Les frontières entre l'énergie et l'environnement continuent à s'estomper. L'une des illustrations les plus flagrantes de cette tendance est à trouver du côté des pompes, dont la consommation énergétique pèse lourdement dans la facture énergétique des installations d'eau et d'assainissement. Lors du dernier salon Pollutec, on a ainsi vu pour la première fois un village consacré à la performance énergétique de ces équipements. Toujours sur ce salon, de nombreux équipementiers communiquaient sur l'écoconception de leurs produits, tandis que d'autres animaient des conférences abordant la problématique du pompage sur l'ensemble du process, et non seulement sur leur seul produit. Autant de signaux qui permettent de penser que le monde des pompes est train de changer de paradigme, confirmant ainsi les premières annonces sur le sujet que nous présentions l'an dernier (lire Hydroplus n° 191, p. 36).
PRIORITÉ AU RENDEMENT DES MOTEURS
Certains fabricants ont fait le choix de placer le moteur au coeur de leur stratégie de développement. Ils partent du constat que les moteurs électriques représentent 70 % de la consommation électrique dans l'industrie, et qu'un diagnostic peut réduire jusqu'à 40 % la consommation des installations de pompage. La réglementation participe à cette évolution, puisque de nouveaux moteurs répondant aux classements IE1, IE2, EE3 (voir encadré ci-dessous) sont apparus. Aujourd'hui, les fabricants de pompes sont engagés dans une course pour faire évoluer progressivement leur parc de moteurs. Grundfos a, par exemple, réussi à anticiper la mise en application des normes moteurs pour les pompes dans ses applications chauffage, distribution d'eau et assainissement. « Aujourd'hui, 30 % de nos pompes sont équipées d'un moteur IE2, et nous envisageons d'atteindre les 50 % dans un avenir proche », annonce Dominique Gautier, directrice commerciale eau chez Grundfos France. Il y a un an, le spécialiste des moteurs Leroy Somer lançait un service d'expertise en optimisation énergétique centré sur les systèmes d'entraînement. Depuis, douze sociétés ont reçu le label « Expert en optimisation énergétique en système d'entraînement » parmi les 140 sociétés de service partenaires. Pour obtenir ce label, ce sont les entreprises qui font la démarche auprès de Leroy Somer. Pour ce faire, elles doivent avoir le matériel suffisant afin d'assurer l'expertise pour la maintenance prédictive - appareils de contrôle thermographique, d'analyse vibratoire, de vérification par lignage laser, etc. - et avoir déjà une première expérience en la matière. « Malgré la crise, l'engouement est vraiment présent », assure Alain Bondoux, responsable distribution et services de Leroy Somer. Depuis le lancement de ce label, le fabricant de moteurs a formé plus de cinquante entreprises. « À terme, nous compterons une vingtaine de sociétés pour porter l'expertise Leroy Somer », espère-t-il. Ces sociétés sont capables d'identifier les potentiels d'économies d'énergie. Leur intervention se déroule en plusieurs phases. La première consiste à réaliser un prédiagnostic à partir de logiciels pour définir les principaux potentiels d'économies, puis à faire si besoin un diagnostic, avec des relevés sur site, qui viendra confirmer la première approche. L'étape suivante consiste à définir le matériel le plus approprié : moteur haut rendement IE2, IE3, vitesse variable, moteur synchrone à aimant, etc. Enfin, la maîtrise de la mise en oeuvre et de la mise en service de la solution choisie permettra une optimisation et une garantie de pérennité des économies dans le temps. « Aujourd'hui, tout nouvel investissement en moteur est accompagné de cette expertise », annonce Alain Bondoux.
De son côté, Salmson a rebaptisé sa gamme de pompes multicellulaires V sous l'appellation Nexis, dans le but de mieux communiquer sur les évolutions de sa gamme de pompes eaux claires. Initié en 2009, le renouvellement devrait prendre fin en mars 2011. Ces nouvelles pompes prévoient l'installation systématique d'un moteur de type IE2 sur les équipements. À Pollutec, Salmson a également présenté un nouvel agitateur TR Maxi Mega équipé d'un moteur IE3. « Ce nouveau produit nous a permis de signer un contrat-cadre avec Stéreau en 2010. Nous envisageons dans un proche avenir d'appliquer ce type de moteurs sur nos pompes », annonce Philippe Laveissière, directeur du département cycle de l'eau de Salmson. ITT applique également cette stratégie sur ses agitateurs en remplaçant leurs moteurs par des équipements à aimants permanents. « À terme, nous envisageons également d'installer des moteurs à haut rendement sur nos groupes électropompes », annonce Claude Berthier, responsable des solutions clients à la direction commerciale d'ITT France. Mais pour ITT, comme certains fabricants, le fait d'axer sa stratégie de développement sur les moteurs n'est pas la grande priorité. « Le remplacement d'un moteur IE2 par un IE3 permet de gagner 2 à 3 points, alors que la technologie de nos pompes N garantit un gain de l'ordre de 25 % au niveau du rendement », souligne-t-il.
CONCEPTION ET RENDEMENT HYDRAULIQUE
La société ITT a donc choisi d'axer ses efforts sur la conception, notamment au niveau du rendement hydraulique des équipements. Les évolutions appliquées sur leurs équipements permettent de réduire l'impact du colmatage et garantissent des rendements de l'ordre de 70 à 80 %. Leur ligne de fabrication a été inaugurée en 2000. Aujourd'hui, ITT fête la cinquième génération de pompes N. Le remplacement de la gamme standard par ces produits écoconçus s'est fait progressivement. « La gamme N correspond aujourd'hui à 80 % de nos ventes », annonce François Geronimi, directeur régional Île-de-France et des grands comptes. Plus chère à l'achat, la gamme garantit néanmoins un retour sur investissement rapide, au bout d'un an, selon le fabricant.
DES POMPES RÉSISTANTES AU COLMATAGE
Le plus difficile est de convaincre les clients de changer leurs habitudes. La gamme N a fait l'objet d'une nouvelle certification EPD (Environmental Product Déclaration) en 2008. En outre, un nouveau matériau en fonte au chrome est proposé en option à la place des matériaux en fonte avec bords d'attaque trempés électriquement. Ce matériau garantit une plus grande longévité des équipements, notamment en présence d'effluents abrasifs. « Dans un but d'optimisation de la maintenance, les exploitants ont tendance à supprimer le poste de prétraitement (panier de dégrillage) des petits postes de relevage. L'intérêt d'opter pour des pompes résistantes au colmatage dans le temps se justifie encore plus », avance Claude Berthier.
Le fabricant Salmson met aussi l'accent sur le rendement hydraulique de ses produits. La nouvelle ligne de fabrication 3D installée sur son usine de Laval porte sur la mise en oeuvre d'une roue baptisée Solid. « Cette nouvelle roue pour pompes d'assainissement Solid est imbouchable et permet d'atteindre un rendement hydraulique de 81 % », se félicite Matthieu Lebrun, responsable technique du cycle de l'eau. Elle permet également de gagner des temps de maintenance grâce à sa nouvelle garniture mécanique. « Il n'est plus nécessaire de découpler le moteur, il suffit de changer uniquement la cartouche, ce qui permet de diviser par trois les temps d'intervention sur la pompe », poursuit-il.
Lancée en 2005, la version N des pompes écoconçues de la gamme Amarex marque le début d'une politique de développement durable chez KSB France. Depuis, le fabricant de pompes a étendu sa démarche aux autres équipements conçus sur son site de Lille : il s'agit des gammes Amarex, KRT et AmaPorter. Destinées au transfert des eaux usées, leur particularité réside dans l'identification de l'impact en émission CO2 permettant une démarche d'amélioration continue pour réduire ces émissions. « L'outil du coût du cycle de vie (LCC) est mis en application depuis déjà sept ans chez KSB dans le domaine des pompes. L'intégration des impératifs liés à l'écoconception est venue après dans une politique de développement globale pour répondre aux nouvelles contraintes réglementaires », commente Pascal Vinzio, directeur du service recherche et innovation de KSB France. En mai 2010, le fabricant a reçu le grand prix de la recherche scientifique collaborative décerné par une fondation de donateurs en faveur de la science allemande. Le projet récompensé visait à développer un nouveau matériau composite à base de diamant et céramique. Les propriétés de ce nouveau matériau garantissent une plus longue durée de vie aux pompes, et notamment lorsque celles-ci sont régulièrement soumises à des problèmes de lubrification ou de marche à sec.
La démarche du fabricant ne s'arrête pas là. La robinetterie, autre activité importante du groupe, fait également partie de ses axes de développement en écoconception. Les produits concernés sont les vannes Amri Boax et Isoria fabriquées sur le site de La Roche-Chalais. KSB a également participé à la création d'une nouvelle norme sur les indicateurs d'affichage environnemental applicable à la robinetterie. « À terme, il est prévu que cette forme d'affichage soit appliquée aux pompes, voire à d'autres produits », indique Pascal Vinzio.
ENTRER
DANS UN CERCLE VERTUEUX
En parallèle de l'optimisation énergétique, certains fabricants se lancent dans des démarches d'écoconception. Il n'est alors plus question d'économies d'énergie mais d'impact sur l'environnement. L'écoconception implique la prise en compte et la réduction de l'impact d'un produit, depuis l'extraction des matières premières jusqu'à son élimination en fin de vie. En 2010, le Cetim et l'Union de normalisation de la mécanique (UNM) ont développé une méthodologie d'écoconception sous la forme d'une norme XP E 01-005, applicable aux produits de la mécanique. Cette norme est en cours de proposition au niveau européen via le Comité européen de normalisation (CEN).
POLITIQUE INHÉRENTE À LA VOLONTÉ DE LA DIRECTION
La décision d'engager une politique de développement durable n'est pas inhérente à la taille de l'entreprise, mais à la volonté de sa direction. C'est dans cette logique que l'association professionnelle Profluid propose des moyens techniques pour aider ses adhérents à appliquer ce type de politique. Cette stratégie n'est pas encore systématique. Le nouveau service efficacité énergétique proposé par KSB et surnommé « l'homme à la valise » ne remporte pas un franc succès. Les clients, qui doivent en faire la demande, se montrent frileux. Selon le fabricant, la crise influe fortement sur leur décision. La tendance d'optimisation énergétique est cependant plus visible chez les exploitants de station de traitement d'eau que dans d'autres secteurs industriels. Chez ces derniers, les investissements à prendre représentent un frein par rapport aux économies que cela pourra engendrer. C'est pour le moment au niveau des appels d'offres que la motivation des exploitants est la plus palpable. Ces derniers intègrent en effet de plus en plus dans leurs demandes et même dans leurs cahiers des charges le principe d'écoconception ; en particulier, le calcul du bilan carbone des équipements. Cette pratique reste encore marginale, mais, progressivement, la volonté d'intégrer le développement durable sous l'une ou l'autre de ses formes dans les contrats avec les fournisseurs d'équipements, les constructeurs et les exploitants, est de plus en plus significative. « Cette tendance s'observe aussi bien chez les grands donneurs d'ordre que chez les distributeurs », insiste Pascal Vinzio. On en trouve un exemple avec Ecosave, la démarche engagée par Vinci Construction qui intègre une prise en compte globale, de la conception à la fin de vie d'une station, en incluant l'écoconception et les économies d'énergie. Pour ce faire, le constructeur utilise le logiciel Team développé par Écobilan, une société spécialisée dans la réalisation des analyses du cycle de vie.
UNE RÉDUCTION ANNONCÉE DE 10 % DES ÉMISSIONS
Comme Grundfos, pour qui le développement durable s'inscrit véritablement dans son approche commerciale : cette société s'est fixé pour objectif de ne jamais émettre plus de CO2 qu'en 2008. Pari tenu : dans son rapport sur le développement durable 2009, le groupe annonce une réduction de 10 % de ses émissions.
En 2007, Veolia Eau lançait un audit sur la politique de développement durable de ses fournisseurs. « La majorité de l'impact sur l'environnement des exploitations gérées par Veolia Eau vient de la fabrication, de l'utilisation et de la fin de vie des produits achetés. Nous souhaitions donc susciter chez nos fournisseurs une adhésion à nos objectifs en termes de développement durable », expliquait Guillaume Arama, délégué au développement durable de Veolia Eau, dans le cadre d'une interview pour Hydroplus (n° 194, p. 44). Deux ans plus tard, 55 fournisseurs avaient été audités. « L'audit lancé par Veolia Eau a porté sur nos pompes fabriquées sur le site de Lille. Concernant la robinetterie, notre démarche est engagée et s'est même accélérée sous l'impulsion d'autres clients », complète Pascal Vinzio.
Un changement de politique est en marche. Pour Pollutec 2010, Grundfos s'est présenté comme intégrateur de solutions. Et ils ont participé pour la première fois avec l'étiquette « membre d'une association » aux conférences organisées par Profluid et Snecorep. « Ce choix montre la volonté des acteurs de la profession de faire évoluer ensemble le marché. Et c'est, je pense, la stratégie qui prévaudra à l'avenir pour sensibiliser réellement à l'approche coût global dans les stratégies achat de nos clients », indique Dominique Gauthier.