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Plus de 250 fiches standards encadrent les travaux générant des certificats d'économie d'énergie. Les moins fréquemment utilisées méritent pourtant qu'on s'y arrête.
Que se passera-t-il le 1er janvier 2014 ? La deuxième période des certificats d'économie d'énergie (CEE) aura pris fin la veille. Une phase transitoire d'un an prolongera les règles actuelles avec un objectif constant, puis de nouvelles modalités devront être trouvées pour trois années de plus. Seule certitude : le dispositif sera prolongé, vraisemblablement avec des ambitions revues à la hausse. Pour les collectivités comme les entreprises, reste à mieux exploiter ce dispositif. Même les structures qui y ont déjà recours peuvent certainement encore rationaliser leur démarche.
Opérationnel depuis 2006, le dispositif contraint les fournisseurs d'électricité, de gaz, de chaleur ou de carburants (les obligés) à réaliser des économies d'énergie. Ils doivent justifier leurs efforts grâce à des certificats obtenus grâce à des actions concrètes. Par exemple, remplacer des véhicules d'entreprise par des modèles moins gourmands. Concrètement, les obligés ont trois solutions : jouer sur la performance de leurs propres installations, inciter leurs clients à réduire leur consommation ou acheter des CEE sur le marché d'échange. Chaque certificat équivaut à 1 kWh d'énergie finale cumulée et actualisée sur la durée de vie du produit installé. On parle de « kilowattheure Cumac ». Pour déterminer le volume de certificats associé à chaque opération, les pouvoirs publics ont établi une liste d'opérations standardisées. Il y en existe 269 à ce jour et elles couvrent six secteurs (bâtiments résidentiels, bâtiments tertiaires, industrie, réseaux, transports et agriculture). L'entreprise qui installe une horloge sur un dispositif d'éclairage artificiel intérieur équipé d'un tube fluorescent de 36 W apprendra par exemple dans la fiche BAT-EQ-02 qu'elle peut obtenir 90 kWh Cumac.
Toute opération peut en théorie faire l'objet d'une valorisation. « La limite n'est pas régle mentaire, mais économique », explique une étude d'Amorce. Au-dessous de 0,5 GWh, « il est probable que le temps à mobiliser en interne pour monter le dossier et vendre les CEE ne se justifie pas ». Quelques fiches standards tiennent le haut du pavé. Au total, 387,3 TWh Cumac avaient été valorisés à la fin mai, dont 375,1 via les dix premières fiches standardisées.
En tête, la pose de chaudières à condensation a généré 16,05 % du total et l'isolation des combles ou de toitures, 9,19 %. Dès lors, ne faudrait-il pas abandonner les fiches délaissées ? Pas sûr. Notamment du fait de l'évolution à venir du dispositif. « L'isolation extérieure de la façade et une chaudière donnent lieu à la même valorisation. Sauf que l'isolation coûte dix fois plus cher. Dans un cas, on récupère 30 % de son investissement. Dans l'autre, 3 %. Si on veut que l'effica cité énergétique soit mise en avant, il faut un rééquilibrage », illustre Renaud Dhont, chargé de projet à l'Association des responsables de copropriétés (Arc). Les chaudières les moins performantes pourraient ainsi à l'avenir être moins valorisées par le dispositif, parce qu'elles sont devenues la norme et qu'il est incohérent de financer avec les certificats le chauffage de passoires thermiques.
Même sans évolution des barèmes, les porteurs de projets ont de toute façon intérêt à ne pas oublier les fiches plus confidentielles. En matière de transport, les entreprises et les collectivités peuvent, par exemple, obtenir des CEE en équipant leurs véhicules de boîtiers de suivi de conduite. Dans les bâtiments, « on peut isoler des canalisations d'eau chaude sanitaire en finançant les travaux jusqu'à 100 % grâce aux CEE », souligne François Amadei, fondateur de NR Pro. Renaud Dhont nuance : « On ne peut pas avoir de certificats pour refaire un calorifugeage vétuste, ce qui est beaucoup plus courant que de ne pas avoir du tout d'isolation dans les copropriétés. Sauf, bien sûr, quand l'opération est impos sible car elle nécessite des travaux chez les particuliers ». Chargée de projets au service énergie de la communauté du pays d'Aix (CPA), Catherine Fleurynck est sceptique sur les 100 % : « On entreprend rarement ces seuls travaux. Il faut raisonner en coût global de réhabilitation. Les certificats permettent géné ra lement de gagner entre 5 à 20 % des investissements ».
Pour certaines opérations, l'intérêt apparaît dès lors qu'il y a un effet de volume. C'est notamment le cas de l'installation de robinets thermostatiques ou de luminaires économes. Enfin, les arrêtés publiés une ou deux fois par an permettent d'affiner certaines actions standardisées. Voire d'en créer de nouvelles pour répondre au mieux aux attentes : « Le covoi turage travaildomicile a fait l'objet d'une fiche très peu utili sée, illustre Grégory Labrousse, directeur général de Geo PLC. Nous avons donc travaillé sur une opération plus simple de covoiturage. Elle pourrait être validée début 2014 ». Comme d'autres petites actions, la mesure devrait bénéficier de la dérogation évitant la signature de la demande de CEE par chaque utilisateur. « La fiche est encore en discussion. Il faut trou ver le mode de fonctionnement le plus efficace, les formules d'inci tation types, les pièces à présen ter pour l'opérateur », explique Grégory Labrousse.
Parmi les artisans et installateurs qui exploitent les CEE, le seul inconvénient de ces évolutions est l'inertie qu'elles génèrent. Lorsqu'une nouvelle règle est imposée, pour une pompe à chaleur par exemple, un délai permet de continuer à utiliser l'ancienne version de la fiche pendant trois mois. Ensuite, il faut s'adapter, ce qui requiert un travail de veille permanente… Et pas question pour l'artisan de ne s'intéresser qu'à une ou deux fiches. Pour rénover un bâtiment comme pour rationaliser un procédé industriel, on se réfère simultanément à plusieurs d'entre elles.
Si les actions standardisées couvrent un large panel de travaux, d'autres démarches peuvent aussi donner lieu à des certificats. Une étude doit alors au préalable prouver qu'elles génèrent des économies d'énergie et les quantifier. « C'est un processus long, insiste Grégory Labrousse : au moins dix huit mois. » A priori, il est donc plutôt adapté aux grosses opérations ou à des travaux susceptibles de faire l'objet a posteriori d'une fiche standardisée. « Il faut plu sieurs conditions, à commencer par l'implication d'un obligé et des ressources internes pour pré parer le dossier », poursuit-il. Pas question pour autant d'en faire un obstacle insurmontable. En 2010, lorsque la communauté du pays d'Aix a rénové ses piscines et travaillé sur le nettoyage des filtres et la réparation des fuites, elle n'a pas hésité à se lancer. Pour financer un parc relais, elle a eu moins de succès. « Monter un dossier spé cial est intéressant, juge Catherine Fleurynck. Cela prend du temps, et fait partie du travail d'audit à réaliser avant tout projet. Parfois ça marche, parfois non. »
2 Choisir son prestataire
Une myriade de sociétés spécialisées se sont développées comme intermédiaires entre les obligés et les maîtres d'ouvrage. Les services proposés vont parfois jusqu'à la réalisation des travaux.
Au départ, les certificats se sont vendus pour une bouchée de pain. Les obligés ont profité de la méconnaissance générale du dispositif pour convaincre ceux qui lançaient des opérations d'économie d'énergie de leur transférer les leurs contre des réductions de prix mineures. Cette époque a fait long feu. Avec le temps, des entreprises spécialisées ont émergé et leurs offres ont enrayé cette belle mécanique… faisant monter le cours des primes. Désormais, ces intermédiaires sont un des piliers du financement des économies d'énergie. Le revers de la médaille, c'est que choisir un prestataire est devenu un vrai casse-tête.
La plupart proposent un service d'accompagnement. « Notre travail consiste à analy ser les plans d'investissement de nos clients pour les adapter et les financer en partie avec des CEE », expose Steeve Benisty, directeur du département énergie chez Leyton, un cabinet d'optimisation des coûts opérationnels. Les certificats d'économie d'énergie (CEE) sont rarement l'élément déclencheur d'un investissement. En revanche, lorsque des travaux sont planifiés, il est essentiel de vérifier qu'ils répondent aux critères de performance requis. Lorsqu'on améliore l'enveloppe d'un bâtiment par exemple, un coefficient d'isolation trop faible risque de rendre l'opération inéligible. Dans une chaufferie, l'installation d'équipements périphériques, comme une sonde de température ou un appareil de télégestion, peut être compensée par les CEE, etc. « D'une manière générale, les certificats incitent à monter en gamme », analyse Frédéric Utzmann, président de Certinergy, une structure collective de quelques obligés qui s'est progressivement transformée en société de services en efficacité énergétique (lire encadré).
Un bon travail de préparation permet d'intégrer chaque pré-requis au cahier des charges d'un nouvel appel d'offres. À moins d'être un acteur éligible (c'est-à-dire une collectivité, un bailleur social ou l'Agence nationale de l'habitat), s'associer à un obligé ou une structure collective est en tout état de cause une obligation, avant d'effectuer le moindre investissement. Ce partenaire est le seul habilité à déposer les demandes de CEE en son nom. S'appuyer sur un prestataire est, en outre, bien utile pour simplifier le volet administratif des demandes, car la collecte des pièces justificatives est un vrai métier ! « Nous avons beaucoup investi dans la numérisation et proposons à nos clients des outils informatiques personnalisés qui accélèrent le traitement de leurs dossiers », lance Nicolas Moulin, président de Primes énergie.
La société a ensuite décliné son offre aux particuliers qui, quand ils connaissent le dispositif, sont souvent découragés par ce travail, préférant laisser à leur artisan le soin de valoriser les certificats comme il l'entend. « Avant le lancement des travaux, nous envoyons un document pré rempli à notre client qui doit le faire signer par son installateur et le renvoyer avec sa facture. On vérifie si le dossier est complet et il est payé en quatre semaines, explique-t-il. Nous sommes moins procéduriers que d'autres. Nous ne demandons pas de devis par exemple. Tout est numérisé et nous traitons de gros volumes.
Nous déposons des dossiers tous les deux jours. »
Miser sur un prestataire capable de réaliser les travaux et de les valoriser en CEE est vraiment tentant. Mais, compte tenu de la variabilité du prix des certificats, c'est aussi prendre le risque de ne pas en obtenir le meilleur bénéfice. « Nous conseillons aux coproprié tés de bien séparer les deux volets, explique Renaud Dhont, chargé de projet à l'Arc. Sachant que, si les artisans ou les chauffagistes qui interviennent sont capables de s'aligner sur la meilleure offre, c'est plus simple pour tout le monde ! » NR Pro a développé une plate-forme numérique pour observer les tendances du marché et mettre en concurrence les obligés. « De la même manière que l'on va voir plu sieurs banques avant de réaliser un prêt, il faut étudier différentes offres avant de céder ses CEE », justifie François Amadei, fondateur de l'entreprise. Ce service propose à chaque maître d'ouvrage de définir son projet, puis le soumet aux obligés. Ce sont ceux-ci qui financent la plateforme. Ils y ont tout intérêt : « Elle diminue leurs coûts de prospection, d'identifi cation de projets et de suivi », promeut François Amadei.
3 Opter pour une gestion directe
À condition de disposer des ressources internes, valoriser ses travaux sans l'aide d'un prestataire est à la portée des collectivités.
Parmi les acteurs éligibles, bon nombre de collectivités ont choisi de prendre les choses en main. Plutôt que de confier la valorisation de leurs travaux à des prestataires spécialisés, elles déposent elles-mêmes leurs demandes de certificats d'économie d'énergie (CEE). Elles peuvent le faire une fois par an au-dessous de 20 GWh Cumac. Autant qu'elles veulent lorsque ce seuil est dépassé. « Pour les petites structures, il est per tinent de se rassembler, conseille Clotilde Carron, chargée de mission à la FNCCR. Sinon, le temps passé sur le projet ne vaut pas toujours la peine. »
Dans le Calvados, le pays du Bessin au Virois s'efforce d'accompagner les communes qui hésitent à franchir le pas. « Animant un conseil en énergie partagé, je connais leurs projets », explique Arnaud Marie, chargé de mission énergie. Constatant que le petit bourg Le Bény-Bocage avait lancé des travaux de menuiseries et de remplacement de chaudières, il s'est ainsi efforcé de les valoriser, en assurant les parties technique et administrative du dossier CEE. En novembre 2012, c'est la commune qui a officiellement fait la demande et obtenu un solde d'un peu moins de 500 000 kWh Cumac sur son compte Emmy (le registre national tenu par les pouvoirs publics). « Le travail est lourd lors du premier dossier, puisqu'il faut justifier beaucoup d'informations, récupérer des factures et des attestations », signale le chargé de mission. En outre, « il y a des dates à ne pas rater. Puisqu'il faut un maximum d'un an après la fin des travaux, il y a un risque de perdre en route quelques CEE ».
Plusieurs syndicats intercommunaux d'énergie proposent donc à leurs adhérents de gérer leurs demandes : le Sydev en Vendée, le FDE 80 dans la Somme… En Côte-d'Or, c'est le Siceco qui joue le rôle d'expert. Il utilise le dispositif pour ses travaux d'éclairage depuis 2009. Depuis peu, les collectivités du territoire peuvent lui transférer leurs droits de dépôt de certificats pour les projets dont elles assurent la maîtrise d'ouvrage. « Nous valo risons tous les dossiers complets et nous ne facturons pas de frais de gestion, présente Pascaline Fisch, responsable de la cellule énergie du Siceco. Les bénéfices tirés vont bien entendu aux communes . Nous jouons donc un rôle d'incitateur et de facilita teur. » Le syndicat rédige notamment des attestations types que les maîtres d'œuvre n'ont qu'à remplir. Comme un prestataire, il propose aussi des prédiagnos-tics énergétiques. Ceux-ci permettent d'établir directement les certificats auxquels on a droit.
Pays, syndicat, communauté d'agglomération ? « Il n'y a pas un modèle idéal d'organisation, analyse Clotilde Carron. Si des membres de la collectivité ont les moyens d'as surer le travail, c'est qu'on est à la bonne échelle. » Mieux vaut tout de même avoir les épaules solides, car chaque détail a son importance. Dans le pays du Bessin au Virois, la réhabilitation d'un ancien couvent classé monument historique a nécessité des négociations serrées avec les Architectes des bâtiments de France. En particulier, pour imposer 110 fenêtres à double vitrage et donc une légère évolution des huisseries, tout en s'assurant qu'elles conservent leur aspect d'origine. Cette évolution va permettre à la communauté de communes de valoriser entre 10 et 12 GWh Cumac de CEE, donc d'obtenir aux alentours de 40 000 euros.
Vendre ses certificats est sur le papier l'opération la plus simple. Il ne s'agit pas véritablement d'ingénierie financière. « Les certificats ne sont pas un para mètre à intégrer pour calculer un temps de retour sur investis sement, no tamment parce qu'il y a un délai entre la facture et la valorisation », pointe Pascaline Fisch. Dès que l'on se déclare vendeur sur le registre Emmy, les offres des obligés et de courtiers affluent. Mais en obtenir un bon prix est une autre affaire. « Les communes directement démar chées par des courtiers obtiennent des prix souvent moins intéres sants, parfois jusqu'à trois fois inférieurs à ceux que nous décro chons », calcule Pascaline Fisch. Il existe a priori une corrélation entre les prix et les volumes, ce qui peut inciter à accumuler un nombre conséquent de certificats avant de les mettre sur le marché. Et ce conseil est d'autant plus valable en ce moment que les cours des CEE ne cessent de baisser. D'après les calculs de la direction générale de l'Énergie et du Climat, les obligés ont déjà atteint les objectifs qui leur ont été assignés pour la deuxième période. La tendance déflationniste pourrait de fait perdurer jusqu'à ce que les objectifs de la troisième phase soient déterminés. À condition qu'ils soient ambitieux.