Héritage d'Haussmann, Paris dispose encore, de façon unique en France, d'un double réseau d'eau totalisant 1 900 km pour l'eau potable et 1 700 km pour l'eau non-potable. Une particularité du service public parisien structuré dès 1850 autour d'un réseau public, alimenté par le canal de l'Ourcq et la Seine pour les usages municipaux, et d'un réseau privé, desservant les particuliers avec des eaux de source. L'écart de qualité se creusant progressivement entre les deux ressources, le réseau public est devenu le réseau d'eau non potable de la ville. Grossièrement filtrée, cette eau sert principalement à trois services pour l'alimentation des lacs et rivières des bois, l'arrosage des espaces verts, le nettoyage des rues et le curage des égouts.
Mais ces usages ont fortement chuté, depuis vingt ans, passant d'une consommation de 299 000 m3 par jour en 1987 à 73 600 en 2006. « Avec l'évolution des techniques, la consommation d'eau pour le nettoyage des égouts, poste principal, s'est effondrée et la propreté suit le même chemin. Quant aux parcs et jardins et aux pompiers, leurs besoins s'orientent, pour des raisons de qualité ou de pression, vers de l'eau potable », observe Olivier Jacque, chef du service technique de l'eau et de l'assainissement à la ville de Paris. En outre, depuis qu'il existe, le réseau n'a jamais bénéficié d'entretien préventif, certaines casses conduisant tout simplement à supprimer des tronçons. En 2008, une étude de Safege estimait qu'entre 20 et 30 % du linéaire étaient en mauvais état et que les fuites dépassaient les 100 000 m3 par jour. « Aujourd'hui, le réseau se retrouve surdimensionné, avec des problèmes d'écoulement, et un fort besoin d'investissements. Il est temps de savoir si on bascule sur le réseau d'eau potable », analyse le responsable. Financièrement, ce choix n'est pas aisé.
La rénovation du réseau coûterait entre 100 à 280 millions d'après les études les plus récentes. Son abandon permettrait à la ville de récupérer de l'emprise foncière sur sa galerie technique avec un gain potentiel de 120 à 160 millions, mais nécessiterait des travaux de dépose au montant extrêmement variable, de 356 millions à un coût marginal selon qu'ils soient réalisés seuls ou non, sur tout ou partie du linéaire. Alors, maintien ou abandon ?
« Naturellement, je tenterais de le garder, souligne Anne Le Strat, adjointe au maire de Paris en charge de l'eau et de l'assainissement et présidente de la régie municipale Eau de Paris. Mais au sein de la ville, le sujet est loin de faire consensus entre acteurs politiques et techniques. Lancer le débat sur l'avenir du réseau en engageant un processus de concertation me paraissait donc fondamental en termes de politique municipale de l'eau. » D'où la conférence de consensus organisée cet hiver par la ville autour d'un jury d'experts qui, dans sa grande majorité, a considéré le réseau comme une opportunité à conserver. « En ville, de nouveaux usages se dessinent pour lutter contre le réchauffement climatique. Mais il manque des études de faisabilité », analyse Jean-Claude Deutsch, professeur en hydrologie au centre d'enseignement et de recherche eau ville environnement ( Cereve). Le dilemme parisien est donc d'anticiper sur les besoins bioclimatiques de demain.
Marseille ne s'est pas posé ces questions quand, en 1991, elle abandonne son double réseau. « Aujourd'hui, nous aurions certainement lancé un écobilan supplémentaire », analyse Alain Meyssonnier, directeur à la Société des eaux de Marseille. Partageant avec Paris la particularité d'un double réseau conçu au XIXe siècle (300 km d'eau brute en centre-ville en plus des 2 000 km d'eau potable), Marseille l'a fermé lors du renouvellement de son réseau d'eau potable. « À l'époque, comme à Paris et ailleurs en France, les services municipaux marseillais bénéficiaient encore, par franchise, d'une eau gratuite. La réhabilitation du réseau d'eau brute aurait donc pesé doublement sur les usagers, ce qui n'était pas envisageable », observe le responsable.
Et à Paris, qui paierait la facture en cas de maintien ? Les usagers, le contribuable ? « Il faudrait élargir le financement aux acteurs privés, en n'excluant pas de reconvertir une partie du réseau à de nouveaux usages, eau et hors eau, par exemple la collecte pneumatique des déchets », conclut Anne Le Strat qui, pour étayer ces scénarios, confirme le lancement avec l'Apur et l'Institut métropole durable d'une étude sur les nouveaux usages du réseau bioclimatique sur la métropole. Seule certitude, le Conseil de Paris tranchera sur le sort du réseau d'ici à la fin de l'année.