.
La dimension sur laquelle il est le plus difficile d'agir est le volet humain. « Il y a quelques années, 60 % des accidents avaient pour cause dominante un facteur métier et 40 % un facteur humain. Aujourd'hui, c'est l'inverse, car les machines sont beaucoup plus sécurisées et la réglementation joue son rôle », détaille Pierre Reygrobellet.
SEPT FACTEURS HUMAINS DE RISQUE IDENTIFIÉS
Le premier niveau d'action relève bien sûr de la formation et des autorisations ou habilitations de travail (habilitation pour intervention sur zone Atex, par exemple). Cependant, les grandes vagues de formations sont aujourd'hui passées, et cela ne se révèle pas suffisant. Les sociologues du travail ont identifié sept facteurs humains de risque : la routine, la précipitation, la polarisation (l'attention fixée sur quelque chose, l'employé ne voit pas le danger), la non-transmission de l'information (un agent ouvre un regard derrière un collègue sans l'informer), la négation du risque (souvent liée à un sentiment d'hyperconfiance en ses capacités physiques), la baisse de vigilance, l'absence de réactivité (l'opérateur ne réagit pas aux signaux faibles d'alerte).
L'analyse des causes d'accident montre souvent que l'un de ces facteurs est en jeu, alors même que l'agent concerné était formé et connaissait parfaitement les consignes de sécurité. « Le volet humain ne se décrète pas. Il nous faut trouver les leviers pour agir sur les comportements individuels et faire en sorte que la sécurité devienne une préoccupation de chacun à tous les instants », souligne Pierre Reygrobellet. Pour cela, il faut déjà rendre les outils réglementaires plus vivants, ne pas les considérer comme des formalités à remplir, mais en faire une base sur laquelle s'articule toute une politique visant à ériger la sécurité en un paramètre majeur du management et en une valeur culturelle de l'entreprise partagée par chacun de ses salariés. « C'est cette appropriation qui est difficile, d'autant qu'aujourd'hui, l'évolution sociétale fait qu'il y a globalement moins de respect de la hiérarchie. Pour continuer à faire baisser nos statistiques d'accidents, il faut agir via le management, qui est au coeur de cette démarche d'appropriation », rappelle Pierre Reygrobellet.
VISITES DE SÉCURITÉ, BD
OU INTÉRESSEMENT
Lyonnaise des eaux utilise en particulier deux outils. Le premier, la visite hiérarchique de sécurité, est une visite que chaque échelon de l'encadrement, du chef d'équipe au directeur général de l'entreprise, s'impose de faire régulièrement sur le terrain. « Le fait que le chef, le directeur régional, voire le directeur général, se déplacent pour venir voir comment les gens travaillent a une fonction d'exemplarité extraordinaire. On peut d'ailleurs constater une corrélation entre le nombre de ces visites, lorsqu'elles sont bien faites, et le nombre d'accidents. Il est très important qu'en amont, le manager travaille la confiance avec son équipe pour que la visite ne soit pas perçue comme un contrôle ou un flicage. Ce n'est pas un outil destiné à sanctionner », relate Pierre Reygrobellet. L'encadrant inscrit, sur une fiche, ses observations sur les attitudes au travail (posture, déplacements, utilisation des outils), l'organisation et la technique, puis évalue les risques selon la méthode conventionnelle (voir encadré p. 20).
L'autre outil utilisé, le quart d'heure de sécurité, est l'occasion d'un échange régulier au sein des équipes. « On rentre vraiment dans le processus d'adhésion », précise Pierre Reygrobellet. À partir de planches de BD montrant des situations au travail, un dialogue s'engage de manière informelle, en petits groupes.
Les agents s'identifient aux situations, ce qui conduit à des engagements, affichés dans le lieu de vie de l'équipe et rediscutés à la session suivante.
De son côté, Eaux du Nord utilise l'intéressement comme levier. Le postulat est que l'amélioration de la sécurité fait faire des économies à l'entreprise dans la mesure où la Sécurité sociale refacture 4,5 fois les frais liés aux arrêts de travail (hospitalisation) et qu'il est assez logique que ces économies soient répercutées aux salariés. Philippe Dupraz, PDG d'Eaux du Nord, explique : « L'intéressement a constitué un élément déclencheur très fort, en contribuant à animer les conversations sur le sujet de la sécurité. Il repose à 60 % sur le résultat d'exploitation et à 40 % sur trois indicateurs métiers : le nombre d'accidents du travail avec arrêt, le rendement de réseau et le délai client. Les indicateurs universels de sécurité (taux de fréquence et taux de gravité) nous semblant difficiles à expliquer, le choix s'est porté sur un indicateur immédiatement porteur de sens pour les salariés. » Ce type d'action, en accompagnement de mesures fortes prises sur la technique, l'organisation et le management, peut vraiment favoriser l'appropriation. Le plan d'actions mis en oeuvre par Eaux du Nord depuis 2004 comprend l'élaboration du document unique, des formations pour l'ensemble du personnel, des correspondants sécurité sur site, l'implication du CHSCT à travers des visites de terrain, la création d'un forum santé annuel, une forte sensibilisation du management (rédaction commune d'un formulaire sécurité lors de l'accueil de nouveaux salariés, ouverture de chaque réunion par un point sécurité, bilan individuel en entretien annuel d'évaluation, etc.) et beaucoup de communication interne. Les services affichent, dans les lieux où les gens embauchent le matin, le décompte du nombre de jours sans accidents. « Il y a quelques années, un objectif d'un an sans accidents aurait paru irréaliste à tout le monde. Aujourd'hui, c'est une réalité dans certains services et c'est atteignable au niveau de l'entreprise entière, estime Philippe Dupraz. En quatre ans, le taux de fréquence d'accidents est tombé de 19,62 à 3,15 ; le taux de gravité s'est aussi réduit. Il y a eu deux accidents avec arrêt l'année dernière, ce qui est peu, mais toujours trop. » Pour pouvoir poursuivre le repérage des situations dangereuses, Eaux du Nord réalise une analyse systématique des « presqu'accidents », détaillés dans une fiche qui remonte jusqu'au comité de direction et donne lieu à des actions correctives (petits investissements, renforcement de la responsabilisation, par exemple sur le rangement dans un atelier). « Nous faisons en sorte que les gens ne vivent pas cela comme un signalement de dysfonctionnement, mais vraiment comme une contribution à la sécurité », précise Philippe Dupraz.
A fortiori, le problème de l'appropriation se pose quand il s'agit de faire intervenir une entreprise sous-traitante. Dans ce cas, la réglementation impose des plans de prévention, à rédiger en commun entre le service et son sous-traitant, et un protocole de sécurité. Là encore, il y a une différence entre une simple application de la réglementation, qui peut finalement se réduire à décliner des documents types, et saisir l'opportunité qui est offerte par ces outils réglementaires pour instaurer un dialogue, mettre au clair les risques que chacun est susceptible d'amener, et en tirer des mesures de prévention adaptées. Si l'une des deux parties ne respecte pas les conditions ainsi définies, inscrites dans le contrat, des pénalités peuvent être appliquées, ce qui renforce la valeur incitative de la démarche. En cas de récidive dans le non-respect des engagements pris, certaines grosses entreprises peuvent aller jusqu'à « black-lister » des sous-traitants.
ANTICIPATION ET MAÎTRISE
DES ACCIDENTS
L'évolution vers des usines de plus en plus couvertes et la mise en oeuvre de nouvelles technologies peuvent impliquer des changements dans les conditions de travail. Les entreprises s'efforcent d'anticiper les risques que cela peut générer : Veolia Eau a par exemple pris en compte l'aspect prévention des risques dès le stade des plans du premier pilote Athos (procédé d'oxydation par voie humide pour le traitement des boues). Certains équipements restent néanmoins dangereux par nature, comme le sécheur thermique. À Saragosse, en Espagne, la déflagration liée à l'explosion d'un sécheur thermique a détruit un bâtiment administratif, entraînant un décès. « Il n'est pas question de mettre en cause l'intérêt technique du procédé, mais du point de la vue de la sécurité, le sécheur thermique présente une dangerosité supérieure à celle d'un équipement biogaz. Ces unités sont extrêmement compliquées à gérer et à maîtriser. On constate en outre que tous les incidents qui ont eu lieu dans le monde avaient à chaque fois des origines différentes », témoigne Fréderic Goetz. Pour tenter de sécuriser l'exploitation de cet équipement, un groupe de travail s'est d'ailleurs formé au sein de l'Astee.
PRÉVENIR LES RISQUES ÉMERGENTS
D'un autre côté, l'évolution des connaissances conduit à identifier de potentiels risques émergents sur des activités traditionnelles. La commission hygiène et sécurité de la FP2E travaille beaucoup sur ces risques émergents, par exemple sur le brai de houille, un produit qui enrobe l'extérieur de certains réseaux. Des études sont en cours pour déterminer si, en fonction des conditions de travail des agents intervenant pour changer ou percer ces réseaux, les poussières de brai de houille peuvent avoir des conséquences sur leur santé à long terme. En attendant d'en savoir plus, des mesures de prévention ont été prises (gants, masque, aération particulière des zones de travail, outils générant moins de poussières) pour les protéger. Des questions se posent aussi sur les risques liés aux bioaérosols (particules d'origine biologique en suspension dans l'air), principalement dans les stations d'épuration. Un programme de recherche piloté par Suez Environnement permet à Lyonnaise des eaux de disposer de données, à la suite desquelles des mesures de prévention ont été prises. Et l'INRS travaille aussi sur le sujet.