Chaque année, la capacité mondiale de production d'eau dessalée augmente de 10 % et ce potentiel continuera à croître au vu de l'amélioration constante des technologies utilisées. Les filières, plus économes en énergie comme celle de l'osmose inverse, sont désormais fiables et séduisent de plus en plus de pays. Même si le procédé historique par distillation thermique est encore le plus répandu dans plusieurs régions du monde, notamment au Moyen-Orient, cette situation est en train de changer rapidement. Conscientes de l'évolution de ce marché, les grandes sociétés de l'eau ne cessent d'optimiser leurs procédés membranaires pour gagner des parts de marché et imposer définitivement cette technologie.
UN PRÉTRAITEMENT DE PLUS EN PLUS PERFORMANT
Le procédé par osmose inverse (OI) comporte deux étapes complémentaires et indissociables : le prétraitement et le traitement sur membrane. Au Moyen-Orient, en raison de la température de l'eau et du manque de profondeur de fonds marins, les eaux de mer sont très chargées en matières en suspension et en microorganismes. Cette situation a poussé les grandes sociétés de l'eau à développer une partie prétraitement performante, qui permet de fiabiliser au mieux le traitement et donc le choix de cette technologie. « Grâce à notre longue expérience, Degrémont, filiale de Suez Environnement, propose désormais des procédés de prétraitement vraiment spécifiques au type d'eau de mer rencontré. La forte concentration en sel ou la présence de microorganismes sont des paramètres qui vont influencer le choix des phases du procédé », appuie Jean-Michel Lainé, chef de produit membrane chez Suez Environnement. En général, le prétraitement dans la région du Moyen-Orient est constitué d'une flottation - qui permet d'éliminer les microrganismes et algues -, et d'une filtration gravitaire sur médian pour minimiser la quantité de matières en suspension.
De nouvelles techniques commencent également à se développer. Opérationnelle depuis janvier 2010, l'usine de dessalement de Sur, construite et exploitée par Veolia Eau, intègre un procédé de prétraitement mis en oeuvre pour la première fois à grande échelle. Creusés sur le rivage, des puits côtiers (beachwell) captent à des profondeurs de 4 à 16 mètres l'eau de mer dans le sable. L'eau ainsi extraite est plus pure que celle prise directement dans la mer grâce à la filtration du sol. Nécessitant une surface relativement grande et une bonne perméabilité du sol, cette technique présente des avantages économiques et environnementaux. La filtration lente et naturelle par le sol évite l'emploi de réactifs chimiques ainsi que la mise en place d'une filière boues. « En 2009, un problème de développement d'algues rouges a été enregistré dans de nombreux endroits du Golfe. Avec ces puits côtiers, un fonctionnement accru est garanti tout au long de l'année, car ce procédé permet de s'affranchir de la qualité initiale de l'eau de mer », détaille Bruno Sauvet-Goichon, expert dessalement chez Veolia Eau Solutions & Technologies.
La technologie de l'ultrafiltration (UF) a également fait son apparition et simplifie au maximum le prétraitement. Afin d'identifier les avantages de ce procédé, Suez Environnement a réalisé des tests comparatifs avec des technologies traditionnelles. L'UF assure un abattement total des matières en suspension et des microorganismes, offrant ainsi une meilleure performance pour les membranes d'osmose inverse. La mise en place d'une unité UF empêche totalement le colmatage par des matières en suspension et retarde également le colmatage d'origine biologique. Cela réduit le nombre de lavages chimiques des membranes d'OI et augmente leur durée de vie. En outre, le fait de diminuer les colmatages optimise aussi le gain énergétique. Il reste que, malgré ces avantages, le développement de ce dispositif est freiné par son prix. « Tout l'enjeu pour l'ultrafiltration est de la proposer au même coût que les procédés classiques », explique Laurent Guey, directeur dessalement et membrane chez Degrémont.
LES NANOTECHNOLOGIES À LA RESCOUSSE
Outre le prétraitement, les départements R & D réfléchissent également à d'autres innovations pour l'osmose inverse. Même si les recherches sur les membranes atteignent leur point d'optimisation, des voies d'amélioration existent encore. L'acceptation du chlore est ainsi étudiée, car elle permettrait de rendre la membrane moins sensible à cette substance pendant les phases de lavage. L'augmentation de la surface membranaire, qui est corrélée à la capacité de traitement, est également une piste de travail. À la place des modules classiques de 8 pouces, les fabricants de membranes ont donc développé des exemplaires de 16 pouces dont l'enroulement est plus serré. Même si ces modules requièrent un peu plus de pression, leur mise en place s'est traduite par une diminution du nombre de connexions et de tuyauteries. Un autre objectif est d'arriver à accroître la perméabilité des membranes, tout en les gardant résistantes, pour diminuer les consommations énergétiques.
Pour améliorer la perméabilité, les chercheurs peuvent désormais compter sur l'apparition des nanotechnologies. Considérées comme un élément de rupture technologique, les nanotechnologies ont tout de suite intéressé les constructeurs et exploitants d'usines de dessalement. Veolia Eau et Suez Environnement se sont respectivement associées à la société NanoH2O et au consortium européen Nametech pour approfondir leurs recherches. Les caractéristiques de ces particules permettraient ainsi de rendre plus solides les membranes, favorisant une baisse de pression et une meilleure perméabilité. Par ailleurs, ces nanotechnologies pourraient donner à la membrane des propriétés bactériostatiques qui empêcheraient les bactéries de s'accrocher et de colmater peu à peu les pores. Encore au stade de prototype, ces nouvelles membranes pourront avoir un effet sur la productivité, le coût et le gain énergétique selon les caractéristiques développées.
L'optimisation énergétique étant devenue également un critère de choix pour les pays arabes, des dispositifs de récupération d'énergie peuvent être installés sur le process d'OI. En effet, avant d'entrer dans les membranes d'OI, l'eau de mer clarifiée est pressurisée au moyen d'une pompe haute pression entre 55 et 80 bars selon la température et la salinité. La perte de charge à travers les membranes est estimée seulement à 1 ou 2 bars, le concentrat conservant ainsi à la sortie une pression haute. Avec l'installation d'échangeurs de pression à haut rendement (systèmes Dweer et ERI), il est possible de récupérer et de transmettre la pression du concentrat à une partie de l'eau d'alimentation.
SOLUTION HYBRIDE ET AUTRES TECHNOLOGIES
Pour dessaler l'eau, il existe plusieurs techniques, mais les procédés membranaires et de distillation sont très majoritaires avec près de 90 % du marché. Depuis quelques années, des systèmes hybrides qui intègrent une centrale thermoélectrique et des unités de distillation et d'OI ont été mis en place au Moyen-Orient. En 2003, Suez Environnement inaugurait à Fujairah la plus grande usine hybride d'une capacité de 62 millions de m3 d'eau par an. Cette technologie permet de faire appel, de manière complémentaire et en fonction de la période de l'année, aux procédés de dessalement thermique et membranaire. Mais ce concept hybride, qui devait fournir une meilleure solution technico-économique, n'est pas aujourd'hui mis en avant par Suez Environnement en raison d'un bilan thermique défavorable. « D'après les thermiciens de GDF-Suez, il vaut mieux que la vapeur soit complètement dédiée à la production électrique et au fonctionnement de l'OI. Cela permet d'éviter la baisse des points de rendements », affirme Laurent Guey.
Ce n'est pas l'avis de Veolia Eau qui voit dans ces centrales hybrides une solution d'avenir pour les pays du Golf. À la différence des premières installations qui étaient constituées d'unités de dessalement en parallèle, les projets plus récents portés par Veolia Eau - par exemple une nouvelle centrale hybride à Fujairah - possèdent désormais des connexions entre les deux lignes. Ces connexions favorisent la mise en place de systèmes de récupération de chaleur. Ainsi, le flux de l'eau de mer de réfrigération du condensateur pourrait être utilisé directement pour le dessalement. Préchauffer l'eau salée jusqu'à 38 °C permet de gagner en viscosité, mais aussi de diminuer la pression de fonctionnement des membranes, soit deux facteurs de réduction de consommations énergétiques.
Utilisant également le procédé membranaire, l'électrodialyse a été surtout envisagée pour le dessalement des eaux saumâtres car cette technique n'est pas adaptée pour le traitement des eaux de salinité supérieure à 3 g/l. Soit une concentration quinze fois plus faible que celle rencontrée au Moyen-Orient. Par ailleurs, même si la technique de la société 3 MW qui reproduit le cycle naturel de l'eau semble prometteuse, elle est pour le moment positionnée sur le marché de plus petites installations. C'est également le cas pour des procédés comme les fours solaires. Par contre, l'utilisation du soleil comme source d'énergie pourrait s'avérer pertinente, notamment dans les pays arabes qui bénéficient d'un ensoleillement adéquat (voir encadré p. 32).
Enfin, toute technologie de dessalement produit une saumure dont il faut se débarrasser. Rejetée directement en mer par un système de diffusion, cette eau concentrée en sel peut avoir un impact sur la faune et la flore aquatiques. Les départements R & D de Veolia Eau ou de Suez Environnement, associés parfois à des universités locales, mènent des études hydromarines, de diffusion ainsi que des modélisations pour limiter l'impact environnemental.