1 CHOISIR SA BATTERIE D'INDICATEURS
Pour les collectivités, introduire la performance dans leurs services, c'est le gage d'un pilotage efficace. Première étape, identifier des indicateurs et des objectifs adaptés à ses besoins.
L'enjeu est de cumuler des indicateurs représentatifs du service à l'usager et d'autres qui aident les élus à intégrer un bonus-malus dans leurs contrats. Cependant, il y a une tendance générale à privilégier des indicateurs plus descriptifs d'un état que d'une performance », analyse Claude Martinand, président de l'Institut de gestion déléguée ( IGD). En collaboration avec les parties prenantes (opérateurs, collectivités, usagers...), l'IGD a publié dès 2004 une batterie d'indicateurs relatifs à l'eau et l'assainissement et décliné l'exercice aux déchets, transports publics, récemment aux réseaux de chaleur urbains et, d'ici à la fin de l'année, à la restauration collective. Dans l'eau et l'assainissement, les multiples travaux réalisés, notamment par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies ( FNCCR) et la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau ( FP2E), ont abouti à l'élaboration d'un référentiel réglementaire via le décret du 2 mai 2007. Trente-neuf indicateurs de performance doivent désormais figurer, tout ou partie, dans le rapport annuel des maires sur le prix et la qualité des services. Une responsabilité de plus pour les collectivités et leurs opérateurs. D'après une enquête récente de Calia Conseil, seulement la moitié des communautés urbaines est actuellement en mesure de produire la totalité des indicateurs. « Hormis certains indicateurs financiers comme l'état de la dette, nous fournissons aux autorités organisatrices plus de 80 % des données via le rapport du délégataire. En 2009, nous produirons dix fois plus d'indicateurs qu'en 2008 », estime Tristan Mathieu, directeur délégué de Veolia Eau. Évolution des systèmes d'informations, du reporting et fiabilisation de la collecte des données : chez Veolia, on évoque un lourd chantier de mise en oeuvre. « Avec notre organisation décentralisée, l'homogénéisation des pratiques de collecte est cruciale. Nous devons fournir des données traçables pour les collectivités qui les contrôlent. Ce qui pourrait nous orienter vers leur certification », souligne le responsable.
Une évolution bien accueillie par les services d'eau et d'assainissement, notamment des grandes collectivités. « Avec le décret, notre régie est passée d'une approche technique à une réelle approche de performance. Les données brutes que nous collections sont désormais un matériau d'amélioration, souligne Vincent Bonnafoux, à la communauté urbaine de Strasbourg. Nous avons dû revoir nos calculs de rendement de réseaux ; ce qui a insufflé une nouvelle transversalité à des enjeux connus. Même en termes de management, c'est un puissant levier. » Idem à Grenoble. « Il y a vraiment concordance entre nos démarches de certification qualité et notre pilotage interne qui implique l'analyse d'une batterie d'indicateurs financiers et d'activité et alimente des tableaux de bord. Grâce à ce pilotage, 90 % des indicateurs réglementaires sont déjà en boîte. Mais la mise en oeuvre sera plus difficile pour les petites collectivités qui n'ont ni les mêmes moyens, ni la même maîtrise de leur patrimoine », analyse Jacques Tcheng, directeur de la régie des eaux grenobloise.
Malgré une gestion mixte de l'eau potable, Nantes Métropole assure une prestation de service identique à tous ses abonnés. Pour cela, elle a fixé à ses trois opérateurs - privés et publics - le respect de douze engagements inscrits dans une charte qualité unique. L'agglomération organise des audits de suivi trimestriels pour vérifier la cohérence de leur reporting. « La seule différence, c'est qu'en cas de contre-performance, nous pouvons jouer sur la rémunération de nos prestataires ; ce qui est impossible avec la régie », admet Jean-Sébastien Richard, à la direction de l'eau de l'agglomération.
Nantes, dans ses nouveaux contrats, a fixé un bonus-malus sur l'indice linéaire de perte du réseau. « Lorsqu'on associe des objectifs d'amélioration contractuels aux indicateurs, on exploite toute la potentialité de l'outil », juge le gestionnaire. « Le succès des contrats incitatifs dépend vraiment du dialogue avec la collectivité, nuance Tristan Mathieu. Pour nous engager sur un niveau de rendement, nous devons connaître les niveaux d'investissement prévus par l'autorité. » Bordeaux est même allé dans son contrat sur l'eau jusqu'à créer un fonds de performance sur 61 engagements, alimenté par les bonus-malus de son opérateur. Et pour Loïc Mahevas, directeur de Service public 2000, « on pourrait imaginer de créer des fonds de développement durable destinés, en cours de contrat, au financement des actions DD de la collectivité ».
Ce qui est vrai pour l'eau l'est encore plus dans les transports publics, particulièrement confrontés à la qualité de service. « À la négociation des contrats, nous discutons avec chaque collectivité son standard de qualité. Chaque réseau est particulier, nous privilégions donc le sur-mesure », observe Étienne Fougeray, directeur général adjoint de Keolis. Dans le secteur, bonus-malus et intéressement au contrat sont monnaie courante. « Et une partie d'un bonus redistribué en primes d'intéressement à nos salariés, c'est une motivation certaine », ajoute l'opérateur. Dans le contrat renégocié en 2005 par Rennes Métropole avec Keolis, le malus atteint le double du bonus. « Entre deux négociations, nous réévaluons la pertinence des objectifs de performance et, si besoin, nous réinjectons dans le bonus de nouveaux critères », explique Noël Philippe, chargé des transports à l'agglomération. Les onze indicateurs contractuels du service transport sont mesurés en contradictoire par la collectivité.
Mais le coût de la démarche est également à mettre en perspective avec ses bénéfices pour la collectivité. Pour Pierre Dorémieux, responsable des collectivités locales chez Sita, « dans les déchets, le tarif de collecte par habitant est trop faible pour alimenter des tableaux de bord détaillés. Les collectivités sont-elles prêtes à payer plus pour cela ? Ont-elles vraiment besoin d'une analyse aussi fine de leurs performances ? La majorité utilise surtout des indicateurs de base (taux de valorisation, taux de refus de tri...) ». « D'ailleurs, mieux vaut privilégier la pertinence que le nombre. L'objectif étant d'atteindre le niveau de performance fixé avec les moyens qu'on peut y associer », analyse Bertrand De Quatrebarbes, directeur de France qualité publique, une association de promotion de la qualité des services publics. Bref, privilégier des outils qui aient du sens et qui en créent.
2 MESURER POUR MIEUX COMPARER
La comparabilité est l'un des enjeux des indicateurs. Suivi interne du service ou comparaison entre collectivités, la pertinence de l'analyse dépend des référentiels de performance élaborés.
Pour l'Institut de la gestion déléguée ( IGD), la vocation principale des indicateurs de performance, c'est le benchmarking (ou analyse comparative) favorisant le choix du mode de gestion des services. « Les collectivités doivent pouvoir en tirer un moyen de comparaison ; nous sommes donc favorables à la création d'un Observatoire national des services publics, mais il faut que les élus nous suivent dans cette recherche de transparence », souligne Claude Martinand.
Exercice louable, mais difficile à mettre en pratique, la comparaison - intra et surtout interservices - par le biais d'indicateurs doit être assise sur de solides référentiels de performance et mise en perspective sur la base d'objectifs adaptés aux différentes typologies des services. Une approche qui reste globalement à construire. « Comparer des indicateurs en valeur absolue n'a pas de sens. Être moins bon que son voisin sur un paramètre n'implique pas qu'on soit nécessairement mauvais. Un service d'eau qui produit son eau à peu de frais à partir d'une eau de source aura-t-il besoin d'être ultra performant sur le rendement de son réseau ? Là où objectivement il n'y a pas de priorités et de contre-performances, une comparaison interservices sur cet indicateur tournerait pourtant à son désavantage, observe Loïc Mahevas, directeur de Service public 2000, une association spécialisée dans le conseil aux collectivités locales. Chaque donnée doit donc être analysée dans le temps, au regard des caractéristiques (géographiques, techniques, financières...) d'un service. Il faudrait associer aux indicateurs des éléments d'appréciation qui permettent de les utiliser comme de véritables outils d'évaluation et de projection. »
Les missions introduites par la loi sur l'eau de 2006 à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques ( Onema) conduisent actuellement à la mise en place du premier Observatoire national des services d'eau et d'assainissement. Un gros chantier qui inclut la collecte des indicateurs de performance publiés par les collectivités dans leurs rapports annuels (premier exercice en juin dernier), une macrosynthèse et la mise à disposition des informations pour les services et leurs usagers sur un site ouvert en juin, www.services.eaufrance.fr.
« Les collectivités vont pouvoir enregistrer leurs données en ligne sous contrôle des ex-Ddaf, qui vérifieront leur fiabilité et pourront assister les plus petites pour la saisie. Sur près de 30 000 services, nous ne nous attendons pas à une fiabilité totale dès cette année, mais une montée progressive sur trois ou quatre ans », souligne Sylvain Rotillon, chargé du projet à l'Onema. « L'objectif, c'est vraiment de mettre à disposition des acteurs locaux une base de données publiques homogène qu'ils pourront décliner en analyses fines via la création d'observatoires départementaux comparables les uns aux autres. Pour ce qui est de l'évaluation nationale des services, nous travaillons encore avec le Cemagref sur la définition de typologies de services qui permettent une comparaison anonyme sur des cadres prédéfinis (taille du service, qualité de l'eau brute, volumes distribués...) », précise le responsable. Premiers éléments de synthèse disponibles d'ici à la fin de l'année. « Sur l'eau potable, nous espérons bien atteindre 70 à 80 % de la population couverte dès cette année. Mais plus globalement, d'ici à 2010, nous commencerons à avoir une vision plus large et représentative des services d'eau et d'assainissement. L'idée, c'est de fournir aux élus des éléments chiffrés et fiables, de dépasser la comparaison des services uniquement par le prix de l'eau et de favoriser une saine émulation entre eux », conclut Sylvain Rotillon. Dans le même esprit, la FNCCR lance un programme d'analyse comparative des services d'eau complémentaire et plus poussé que celui de l'Onema - également partenaire du projet avec la direction de l'Eau et de la Biodiversité du Meeddat. Il repose sur un niveau de base incluant 48 indicateurs et 100 données descriptives du service, sur un niveau avancé muni de 78 indicateurs et 130 données supplémentaires. « Les collectivités volontaires (17 en régie, 17 en délégation et 3 mixtes), de taille assez importante (urbaines et rurales) sont déjà engagées dans une démarche qualité et peuvent donc a priori dépasser les objectifs de performance réglementaires, souligne Régis Taisne, à la FNCCR. Ce programme se focalise sur la valorisation et l'interprétation des indicateurs pour la comparaison et suggérera des pistes d'évolution possibles que pourrait d'ailleurs relayer l'Onema. »
3 INFORMER CLAIREMENT LES USAGERS
La généralisation des indicateurs va-t-elle améliorer la compréhension de l'information par l'usager ou, à l'inverse, la rendre trop technique et opaque ? En matière de dialogue, la marge de progrès reste considérable.
C'est principalement par le biais des rapports sur le prix et la qualité des services publics (RPQS) des maires que les indicateurs de performance sont portés à la connaissance du public. Dès lors, ils ont tout intérêt à y être vulgarisés. « Pour l'heure, la simplicité n'est pas le point fort de ces rapports qui semblent destinés à des techniciens », pointe Thierry Aubry. Ce consultant à la tête de l'entreprise Adekwa suggère d'accroître leur accessibilité et leur diffusion. Dès 2003, il a conçu un rapport annuel-type réactualisé chaque année, intégré par l'Ademe Aquitaine dans un kit en ligne afin d'aider les élus locaux à rédiger leur rapport sur le service d'élimination des déchets. En complément, il a créé un extrait-type de rapport résumant en quatre pages les chiffres clés d'une année de fonctionnement. Souvent noyés dans la masse du RPQS, les repères que fournissent les indicateurs sont ainsi mis en avant. Sous cette forme simplifiée, le document devient lisible et diffusable à tous (affichage en mairie, mise en ligne sur le site de la ville, parution dans le journal communal...). Autre initiative intéressante : la promotion d'un tronc commun de rapport annuel par l'Observatoire régional des déchets d'Ile-de-France ( Ordif). Son objectif, former les élus franciliens à sa rédaction et à l'appropriation des indicateurs délivrés. « Ces formations marchent bien, mais les maires rechignent encore à harmoniser leurs rapports. Chacun voit midi à sa porte et veut conserver sa propre présentation des indicateurs », constate Valentin Sauques, chef de projets à l'Ordif. Et Bertrand Bohain, délégué du Cercle national du recyclage, de renchérir en notant que « les modes de calcul diffèrent tellement d'une ville à l'autre que leur pertinence en pâtit, car personne ne parle la même langue ».
Même si elles peinent à émerger, les commissions consultatives des services publics locaux (CCSPL) qui concernent les communes de plus de 10 000 habitants constituent la voie légale pour évaluer l'intérêt des indicateurs. Consultée sur les rapports annuels du maire et du délégataire, cette instance composée d'élus et de représentants d'associations passe chaque année en revue leurs indicateurs techniques et financiers. Constat : plus ils y sont présentés clairement, plus les avis formulés par la CCSPL et les informations transmises au public gagnent en pertinence. D'une enquête réalisée en 2006 auprès de 68 collectivités, l'association Consommation, logement et cadre de vie ( CLCV) a tiré des enseignements similaires. « La culture de la concertation étant ce qu'elle est en France, on observe que 17 % des collectivités sondées se contentent de fournir à la commission le rapport du délégataire du service d'eau qui, pour sa part, a au moins le mérite de clairement présenter les indicateurs », précise Alain Chosson, vice-président de la CLCV. Lorsque les collectivités communiquent le leur, les indicateurs requis ne sont ni clairs ni complets dans un cas sur trois. « Pour l'assainissement et l'élimination des déchets, les lacunes sont conséquentes, mais le contenu du rapport du maire s'améliore sur le service d'eau », nuance-t-il.
La CLCV recommande donc aux commissions de réclamer les éléments manquants aux collectivités et une mise en forme assortie, grâce à des glossaires et des commentaires pour les non-spécialistes. Dans le pays du Libournais (Gironde), une CCSPL déchets fraîchement créée vient de le faire et attend un retour. Son équivalent à Chambéry les a obtenus et va plus loin en mettant en ligne des rapports et tableaux d'indicateurs sur un site hébergé par la collectivité. « Ce devrait être généralisé car ces commissions n'ont pas vocation à être des coquilles vides ou des chambres d'enregistrement, mais bien d'informer l'usager », insiste Alain Chosson.
Même s'il peut s'avérer difficile de nourrir en commission une dynamique de débat autour d'une question aussi technique que la performance d'un service, s'y tenir est essentiel pour ne pas verser dans un consensus mou. Pour qu'un temps de débat soit consacré au sujet, la CCSPL du Grand Lyon a ainsi pris le parti de nommer un modérateur. D'autres outils peuvent être utilisés pour encourager l'usager à s'intéresser au suivi de la performance d'un service ; même les bulletins municipaux envoyés aux usagers sont de bons vecteurs. Parmi les quatorze propositions qui viennent d'émerger de la conférence de citoyens animée par l'IGD autour d'un groupe d'usagers, retenons ainsi les besoins soulignés par ces participants de disposer d'un interlocuteur spécialisé dans les collectivités et de canaux d'informations plus variés et moins techniques, couplés à une approche concrète via des visites de sites.