Du vert au rouge, de A à G, le signal envoyé par l'étiquette énergie est maintenant connu de tous. Elle met en avant la performance énergétique des appareils de froid depuis 1995, des lave-linge et sèche-linge (1996), des lave-vaisselle (1998), des fours (2003). Et elle colonise d'autres produits : les climatiseurs, les voitures, les pneus ou, plus récemment évoquées, les applications de froid industriel. Alors, l'étiquette énergie est-elle l'outil parfait pour réduire la consommation d'électricité ?
Dans les rayons électroménagers, le résultat est flagrant : les classes B et inférieures ont quasiment déserté les linéaires, hormis pour les sèche-linge. « En dix ans, les industriels ont investi 10 milliards d'euros pour améliorer la performance énergétique de leurs équipements », rappelle Patrick Le Devehat, directeur technique du Groupement interprofessionnel des fabricants d'appareils ménagers, le Gifam. « C'est une vraie réussite », confirme Hervé Lefebvre, du département marché et services d'efficacité énergétique de l'Ademe. Entre 1999 et 2009, la consommation électrique des réfrigérateurs a été divisée par trois, la consommation d'eau des lave-vaisselle et des lave-linge par deux. Or, les réfrigérateurs et congélateurs constituent un tiers de la consommation d'électricité d'un ménage, tout comme l'ensemble lave-linge, sèche-linge et lave-vaisselle. Au niveau européen, la réduction de la consommation d'électricité a été significative à partir de la période 2004-2007. Mais il reste de la marge : d'après le Gifam, 25 millions d'appareils ménagers ont plus de dix ans. Leur renouvellement permettrait d'économiser 5,7 milliards de kilowatt- heures, soit autant que consomment les Parisiens. « Avant l'étiquette énergie, il n'existait aucune information neutre pour le consommateur », rappelle Hervé Lefebvre. Plus encore, le prix de vente était sans relation avec les performances énergétiques. Même les industriels manquaient de repères. « En 1995, la classe A semblait inaccessible, utopique », se souvient Armand Diouris, responsable du service qualité, environnement chez Electrolux en France. Pourtant, dès 1999 apparaissent les premiers A, et déjà les classes E, F, et G sont interdites pour les réfrigérateurs et congélateurs. Les industriels comprennent alors que l'étiquette énergie est un formidable outil de marketing. Si le prix reste le premier critère de choix d'un consommateur, le deuxième n'est plus la marque, mais bel et bien la classe énergétique. Dès lors, proposer des produits A devient une absolue nécessité. Et les industriels se lancent dans la course à l'innovation.
Premier axe de travail : l'isolation des parois et la rupture des ponts thermiques pour le froid, mais aussi pour les fours et les sèche-linge. Deuxième solution : la substitution. « En remplaçant le R134A, du tétrafluoroéthane, par du R600A, un isobutane, comme gaz frigorifique, on obtient un meilleur rendement thermodynamique. C'est ce qui a permis d'obtenir les classes A+ et A++ dans le froid », détaille Armand Diouris. Troisième voie, la réduction de la consommation des composants. Les moteurs des ventilateurs utilisés pour le froid ventilé ne consomment que 2 watts au lieu de 10 à 15, il y a dix ans. Et depuis trois ans, Electrolux installe des compresseurs à vitesse variable dans ses appareils de froid, qui permettent d'atteindre la classe A+++. Dans les lave-linge, après avoir diminué la quantité d'eau, les industriels se sont trouvés dans une impasse. La solution, ils l'ont trouvée dans la formule de calcul de la performance énergétique. Celle-ci se base sur le volume d'eau, mais aussi sur la quantité de linge. Ainsi, augmenter le volume du tambour en conservant la même quantité d'eau permet d'améliorer l'efficacité énergétique. Parfois, le gain ne vient pas de la technologie, mais du bon sens. Ainsi, Hotpoint Ariston, du groupe italien Indesit, propose le combiné Quadrio, équipé de quatre portes, en version A et A+. « Cela permet une régulation plus fine des différents compartiments, et la perte énergétique est moindre qu'avec deux portes », souligne Marc Lignier, directeur marketing et communication d'Indesit en France et en Belgique. Dans la cuisson, la même marque propose un four séparable en deux compartiments, réduisant le volume de chauffe. Pour progresser encore, les industriels s'intéressent maintenant à des technologies de rupture. Dans le froid, ce pourrait être l'utilisation du dioxyde de carbone comme gaz réfrigérant, ou les parois sous vide. Dans les sèche-linge, les pompes à chaleur promettent un bond permettant d'atteindre la classe A, mais à un coût prohibitif... pour l'instant. Est-ce à dire que les produits les plus performants sont bardés de technologie ? Oui et non. En général, ces équipements, qui constituent le haut de gamme des marques, sont dotés des dernières avancées technologiques. Mais les hautes performances sont incompatibles avec certaines fonctions, comme le dégivrage automatique ou le froid ventilé. À l'inverse, « sans ces fonctions, il serait possible d'avoir des produits encore plus performants », assure Benoît Tinetti, chef de projet au sein du cabinet Bio Intelligence Service. Et pour Fagor Brandt, appartenant à un groupe coopératif, c'est une question de principe : « Quand nous obtenons des gains énergétiques, nous n'en profitons pas pour ajouter de nouvelles fonctions, mais pour proposer la performance et un prix compétitif », soutient Odile Thoré, responsable environnement de Fagor Brandt.
Les prix sont liés, d'une manière générale, à la performance énergétique. « Il faut bien rentabiliser les efforts de recherche », argumente Patrick Le Devehat. Selon les industriels, ce n'est qu'une question de temps pour que la classe A+, la plus performante, devienne un standard. Comme cela s'est déjà produit avec la classe A... qui n'est pas forcément moins consommatrice d'énergie. En effet, l'étiquette récompense la performance énergétique, un concept plus complexe. Par exemple, dans le froid, la performance énergétique est calculée en fonction du volume utile, de la consommation électrique, mais aussi d'un coefficient modérateur dépendant du nombre de portes, d'étoiles de froid, de la présence de certains services comme le dégivrage automatique. Plus d'une dizaine de critères interviennent. Et puis, avec la majorité des appareils en A, l'étiquette énergie est-elle encore un outil efficace pour guider le choix des consommateurs ?
L'Ademe a réclamé de rééchelonner les valeurs, en les durcissant. Peine perdue ! Les industriels obtiennent de compléter la classe A avec l'ajout, dès 2003, des classes A+ et A++ pour le froid. D'après les données du Gifam, les classes énergétiques supérieures attirent de plus en plus de consommateurs. Sur les huit premiers mois de l'année 2009, les réfrigérateurs de classe A+ et A++ progressent de 20 % en valeur. Leur part de marché a doublé en deux ans. De son côté, Electrolux a décidé de supprimer la classe A de sa gamme, qui existait encore en 2009. La classe A+ concentre maintenant 90 % de ses ventes, le reste étant A++. « Le standard du marché se situe entre A et A+. Dès 2011, la classe A sera dépassée », soutient Armand Diouris. Même tendance au sein du groupe Indesit. Pour d'autres, l'information ne permet plus de différencier les produits. Mais l'Ademe a une interprétation différente : A+ ne représente que 20 % du marché, A++ étant réduit à la portion congrue. Bref, la classe A de base concentre toujours 80 % des ventes, alors que ces appareils sont aujourd'hui les moins performants. En 2014, avec la disparition programmée des équipements de froid de classe A, « un appareil A+ sera le plus mauvais achat. Pourtant, le consommateur aura l'impression de faire quelque chose de bien », regrette Édouard Toulouse, chez Ecostandard.
L'année 2009 a été l'occasion de repenser l'étiquette énergie, dans le cadre de la révision de la directive EUP 2005/32/C (produits utilisant de l'énergie, energy using products). Or, les parties prenantes sont restées campées sur leurs positions. Les industriels défendent une échelle ouverte. Les associations de défense des consommateurs et de l'environnement et l'Ademe militent pour un durcissement des mêmes catégories. Finalement, la Commission européenne et le Parlement se sont accordés, en novembre 2009, sur l'ajout de trois classes, A+, A++, A+++, et sur la limitation de leur nombre à sept. Ainsi, sur une étiquette, si la meilleure classe est A+++, la plus basse sera D. Pour l'Ademe et les associations de consommateurs, c'est un fiasco. « Ces étiquettes brouillent le message. Les consommateurs pensent que c'est du marketing », soutient Hervé Lefebvre, à l'Ademe. Même des industriels sont mécontents, n'en déplaise au Gifam. « Ces trois classes A+, A++ et A+++ n'ont aucun sens », renchérit Armand Diouris. Le point final est apporté par l'université suisse de St. Gallen, via une étude publiée en août 2009. Elle montre que l'abandon de l'échelle historique, allant de A à G, apporte de la confusion. L'introduction des catégories de type A-20 % (l'hypothèse retenue à l'époque de l'étude) voit la crédibilité accordée au label chuter de 34 à 24 %. Inversement, l'importance du prix sur l'étiquette énergie augmente, passant de 35 à 44 %. De plus, la différence entre des produits A-40 % et A-20 % est perçue comme étant inférieure à celle existant entre des produits classés A ou B, alors que l'écart est similaire. Une perception qui a une conséquence sur le surcoût accepté par les consommateurs. Dans l'ancien système, ils sont prêts à payer 18 % de plus pour un produit plus performant, alors que le nouveau n'incite qu'à un surcoût de 4 %.
Face à la complexité de l'étiquette énergie, les associations de consommateurs se sont mobilisées. Dès 2006, la Confédération de la consommation, du logement et du cadre de vie ( CLCV) a travaillé avec WWF France pour créer un comparateur d'achat permettant d'identifier les produits les plus écologiques, le Top Ten. Un an plus tard naissait Top Ten Pro, pour les achats professionnels. « L'objectif est d'introduire le coût d'usage, en plus du coût d'achat. Car c'est pendant sa phase d'utilisation que le produit coûte le plus », précise Thierry Saniez, délégué général de la CLCV. Le consortium d'ONG Ecos, basé à Bruxelles, va plus loin. « Avec l'étiquette énergie, deux produits peuvent avoir la même consommation d'électricité, tout en affichant des classes différentes du fait de leur volume, par exemple. En fait, l'étiquette énergie ne décourage pas l'achat de gros produits, qui peuvent avoir une étiquette A tout en consommant beaucoup », assène Édouard Toulouse. Un rapport sur les tendances en matière de consommation énergétique en Europe, publié en mars 2009 par le JRC, souligne d'ailleurs que le remplacement des équipements profite aux capacités plus importantes : les réfrigérateurs de 120 litres sont renouvelés par des 161-180 l, et ceux de 200 l par des 251-300 l. Ecos propose donc d'appliquer un code couleur à la consommation brute d'électricité, en plus de l'étiquette énergie. Voire, plus radical, que l'étiquette porte sur la consommation d'électricité, tout simplement. « Cela a été mis en place pour les voitures et les télévisions, c'est donc possible pour tous les produits », estime Édouard Toulouse. Selon le même principe, un malus pourrait être appliqué sur les plus gourmands. Cette solution est évoquée pour la refonte de l'étiquette énergie, qui sera possible en 2014. « On en aura besoin avant. Déjà, les ventes des appareils de froid en A++ ne décollent pas, ils restent des produits de luxe », estime Édouard Toulouse. Sauf en Italie, grâce au crédit d'impôt de 20 % sur les équipements performants, plafonné à 200 euros, mis en place en janvier 2008. Résultat : les ventes de A+ ont été multipliées par 2,5 en 2007 par rapport à 2006. Une initiative reprise plus modestement par la Région Poitou-Charentes. Ce bonus vert varie entre 40 et 60 euros, en fonction de la classe énergétique de l'appareil, et concerne les appareils de froid, les lave-linge et les lave-vaisselle. D'autres pistes sont en réflexion. La Fédération européenne des fabricants d'électroménager, notamment, envisage, sur le modèle de l'étiquette énergie, une étiquette environnementale, qui tiendrait compte de l'impact du produit sur l'environnement tout au long de sa vie. L'étiquette énergie est moribonde, vive l'étiquette environnementale ?