La coopération transfrontalière est intimement liée à l'histoire franco-allemande, puisque c'est dans les années 1950 qu'elle démarra comme symbole de la réconciliation. En 1980, la convention de Madrid la dote d'un cadre formel et la création des fonds européens Interreg fournit à partir de 1990 des financements précieux pour impulser une dynamique transfrontalière. L'accord de Karlsruhe, signé en 1996, entre la France, l'Allemagne, la Suisse et le Luxembourg, introduit le Groupement local de co opération transfrontalière (GLCT), un organe de gouvernance au sein duquel les collectivités territoriales et organismes publics locaux peuvent collaborer. Et, à partir de 2006, une nouvelle structure de coopération transfrontalière voit le jour, le Groupement européen de coopération territoriale (GECT) qui s'impose progressivement comme l'outil juridique de référence.
Une petite trentaine de GECT sont aujourd'hui répertoriés en Europe, dont une dizaine implique la France et ses voisins. « Le GECT, c'est un peu la “Rolls” de la coopération transfrontalière. Mais le préalable, c'est la volonté des acteurs locaux d'agir ensemble », schématise Jean Peyrony, directeur général de la Mission opérationnelle transfrontalière (MOT), une association créée en 1997 pour fédérer les acteurs du transfrontalier. L'environnement, qui par nature ne s'arrête pas aux frontières, fait partie intégrante des préoccupations transfrontalières. « En vingt ans, le sujet est monté. Tous les programmes Interreg ont un axe sur l'environnement, observe le responsable de la MOT. Par contre, au lieu de s'imposer au cœur des projets, il reste parfois considéré comme la cerise sur le gâteau. Le problème, c'est qu'un grand équipement transfrontalier structurant coûte extrêmement cher et que les États ne peuvent pas compter que sur les financements européens. Une coopération mature doit pouvoir s'appuyer sur les outils de financements nationaux de leurs partenaires. L'environnement se heurte aussi à la transposition des directives européennes. Car la réglementation n'est pas interopérable de part et d'autre des frontières. »
Au sein du GECT Eurodistrict Strasbourg Ortenau, la communauté urbaine de Strasbourg (CUS) l'a découvert avec le syndicat de traitement des déchets de Kahlenberg (ZAK). Pendant cinq ans (2008-2012), une convention leur a permis de gérer leurs déchets en commun sur leurs deux sites de traitement, l'un en France, l'autre situé à 40 km, à Ringsheim en Allemagne. « Mais, à l'issue de ce partenariat, nous n'avons pas été autorisés à poursuivre sur un échange de routine car le transport transfrontalier des déchets est interdit par l'Europe. Seule une coopération de secours peut exister », précise Serge Foresti, directeur environnement à la CUS.
Paradoxalement, la gestion transfrontalière de l'eau potable et des eaux usées ne connaît pas cet écueil. Une partie du territoire de la communauté de communes du pays de Gex s'alimente en Suisse depuis 2010 grâce à une source et aux eaux du lac Léman des services industriels de Terre-Sainte et environs. Et l'action phare du contrat de rivières Pays de Gex-Léman (2004-2011) a porté sur une mutualisation franco-suisse de l'assainissement. « En France, nous avions besoin de nous conformer à la directive Eaux résiduaires urbaines car nos deux stations d'épuration étaient obsolètes. Il se trouve que Genève modernisait sa station du Nant d'Avril (120 000 EH). Au lieu de construire un nouvel équipement, nous avons raccordé la moitié de nos usagers (40 000 EH) à leur station en créant un gros collecteur », explique Jérémy Debard, chargé de mission contrat de rivière au Pays de Gex. Autre avantage environnemental, l'usine suisse rejette dans le Rhône alors que le débit de sortie des deux stations françaises nuisait fortement à la qualité du Lion et de l'Allondon, ses cours d'eau exutoires. Ce contrat s'est aussi traduit par la construction de trois bassins de rétention, deux en France et un en Suisse, pour lutter contre les risques d'inondation de Ferney-Voltaire (France) et de Collex (Suisse). « Nous allons poursuivre sur un nouveau contrat de rivières et sur deux contrats concernant les corridors biologiques pour élaborer un modèle franco-suisse lié au risque d'inondation et à la fonctionnalité de nos cours d'eau », précise Jérémy Debard.
Le Pays de Gex est situé sur le territoire du Grand Genève, structuré depuis le début de l'année sous la forme d'un GLCT autour des cantons de Genève, de Vaux et des départements de l'Ain et de Haute-Savoie. « Pour coordonner le développement de notre bassin de vie franco-valdo-genevois de près d'un million d'habitants, nous avions besoin d'un lieu de discussion », souligne Sylvain Ferretti, chef de projet genevois au Grand Genève. Si la coopération n'est pas récente sur ce territoire doté d'un comité régional franco-genevois depuis 1973, la nouvelle structure juridique va permettre d'orchestrer les grandes orientations transfrontalières, « pour conserver une agglomération compacte, verte et multipolaire ». « Le Grand Genève n'a pas encore de fonds de financement spécial. Chaque projet résulte d'un montage spécial, parfois complexe. Mais la structure est jeune et pourrait à terme se voir doter de compétences propres, par exemple sur l'urbanisme ou le transport », précise Sylvain Ferretti. Déjà, près de 2 milliards d'euros sont programmés par les partenaires sur les dix ans à venir avec en ligne de mire la construction d'ici à 2017 de la liaison transfrontalière Ceva du RER reliant Annemasse à Genève en quinze minutes. Quintessence du transfrontalier, ce projet est même financé côté français à 40 % par la Suisse !
Plus au nord, le GECT Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai a déjà cinq ans. Il réunit 147 communes françaises et belges et 14 institutions dont, en France, l'État, la Région Nord-Pas-de-Calais, le Département du Nord et Lille Métropole. « Sa création résulte de vingt ans de coopération transfrontalière avec les intercommunalités belges et il donne une assise politique à nos projets. Notre programme stratégique mettra la priorité entre 2014 et 2020 sur le développement socioéconomique, la mobilité interne et une Eurométropole verte et bleue, énergétiquement neutre, précise Marianne Csizmadia, chargée de projet à l'Euromé-tropole qui évoque la création d'un parc paysager transfrontalier sur la vallée de la Lys. L'eau qui fait le lien entre nos territoires a été une entrée naturelle de collaboration ». Non loin de là, le parc naturel régional (PNR) Scarpe-Escaut fonctionne lui aussi en tandem depuis 1989 avec son homologue belge, le parc naturel des plaines de l'Escaut. De quelques actions communes, la collaboration s'est étoffée avec le temps, aboutissant en 2010 à la première charte transfrontalière de PNR. Le parc naturel transfrontalier du Hainaut, s'il n'a pas d'existence juridique, est la marque de cette union. « Nous travaillons sur un socle stratégique commun que nous déclinons ensuite dans nos réglementations nationales. Par exemple, sur la maîtrise de l'étalement urbain, un PNR français rend juste un avis sur les documents d'urbanisme alors que, côté belge, il peut influer jusqu'au permis de construire », précise Michel Marchyllie, directeur du PNR Scarpe-Escaut. Plans de gestion de l'eau transfrontaliers via l'installation de passes à poissons et la gestion du risque d'inondations, éducation à l'environnement, agriculture durable et covoiturage sont autant d'items déclinés d'une seule voix. La filière bois énergie est elle aussi bien intégrée : un site de production mutualisé de plaquettes de bois issue de la taille de saules têtards plantés par les agriculteurs est installé en France et deux chaudières à bois sont réparties des deux côtés de la frontière. « Sur la programmation Interreg en cours, nous avons profité des fonds à hauteur de 4,5 millions d'euros. Il nous reste un projet à boucler sur l'évolution de nos structures juridiques. Doit-on fusionner ou pas, au sein de quel type de structure ? GECT, association… Nous y réfléchissons, mais l'important pour nous est d'éviter les incohérences », juge le directeur du PNR.
Une question qui s'est également posée pour l'Espace Mont-Blanc. « Au début des années 1990, la conférence transfrontalière Espace Mont-Blanc a été créée par les collectivités régionales et locales des Savoies (France), de la vallée d'Aoste (Italie) et du Valais (Suisse) en réaction à l'idée d'un parc international du Mont-Blanc, trop institutionnalisé », rappelle Nicolas Evrard, élu de la vallée de Chamonix et vice-président de l'Espace Mont-Blanc. Depuis, la démarche a débouché en 2006 sur la mise en place d'un schéma de développement durable puis sur un plan intégré transfrontalier (PIT) de 12 millions d'euros. Six projets ont décliné entre 2008 et 2012 les grands objectifs du développement durable à l'échelle du massif : atlas de la biodiversité, enjeux énergétiques, aménagement du tour du Mont-Blanc, éducation à l'environnement et produits du terroir. « Nous travaillons sur une feuille de route pour la prochaine programmation Interreg de 2014. Nous voulons la porter par un GECT car l'expérience du PIT nous prouve qu'une structure transfrontalière faciliterait le montage des projets et leur intégration au sein des politiques publiques locales », juge Nicolas Evrard.
Le parc national du Mercantour a franchi le pas récemment avec le Parco naturale delle Alpi Marit-time, donnant naissance au premier parc naturel européen. Après trente ans de collaboration sur des programmes phares comme la protection du bouquetin ou la réintroduction du gypaète barbu, élargie progressivement à l'ensemble de leurs actions via une charte commune, un programme intégré transfrontalier (inventaires de la biodiversité, agriculture, pédagogie, mobilité douce…) et des échanges franco-italiens pour la formation de leurs personnels, un GECT a été créé le 23 mai dernier. « C'est l'aboutissement d'un long cheminement engagé dès 2007, observe Christine Michiels, déléguée du directeur pour les Alpes-de-Haute-Provence au parc national du Mercantour. Cela ne modifiera pas nos priorités d'action, mais évitera qu'un changement politique au sein de l'un des parcs ne relègue la coopération transfrontalière au deuxième plan. » Et aussi d'asseoir leur candidature commune au patrimoine mondial de l'Unesco.
En Corse, le nouveau parc marin international des bouches de Bonifacio tient du même pari. Officialisé lui aussi en mai dernier, il réunit l'Office de l'environnement de la Corse et le Parc national de l'archipel de La Maddalena, en Sardaigne. « Ce GECT de droit italien renforce la gouvernance transfrontalière. Il possède déjà son budget de fonctionnement – abondé cette année à hauteur de 100 000 euros par chaque partenaire. Reste à voir quels moyens lui seront attribués, en termes de ressources humaines, de poids politique et financier », analyse Pierre Vellutini, directeur par interim de l'OEC. Sur le terrain, les plans de gestion des espèces protégées sont désormais unifiés et, dès septembre, un exercice de simulation antipollution a été programmé à l'échelle du parc. « L'idéal serait des équipes communes d'intervention dans le détroit avec des signalétiques et des flottes partagées. Mais le GECT ne nous le permet pas encore », souligne le directeur de l'office corse. La coopération transfrontalière doit donc encore composer avec la réglementation européenne et ses transcriptions nationales. Mais en resserrant les liens entre pays voisins, les nouvelles structures créées espèrent impulser une dynamique de proximité sur le long terme.